Une simple relation de courtage ou d’apporteur d’affaires peut donner lieu à une relation commerciale établie

CA Paris, Pôle 5 ch.4, 27 septembre 2023, n°22/10517

→ Par un arrêt rendu le 27 septembre 2023, la Cour d’appel de Paris (n°22/10517) a apporté des précisions s’agissant de l’applicabilité de l’article L.442-1, II du Code de commerce aux relations de courtage ou d’apporteur d’affaires.

→ Pour rappel, l’article L. 442-1, II du Code de commerce dispose qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

  • À titre illustratif, il a été jugé qu’une activité de courtage dans le secteur du vin était caractérisée par une instabilité intrinsèque donnant à la relation un caractère précaire, ne pouvant être soumise aux dispositions de l’article L. 442-1, II du Code de commerce (CA Paris, 15 avril 2015, n° 13/02730). En revanche, l’activité d’intermédiation en opérations de banque définie à l’article L. 519-1 du Code monétaire et financier, n’étant ni une opération de banque, ni une opération connexe au sens de l’article L. 311-2 du Code de commerce, est bien soumise aux dispositions de l’article L. 442-1, II du Code de commerce (Cass. com., 6 avril 2022, n° 20-18.126).
  • L’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 27 septembre 2023 s’est précisément prononcé sur le point de savoir si la relation d’un courtier ayant conclu une convention d’apporteur d’affaires avec un établissement prêteur, constituait une relation commerciale établie pouvant être soumise aux dispositions de l’article L. 442-1, II du Code de commerce.
  • En l’espèce, la société REPONSE FINANCEMENT a pour activité le courtage immobilier en France mettant au service de ses clients son expertise et son savoir-faire pour les accompagner dans la recherche de solutions de financement adaptées à leurs besoins et les assister dans la concrétisation de leurs projets. Elle exploite un réseau de franchise sous la marque VOUSFINANCER. La société EIC financement, pour sa part, est inscrite à l’ORIAS en qualité de courtier d’assurance, courtier en opérations de banque et en service de paiement. Le 1er février 2015, la société EIC a intégré le réseau de franchise VOUSFIANCER. Le 10 mai 2016, la banque Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société EIC Financement ont signé une convention d’apport d’affaires faisant suite à une convention partenariale conclue le 23 aout 2010. Le 30 octobre 2019, par lettre recommandée avec accusé de réception, la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc a dénoncé la convention d’apport d’affaires conclue avec la société EIC Financement en octroyant un préavis contractuel d’un mois.
  • Considérant que la rupture de la relation était brutale, la société EIC Financement ainsi que la société REPONSE FINANCEMENT ont assigné la banque Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc en réparation du préjudice subi sur le fondement de l’article L. 442-1, II du Code de commerce. Par un jugement du 29 mars 2022, le Tribunal de commerce de Marseille a débouté les deux sociétés et a refusé de faire droit à leurs demandes au motif que la relation qui existait entre la société EIC Financement et la banque ne pouvait être qualifiée de relation commerciale établie. Les deux sociétés ont interjeté appel.
  • Les sociétés appelantes ont soutenu que les prestations fournies, matérialisées par la conclusion de contrats partenariaux successifs, constituaient une relation commerciale peu important les modalités d’exercice de ces prestations. Elles ont ajouté que la relation était suivie et stable car elle se matérialisait par un flux d’affaires sans interruptions significatives et par un volume suffisamment stable, de sorte qu’elle est établie. Également, elles ont estimé que l’indépendance fonctionnelle et organique, prévue par l’article R. 519-4 du Code monétaire et financier, existant entre le courtier et la banque, n’était pas de nature à remettre en cause le constat objectif d’un courant d’affaires entre ces deux entités et ne saurait exclure par principe l’application des règles relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies, dès lors que cette relation de courtage est une relation commerciale par nature au sens de l’article L. 110-1, 7° du Code de commerce.
  • La banque, à l’inverse, déniait l’existence d’une relation commerciale établie. Elle faisait valoir qu’elle n’était liée par aucun contrat avec la société REPONSE FINANCEMENT, franchiseur de la société EIC financement, et n’a jamais eu la moindre relation commerciale ou le moindre courant d’affaire avec elle. Elle ajoutait que sa relation avec la société EIC financement était précaire et aléatoire par nature car les clients pouvaient rejeter les offres de crédit éventuellement proposées par la banque et car le courtier n’avait aucune obligation de lui présenter ses clients, de sorte que les relations entre les parties relevaient de l’aléa inhérent à la mise en concurrence des établissements de crédit à l’initiative du courtier. Elle en déduisait que la succession de contrat la liant à la société EIC financement ne suffisait pas à caractériser une relation commerciale établie, ni même à susciter une croyance légitime de la victime dans la poursuite de la relation.
  • Ainsi, la Cour d’appel de Paris a dû se prononcer sur le point de savoir si, d’une part, la relation existante entre la société EIC financement et la banque, liées par une convention d’apport d’affaires, constituait une relation commerciale établie, et d’autre part, déterminer si la rupture avait été brutale au sens de l’article L. 442-1, II du Code de commerce.
  • Dans son arrêt du 27 septembre 2023, la Cour a rappelé que, pour être établie au sens de l’article L.442-1, II du Code de commerce, la relation « doit présenter un caractère suivi, stable et habituel » et que : « le critère de stabilité s’entend de la stabilité prévisible, la victime de la rupture devant raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité de flux d’affaires avec son partenaire commercial ».
  • Or la Cour a estimé que la relation commerciale qui s’est nouée entre la société EIC financement et la banque dans le cadre de cette convention d’apport d’affaires, avait pour objet de permettre à la première d’être apporteur d’affaires, et se distinguait de la conclusion proprement dite des contrats entre les clients démarchés par le courtier et la banque.

→ Elle a aussi précisé qu’il ne peut se déduire ni de l’absence de mandat entre la banque et l’apporteur, ni de la circonstance que ce dernier, en sa qualité de courtier, démarche d’autres banques dans le cadre de la recherche de la meilleure offre de prêt pour son client pour lequel il agit en vertu du mandat, l’absence de relations commerciales établies entre la banque et l’apporteur au sens de l’article L. 442-1, II du code de commerce.

→ Par ailleurs, la Cour a relevé que ces relations présentent un caractère stable et continu depuis le 10 mai 2016, tel que cela résulte notamment du chiffre d’affaires réalisé par l’apporteur avec la banque, de sorte que l’apporteur pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec la banque, peu important que la banque ait visé de façon erronée la date du 27 juillet 2010 au titre de la convention d’apport d’affaires.

→ La Cour a par conséquent infirmé le jugement et a considéré que la relation entre la société EIC financement et la banque devait, eu égard aux circonstances de l’espèce, être qualifiée de relation commerciale établie.

→ Elle a, par ailleurs, relevé le caractère brutal de cette rupture. Elle a en effet pu constater que les relations entre la banque et la société EIC ont duré 3 ans et 5 mois et que le contexte économique dégradé entourant la profession de courtier présent au moment de la rupture devait être pris en compte puisque rendant plus difficile la réorganisation.

→ Elle a en outre mis en exergue que l’auteur de la rupture doit prévenir assez tôt le partenaire « délaissé » afin que ce dernier puisse anticiper les conséquences de cette situation, et que : « le délai de préavis doit s’entendre comme le temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné. »

→ Au vu de tous ces éléments, la Cour a fixé à 3 mois le préavis que la banque aurait dû octroyer au courtier afin de lui permettre de se réorganiser en conséquence, et a condamné la banque à payer à la société EIC financement la somme de 1. 584€ euros de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies. Elle a également ordonné la publication de la décision sur les sites internet de la banque.

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