Le tribunal de commerce de Chambéry a rendu le 9 octobre 2024 une décision des plus intéressantes en matière de revente hors réseau. Elle mérite d’être commentée à la fois parce que les décisions rendues en la matière sont rares (à peine 3 pour l’ensemble de la France pour toute l’année 2022, dernière année du bilan de jurisprudence de la faculté de droit de Montpellier) et pour ses enseignements.
Les faits étaient assez caractéristiques de l’audace dont peuvent faire preuve certaines entreprises hors réseau. Deux sociétés, l’une française, l’autre située dans un autre Etat-membre, avaient passé des commandes très importantes de véhicules neufs à une concession automobile faisant partie d’un réseau de distribution sélective, dont les membres sont soumis à une interdiction de revente hors réseau. La marque a procédé à des vérifications, compte tenu du caractère exceptionnel des commandes, et a considéré que les acquéreurs étaient en réalité des revendeurs hors réseau. Elle a refusé de donner suite aux commandes de sorte que le concessionnaire a également refusé de livrer les commandes litigieuses.
Le litige aurait pu et aurait sans doute dû s’en arrêter là. Les deux entreprises ayant passé commandes ont néanmoins entamé une procédure contre la concession en vue de réclamer des dommages intérêts au titre du préjudice résultant selon eux de l’annulation des commandes, bientôt rejointes dans la procédure par le sous-acquéreur des véhicules auxquels ils auraient pu être revendus, venu réclamer à son tour la marge qu’il aurait pu réaliser à l’occasion de la revente. Le concessionnaire a appelé en garantie la marque pour être garanti de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre lui au bénéfice des entreprises hors réseau.
En défense, la marque a fait valoir in limine litis que le tribunal de commerce de Chambéry n’était pas compétent pour connaître du litige, s’agissant de demandes trouvant leur origine dans une revente hors réseau interdite en vertu de l’article L. 442-2 du code de commerce ; en effet, dès lors que les dispositions de l’article L. 442-2 du code de commerce sur l’interdiction directe ou indirecte de la revente hors réseau de distribution sélective et la complicité de revente hors réseau sont invoquées, seules les juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives sont compétentes, en l’espèce le tribunal de commerce de Lyon. La marque faisait valoir également qu’en tout état de cause aucune demande ne pouvait être formée sur la base de contrats nuls, contraires à l’ordre public et prohibés en vertu des dispositions impératives du droit français interdisant toute participation directe ou indirecte à une revente hors réseau.
Le tribunal de commerce de Chambéry a fait droit à l’exception d’incompétence soulevée par la marque et renvoyé la totalité du litige au tribunal de commerce de Lyon.
La décision du tribunal est éclairante sur différents points.
Elle écarte d’abord l’argumentation des demandeurs qui faisaient valoir qu’en vertu de l’article 333 du code de procédure civile, l’appelé en garantie serait tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire « sans qu’il puisse décliner la compétence de cette juridiction ». Le tribunal constate que l’article 333 est cité incomplètement et que ce texte vise uniquement la compétence territoriale alors que les règles de compétence spéciale en matière de pratiques restrictives sont des compétences d’attribution qui ne sont pas visées par l’article 333 du code de procédure civile.
Enfin, bien que ne devant pas statuer sur le fond du fait de son incompétence matérielle, le tribunal relève également que l’on est en l’espèce en présence d’une revente hors réseau résultant du nombre très élevé des commandes, de l’activité des entreprises en cause et de la demande de marge perdue devant le tribunal, et que tout contrat passé en violation de l’article L. 442-2 est nul et ne peut être exécuté.
La décision est susceptible d’appel. La marque était représentée par le cabinet Vogel & Vogel.