Revirement de jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation concernant les effets de la méconnaissance du pouvoir juridictionnel exclusif octroyé à certaines juridictions du premier degré et à la Cour d’appel de Paris, en matière de contentieux liés à l’application de l’article L. 442-1 du Code de commerce : la fin de non-recevoir est abandonnée au profit de l’exception d’incompétence.

Dans cette affaire portée devant le Tribunal de commerce de Saint-Etienne conformément à une clause attributive de compétence, le défendeur, assigné en paiement de redevances, avait élevé une demande reconventionnelle dans laquelle il invoquait les règles de l’article L. 442-1 du Code de commerce. Or, seule une juridiction désignée par l’article D. 442-2 du même Code, parmi lesquelles ne figure pas le tribunal saisi, peut connaître des pratiques restrictives de concurrence. En conséquence, le défendeur avait demandé que le tribunal stéphanois se déclare incompétent au profit de celui de Marseille. Reconnaissant son incompétence, le tribunal a toutefois renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon, juridiction spécialisée pour connaître des moyens de défense fondés sur ces dispositions. La demanderesse avait alors interjeté appel du jugement devant la Cour d’appel de Lyon, qui a infirmé le jugement en ce que celui-ci avait constaté la volonté du défendeur de se fonder sur l’article L. 442-1 du code de commerce et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon. L’intimé a alors formé un pourvoi en cassation.

Depuis 2013, lorsque la Cour de cassation était confrontée à des litiges relatifs à l’article L. 442-1 du Code de commerce dans lesquels avait été méconnu le pouvoir juridictionnel exclusif de la Cour d’appel de Paris ou des juridictions de premier ressort spécialisées, elle préconisait aux juges du fond de relever d’office une fin de non-recevoir.

L’arrêt rendu le 18 octobre 2023 met un terme à cette solution. La Haute juridiction revient en effet sur cette position jurisprudentielle qu’elle qualifie de confuse et complexe à mettre en œuvre et qui génère, pour les parties, une grave insécurité juridique, une erreur de choix de juridiction pouvant avoir de lourdes répercussions sur les délais de recours et de prescription.

La Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence : la sanction ne doit plus désormais se matérialiser par une fin de non-recevoir mais par une exception d’incompétence. Plusieurs points concernant les répercussions de ce revirement méritent d’être soulevés.

  1. L’effet interruptif de prescription

Aux termes des articles 2241 et 2243 du Code civil, l’effet interruptif de la prescription s’applique en cas de demande annulée pour « vice de procédure ». A l’inverse, la prescription n’est pas interrompue pour une demande « définitivement » rejetée en raison, notamment, d’une fin de non-recevoir.

Avant cet arrêt, si le tribunal invitait les parties à mieux se pourvoir, il y avait pour le défendeur une opportunité de voir la prescription acquise au cours de la procédure et donc de l’invoquer devant la juridiction compétente. Avec cette nouvelle sanction, le demandeur pourra bénéficier de l’effet interruptif de prescription.

  1. L’ordre de mention des moyens de défense

Une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause en vertu de l’article 123 du Code de procédure civile, le défendeur ayant la possibilité de la soulever à toute hauteur de la procédure. Ce n’est désormais plus possible puisque les exceptions de procédure, conformément à l’article 74 du même code, doivent être soulevées in limine litis, avant toute défense au fond et fin de non-recevoir.

Pour les procédures à venir, cela impliquera que le défendeur devra veiller à soulever l’incompétence du tribunal saisi au tout début de la procédure, sous peine de ne plus être recevable à le faire.

Concernant les procédures en cours, il semblerait qu’il soit nécessaire, le cas échéant, de conclure à nouveau afin de soulever une exception de procédure en lieu et place d’une fin de non-recevoir.

En tout état de cause, il semble que l’obligation pour le défendeur d’opposer in limine litis l’incompétence du tribunal saisi permettra de freiner les tentatives de procédures dilatoires qui tendraient à invoquer des arguments tirés de la règle des articles L. 442-1 et D. 442-2 du Code de commerce pour contraindre le tribunal à se déclarer incompétent afin de retarder l’issue de la procédure.

  1. Le lien de connexité

Il convient de relever que le paragraphe 17 de la décision laisse la place à un doute quant à la question du degré d’interdépendance des demandes, lorsque certaines sont fondées sur le droit commun et d’autres sur l’article L. 442-1. Il pourrait y avoir là la possibilité pour le défendeur d’invoquer une forte interdépendance des demandes ce qui aurait pour conséquence de contraindre le tribunal à surseoir à statuer le temps qu’une juridiction spécialement désignée se prononce sur l’argument tiré de l’article L. 442-1 du Code de commerce. Pour éviter cet écueil, il semble que le demandeur ait tout intérêt à se désister et saisir la juridiction spécialement compétente en matière de pratiques restrictives de concurrence.