Derrière cet acronyme un peu étrange, se profile un nouveau risque pour les entreprises du secteur automobile au cours des mois et des années à venir.

Le SSMVM – Service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs – est une conséquence de la volonté des autorités européennes qui ont cherché à durcir la réglementation applicable à ce marché ainsi que le contrôle de la conformité de ses acteurs avec ladite réglementation. Pour ce faire, les divers règlements européens adoptés[1] imposent à chaque Etat Membre de désigner sa propre autorité de surveillance du marché, chargée du contrôle du respect de la réglementation applicable.

Une avalanche de textes a mis en œuvre en France de façon juridiquement confuse et imparfaite les obligations issues du droit européen en matière de surveillance du marché des véhicules à moteur :

– L’Ordonnance n° 2020-701 du 10 juin 2020 relative à la surveillance du marché des véhicules à moteur (l’Ordonnance),

– Le Décret n° 2020-703 du 10 juin 2020 relatif à la surveillance du marché des véhicules à moteur (le Décret),

– L’arrêté (NOR: TRER2011992A) du 10 juin 2020 portant création du service à compétence nationale dénommé service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs (l’Arrêté).

Le SSMVM a finalement été créé sous forme de service rattaché au service climat et efficacité énergétique (SCEE) de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)[2]. Il ne s’agit donc pas d’une autorité administrative indépendante comme prévu initialement mais d’un service ministériel au même titre que la DGCCRF.

Ce nouvel organisme est doté de larges missions de contrôle et de pouvoirs exorbitants. Si les textes définitifs apportent quelques améliorations par rapport aux projets initiaux, le régime juridique des interventions du SSMVN ne manque pas de susciter de nombreuses inquiétudes.

Sommaire

I. Organisation et missions

II. Pouvoirs d’enquête

III. Sanctions

I. Organisation et missions

Statut retenu – La mise en œuvre sous forme de service d’une direction ministérielle n’apparaît pas opportune. Elle risque notamment de poser des problèmes compte tenu des exigences d’indépendance et d’impartialité posées par la réglementation européenne[3]. Ce choix contestable est de nature à fragiliser juridiquement ce nouveau service. Selon le jurisprudence de la CJUE, en « ce qui concerne les organes publics, l’indépendance désigne normalement un statut qui assure à l’organe concerné la possibilité d’agir en toute liberté par rapport aux organismes à l’égard desquels son indépendance doit être assurée, à l’abri de toute instruction et de toute pression » (CJUE, 4e ch., 13 juin 2018, aff. C-53/16, Commission c/Pologne, point 50 ; Europe, 2018, comm. 319, obs. V. Michel). Ainsi, la CJUE a jugé récemment que la Bulgarie n’avait pas respecté l’obligation d’indépendance posée par une autre directive, en matière ferroviaire, en raison de l’absence d’indépendance organisationnelle de l’organisme d’enquête vis-à-vis du ministère des transports lequel contrôle le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire mais également parce que cet organisme ne dispose pas de l’indépendance nécessaire quant à l’accès aux ressources nécessaires à l’exercice de ses tâches (CJUE, 28 mai 2020, aff. C-33/19, Commission c/Bulgarie, Europe, juillet 2020, 224, obs. V. Bassani).

Objet des contrôles – Le nouvel article L. 329-1 du code de la route issu de l’Ordonnance pose que la réglementation nouvelle porte sur le contrôle de la conformité avec les textes nationaux et européens. Alors que les textes nationaux sont précisés, l’article se contente de viser « la réglementation européenne », si ce n’est dans le 1° de l’article qui vise « la réglementation européenne, à l’exception de l’article 18 du Règlement (UE) n°167/2013 du Parlement européen et du Conseil du 5 février 2013 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules agricoles et forestiers ». Malgré le caractère exorbitant des pouvoirs conférés au SSMVM, la réglementation applicable n’est donc toujours pas visée avec précision. Le nouvel article L. 329-5 du code de la route, à l’instar de l’article L.328-6 du projet d’ordonnance, habilite en sus les agents SSMVM à la recherche et constatation des manquements à des règles issues du droit pénal général ou du droit pénal de la consommation (faux, escroquerie, tromperies).

Non habilitation à la recherche et constatation des abus de position dominante et de dépendance économique, des impositions de prix minimal et des obstructions aux investigations ou instructions – Alors que les agents du SSMVM devaient dans le projet d’ordonnance être habilités à rechercher et constater les infractions prévues aux articles L. 420-2, L. 442-6 et L. 464-2 du code de commerce, cette habilitation n’apparaît plus dans le nouvel article L. 329-5 du code de la route. Le gouvernement a tenu compte ici à juste titre des observations des professionnels qui faisaient valoir un doublon, source de poursuites multiples et de confusion, avec les pouvoirs de la DGCCRF et de l’ADLC.

Personnes soumises au contrôle – Le projet ne proposait pas de définition des personnes soumises au contrôle de la future autorité. Le nouvel article L. 329-2 du code de la route issu de l’Ordonnance renvoie dorénavant aux textes européens définissant ces opérateurs économiques, à savoir le règlement (CE) n° 1222/2009, le règlement (UE) n° 167/2013, le règlement (UE) n° 168/2013, le règlement (UE) n° 2018/858 et le règlement (UE) n° 2019/1020. Sont ainsi soumis au contrôle du SSMVM les constructeurs, leurs mandataires, les importateurs et les distributeurs.

Recours à des personnes tierces par les agents du SSMVM – En vertu du nouvel article L. 329-6 du code de la route, il est possible aux agents du SSMVM de recourir à « toute personne qualifiée  dans les conditions prévues à l’article L. 512-17 du code de la consommation ». Ces personnes ne peuvent donc effectuer aucun acte de procédure pénale ou de police administrative, ne peuvent pas utiliser les informations dont elles prennent connaissance à cette occasion pour la mise en œuvre des pouvoirs de contrôle dont elles disposent, le cas échéant, en vertu d’autres dispositions législatives ou réglementaires et ne peuvent sous les peines prévues à l’article 226-13 du code pénal, divulguer les informations dont elles ont eu connaissance dans ce cadre.

Assistance et coopération – Le nouvel article L. 329-30 du code de la route prévoit une utilisation sans exigence formelle spécifique des preuves établies par une autorité de surveillance d’un autre Etat membre dans le cadre d’enquêtes visant à vérifier la conformité des produits.

II. Pouvoirs d’enquête

Les agents du SSMVM sont dotés de larges pouvoirs d’enquête qui englobent :

– Recueil de renseignements et de documents.

Les personnes soumises au contrôle doivent fournir tout document ou explication requises par les agents du SSMVM, qui sont dotés du pouvoir d’accéder aux données issues d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, sans que puisse être opposée l’obligation au secret professionnel (nouvel article L. 329-14 du Code de la route), incluant un accès aux logiciels, aux données stockées et aux algorithmes et la possibilité d’en demander la transcription (nouvel article L. 329-15 du Code de la route). Des informations peuvent être demandées sur l’identification du propriétaire d’un site internet ou sur la chaîne d’approvisionnement, le détail des réseaux, les quantités de produits sur le marché et d’autres modèles de produits dotés des mêmes caractéristiques que le produit concerné, mais pour ces informations, le nouvel article L. 329-16 du code de la route conditionne leur fourniture d’informations par les opérateurs économiques à la pertinence de ces informations « au regard du respect des exigences applicables et des contrôles en cours ».

– Accès aux locaux

Visites domiciliaires – Celles-ci sont possibles sur autorisation du JLD à l’instar de ce qui est prévu dans d’autres domaines, comme le droit de la concurrence. Pour ce qui est des évolutions positives apportées par l’Ordonnance par rapport au projet d’ordonnance :

– Au titre du nouvel article L. 329-24 du code de la route les visites domiciliaires dans les entreprises ne sont plus conditionnées au refus d’accès aux locaux comme c’était le cas dans l’Article L. 328-12 du projet d’ordonnance, ce qui pouvait laisser craindre des pressions exercées sur les entreprises et leurs salariés ;

– Il est dorénavant prévu article 329-24, I, alinéa 2 que le juge vérifie que la demande d’autorisation qui lui est soumise est fondée ;

– L’article précité, IV comporte dorénavant la mention de la faculté pour l’occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix.

En revanche :

– Il n‘est toujours pas fait de précision sur les horaires des visites et saisies ;

– Si un appel est ouvert contre la décision d’autorisation, il n’est toujours pas prévu de recours contre le déroulement des opérations de visites domiciliaires.

– Expertises

Contradictoire des expertises et tests – Le nouvel article L. 329-12, à l’instar de l’article L. 328-34 du projet d’ordonnance, dispose que les contrôles de conformité sont réalisés de manière contradictoire. En cas de non-conformité constatée sur le fondement des contrôles réalisés (ce qui inclut en principe les expertises et analyses), l’opérateur économique est invité à présenter ses observations et éléments explicatifs dans un délai raisonnable fixé par la SSMVM (nouvel article L. 329-31). Au-delà de cela, il n’est fait aucune précision des modalités exactes des contrôles, tests et analyses, ni dans l’Ordonnance ni dans le Décret, qui se limite à prévoir les conditions d’un agrément par les organismes publics ou privés pouvant les réaliser.

Demande de mise en œuvre d’une expertise complémentaire – Lorsque l’expertise ou les tests réalisés concluent à une non-conformité, et que celle-ci est constatée par procès-verbal malgré les observations initiales de la personne concernée, les nouveaux textes prévoient la possibilité de solliciter une expertise complémentaire, cette demande devant toujours se faire dans un délai de cinq jours francs. La procédure s’est en revanche complexifiée, au bénéfice du SSMVM. Dans le projet d’ordonnance, une deuxième expertise infirmant les constatations portées sur le procès-verbal de non-conformité établi à l’issue de la première expertise conduisait à l’établissement d’un procès-verbal définitif de conformité. Aux termes du nouvel article L. 329-32, une demande d’expertise complémentaire donne maintenant lieu à la désignation de deux experts, l’un par l’autorité chargée de la surveillance du marché des véhicules et des moteurs, l’autre par l’opérateur économique, s’il le souhaite et dans un délai imparti par cette autorité[4]. Dans le cas où une première expertise complémentaire menée par l’expert désigné par l’opérateur infirmerait les constatations portées sur le procès-verbal de non-conformité établi au terme de la première expertise, une contre-expertise est alors menée par l’expert désigné par la SSMVM. Cela signifie qu’en cas de faux-positif initial, ce n’est plus une mais nécessairement deux expertises supplémentaires qui doivent être menées, avec ce que cela implique en termes de durée de la procédure.

III. Sanctions

Sanctions et actions correctives décidées par le SMVM – Le nouvel article L. 329-33 de code de la route prévoit que le SSMVM peut prononcer à la fois des mesures correctives (de type rappel, mise en conformité, retrait, interdiction etc.) et des sanctions pécuniaires, en distinguant les deux catégories plus clairement que dans le projet d’ordonnance initial.

L’autorité administrative peut notamment prendre des mesures correctives en cas d’infraction aux règles du code de la consommation par ailleurs sanctionnées pénalement[5]. Le SSMVM ne peut toutefois plus infliger d’amende administrative en cas de manquement à ces dispositions. Une amende administrative est prévue en cas de manquement à la réglementation de mise à disposition sur le marché des véhicules, remorques, systèmes, composants, entités techniques distinctes ainsi que des pièces détachées et équipements destinés aux véhicules avec un montant peut atteindre un million d’euros par produit concerné (article L. 329-33, II nouveau du code de la route).

Il semble en revanche toujours possible, en vertu de l’ordonnance, qu’un même fait puisse faire l’objet d’une amende administrative au titre du nouvel article L. 329-33, II, du code de la route et de sanctions pénales au titre du nouvel article L. 329-49 du code de la route.

Procédure administrative  – La procédure est encadrée par le Décret. Les garanties procédurales octroyées semblent toujours aussi insuffisantes : si l’opérateur peut formuler des observations, les délais pour ce faire restent courts malgré une augmentation du délai minimum (passé de 8 à 10 jours ouvrables) ; il n’y a toujours aucune garantie de pouvoir présenter des observations écrites et orales (Article R. 329-20 issu du Décret : « L’opérateur peut […] présenter des observations écrites ou orales […] »).

Les dispositions relatives aux procédures d’urgence (prévues article L. 328-39, III du Projet d’ordonnance) ont totalement disparu de l’Ordonnance.

Recours – Le contentieux des décisions de la SSMVM reste du ressort des juridictions administratives (R. 329-20 précité)

Prescription – La durée de prescription de 10 ans pour ce qui est des faits passibles d’amende administrative est maintenue (article L. 329-43 du code de la route issu de l’Ordonnance).

Sanctions pénales – Un nouveau délit pour importation, mise ou maintien sur le marché des véhicules, remorques, systèmes, composants, entités techniques distinctes, pièces et équipements destinés aux véhicules non conformes aux prescriptions techniques a été introduit, assorti d’une amende d’un million d’euros, pouvant être porté à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, lorsque les produits concernés ont constitué un danger pour la santé, la sécurité ou l’environnement, et d’une peine d’emprisonnement dont la durée a été réduite par rapport au projet initial d’ordonnance, passant de cinq à trois ans. La rédaction conservée dans le texte issu de l’ordonnance est toujours aussi large, et des manquements de nature et de gravité différentes sont toujours susceptibles d’être appréhendés de la même manière. Les textes européens sources des prescriptions techniques à respecter sont toutefois clairement identifiés (article 329-49, alinéa premier, 1°).

[1] Règlement (CE) n° 1222/2009 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l’étiquetage des pneumatiques en relation avec l’efficacité en carburant et d’autres paramètres essentiels ; Règlement (UE) n° 168/2013 du Parlement européen et du Conseil du 15 janvier 2013 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à deux ou trois roues et des quadricycles ; Règlement (UE) n° 167/2013 du Parlement européen et du Conseil du 5 février 2013 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules agricoles et forestiers ; Règlement (UE) 2018/858 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la réception et à la surveillance du marché des véhicules à moteur et de leurs remorques, ainsi que des systèmes, composants et entités techniques distinctes destinés à ces véhicules, modifiant les règlements (CE) n° 715/2007 et (CE) n° 595/2009 et abrogeant la directive 2007/46/CE ; Règlement (UE) 2019/1020 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 sur la surveillance du marché et la conformité des produits, et modifiant la directive 2004/42/CE et les règlements (CE) n° 765/2008 et (UE) n° 305/2011.

[2] Cf. l’Arrêté, Art. 1er.

[3] cf. article 8§12 du règlement n°2018/858 ; article 19, §4, du règlement n°768/2008 ; article 11, §2, du règlement n°2019/1020.

[4] A défaut de choix de la part de l’opérateur, les deux experts sont désignés par le SSMVM.

[5] Les articles L. 441-1 et L. 454-1 à L. 454-5 du code de la consommation relatifs à la tromperie.