Le 23 juillet 2020, l’Autorité de la concurrence a publié ses nouvelles lignes directrices en matière de contrôle des concentrations qui remplacent les précédentes en date du 10 juillet 2013. Applicables immédiatement, les nouvelles lignes directrices, plus structurées, intègrent la pratique décisionnelle récente de l’AdlC (notamment les décisions Altice, FNAC/Darty, ou encore Emil Frey), les apports majeurs des autorités de contrôle européennes (cf. Affaires Austria Asphalt, Marine Harvest, sur la notion de concentration) ainsi que la jurisprudence du Conseil d’État.

Reflétant les principaux axes de l’activité de l’Autorité, les lignes directrices se voient principalement complétées sur la procédure (I) et l’examen au fond d’une opération de concentration (II)

I. La procédure

Les nouvelles lignes directrices reviennent d’abord sur les contraintes procédurales qui s’imposent aux entreprises qui déposent un projet de concentration. Le texte développe en particulier les obligations de notification et de suspension de l’opération, ainsi que sur leurs sanctions prévues par l’article L. 430-8 (défaut de notification, omission ou déclaration inexacte, réalisation anticipée de l’opération). Les nouvelles lignes directrices consacrent ainsi l’infraction de gun jumping dont la décision Altice 16-D-24 du 8 novembre 2016 constituait le premier cas d’école en France. Les lignes directrices prennent en considération certaines contributions envoyées en réponse aux consultations publiques lancées par l’Autorité. Ainsi, afin d‘anticiper la notification d’une concentration, les entreprises peuvent désormais se rapprocher du service des concentrations en vue d’adresser par courrier électronique une demande (facultative) de désignation d’un rapporteur, en charge de l’examen du dossier, qui doit comporter certains éléments (désormais énoncés au point 189) dont les coordonnées des parties et leurs conseils et la description précise de l’opération. Dans les cinq jours ouvrés, le nom de l’adjoint au chef de service chargé de l’examen du dossier est communiqué à la partie notifiante. Pour plus de sécurité juridique, le texte prévoit désormais une réponse sur la complétude (ou l’incomplétude) du dossier de notification dans un délai de 10 jours ouvrés après notification (point 207), ainsi qu’un autre délai de dix jours ouvrés (point 232) pour indiquer à la partie notifiante si le projet de concentration peut être traité selon la procédure simplifiée 

Après avoir rappelé la possibilité de pré-notifier l’opération (points 191 à 200) – y compris en cas de renvoi à la Commission -, le texte décrit la procédure de dépôt en version papier du dossier de notification, ainsi que la nouvelle procédure de notification dématérialisée (points 234 à 238) ouverte aux concentrations soit réalisées dans le commerce de détail, à condition qu’elles n’entraînent pas un changement d’enseigne, soit qui ne se traduisent pas par un chevauchement d’activités, quelle que soit sa nature horizontale, verticale ou conglomérale.

Indiquant les différents éléments devant figurer au dossier de notification, le texte rappelle que son contenu peut être allégé pour les entreprises qui procèdent à un nombre important de notifications par an, comme des fonds d’investissement ou des acteurs importants du commerce de détail. Apport inédit, les nouvelles lignes directrices identifient les opérations qui ne sont pas susceptibles a priori de porter atteinte à la concurrence et qui, en tant que telles, sont éligibles à la procédure simplifiée (point 230).

« Le contenu du dossier de notification peut également être allégé pour les opérations suivantes (…) :

– lorsque la part de marché cumulée des entreprises concernées est inférieure à 25 % sur des marchés définis de manière constante par la pratique décisionnelle ;

– en cas de chevauchement d’activité entre les parties, lorsque la part de marché cumulée des entreprises concernées est inférieure à 50 % et l’addition de parts de marché résultant de l’opération inférieure à 2 points sur des marchés définis de manière constante par la pratique décisionnelle ;

– en cas de présence sur des marchés liés verticalement, lorsque la part de marché cumulée des entreprises concernées sur ces marchés est inférieure à 30 % sur des marchés définis de manière constante par la pratique décisionnelle ;

– en cas de présence sur des marchés connexes, lorsque les parts de marché des entreprises concernées sur les marchés liés sont inférieures à 30 % sur des marchés définis de manière constante par la pratique décisionnelle ;

– en cas d’acquisition de contrôle exclusif d’entreprises, lorsque l’acquéreur exerçait un contrôle conjoint de la cible préalablement à l’opération ;

– lorsque l’opération porte sur la création d’une entreprise commune de plein exercice exclusivement active en dehors du territoire national ;

– lorsque l’opération concerne la prise de contrôle conjoint d’un actif immobilier en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) ».

Après avoir décrit les phases I et II de la procédure, les lignes directrices reviennent sur le pouvoir d’évocation du ministre de l’Économie en y intégrant la décision Agripole du 19 juillet 2018, par laquelle le ministre a autorisé une concentration que l’Autorité avait soumise précédemment à une condition de cession.

Le nouveau texte développe les mesures correctives susceptibles d’être adoptées dans le cadre du contrôle des concentrations (points 351 et suivants) – engagements pris par la partie notifiante en amont de la phase I ou lors de celle-ci (art. L. 430-5, II, c. com.) ou de la phase II (art. L. 430-7, II), injonction pour défaut d’engagement suffisants ou inexécution d’engagements (art. L. 430-7, III) imposée par l’Autorité en cours de phase II uniquement -, liste les remèdes de nature structurelle – dont les engagements « fix-it-first » auxquels l’Autorité a dernièrement eu recours à plusieurs reprises ou comportementale desdits remèdes (V. récemment AdlC, 29 janv. 2019, 19-DCC-15, et 26 mai 2020, GBL, non encore publiée – et comportementale, et codifie la pratique décisionnelle en matière de suivi (points 420 s.), de réexamen de mesures correctives (points 442 s.) et de non-respect des engagements (points 456 s.). Les recours devant le Conseil d’État sont également largement abordés au points 471 à 499.

II. L’examen au fond d‘une opération de concentration

Concernant la délimitation du marché de produits ou de services (points 524 à 536) et du marché géographique (points 536 à 551), le nouveau texte reprend la méthode exposée dans les précédentes lignes directrices, c’est-à-dire l’utilisation de critères qualitatifs et quantitatifs, pouvant parfois être complétés par le recours à des méthodes quantitatives (points  552 à 562). En revanche, les nouvelles lignes directrices ont été refondues, quelle que soit la nature horizontale, verticale ou conglomérale de l’opération examinée, afin de rendre plus prévisibles aux entreprises les éléments susceptibles d’être pris en considération par l’Autorité lors de l’analyse des effets d’une concentration. En vue d’évaluer le pouvoir de marché de la nouvelle entité, l’Autorité indique se référer aux caractéristiques des marchés concernés, telles que les parts de marché et le degré de concentration du marché – déjà abordées dans les précédentes lignes directrices – mais aussi aux caractéristiques des entreprises (points 574 à 583 : leur taille et l’étendue de leurs activités sur le marché concerné ; leurs activités sur des marchés connexes ; la structure de leurs coûts et leur niveau de marges ; leurs capacités de production ; leur comportement concurrentiel ; leurs possibles liens avec d’autres entreprises sur le marché examiné ; leur capacité d’expansion/risque de déclin), aux caractéristiques des produits ou services concernés (points 584 à 588 : leur place occupée dans la chaîne de production, leur nature à contraindre les échanges, leur degré de différenciation, laquelle peut s’apprécier à partir des ratios de diversion), aux caractéristiques des clients ou des fournisseurs des parties (points 589 à 592 : leur nombre et degré de concentration; leur capacité à discipliner la nouvelle entité ; leur sensibilité au prix), aux caractéristiques du marché et à ses modalités de fonctionnement(points 593 à 600 : stabilité ; degré de transparence ; nature des relations entre offreurs et demandeurs ; existence de coordination actuelle ou passée), aux sources de concurrence potentielle (points 601 à 613 : barrières à l’entrée liées à la réglementation, à la protection de la propriété intellectuelle, à l’accès à certaines données, à l’importance des coûts d’entrée sur le marché ou de changement de fournisseurs, à l’existence d’effets de réseau, à la signature de contrats d’approvisionnement ou de distribution de longue durée, sachant que la dimension temporelle d’une entrée sur un marché dépend des caractéristiques du secteur concerné et des évolutions plus ou moins rapides pouvant caractériser celui-ci).

Comme dans ses précédentes lignes directrices, l’Autorité procède ensuite à une analyse par type d’effets anticoncurrentiels concernés – effets horizontaux (points 614 à 667), y compris sur des marchés bifaces ou sur un marché d’appel d’offres ; effets verticaux (points 668 à 710) ;  effets congloméraux ; création ou renforcement d’une puissance d’achat (points 731 à 736) ; effets coordonnés en général (points 737 à 751), et plus spécifiquement dans le cadre de concentrations verticales et conglomérales (points 752 à 754), ou en lien avec la création d’entreprises communes de plein exercice (points 755 à 766) – en indiquant dans chacun de ces cas, la nature de ces effets et les critères utilisés pour les évaluer.

Enfin, les lignes directrices incluent de nouvelles annexes portant sur l’analyse locale des effets d’une concentration réalisée dans le secteur du commerce de détail (points 822 à 837), sur la prise en considération de la pression concurrentielle exercée par les ventes en ligne dans le cadre d’une concentration dans le secteur de la distribution au détail (points 838 à 841), sur les demandes de documents internes que l’Autorité peut être amenée à réclamer en cours d’instruction (points 842 à 848), sur un modèle d’engagement de cession (points 849 à 891) et un modèle de contrat de mandat (points 892 à 938) à jour de la pratique décisionnelle de l’Autorité.