Le premier président de la Cour d’appel de Paris vient de rendre une décision extrêmement encourageante pour les entreprises soumises aux enquêtes de concurrence, dans un contexte marqué, depuis de trop longues années, par une validation jurisprudentielle quasi-systématique des mesures prises par l’Administration.

On le sait, les décisions d’annulation d’opérations de visites et saisies sont extrêmement rares. Hormis le cas de l’atteinte portée au droit à l’assistance d’un avocat (Paris, 28 mars 2018, LawLex201800000552JBJ ; Cass. crim., 4 mai 2017, LawLex201700000787JBJ ; 25 juin 2014, LawLex201400002158JBJ), aucun argument ne semblait jusqu’à présent avoir de portée.

De fait, s’agissant de la validité de l’ordonnance d’autorisation, la jurisprudence rejette avec constance les griefs tirés de :

  • l’insuffisance des indices rassemblés par l’Administration (Bordeaux, 28 janvier 2020, LawLex202000000194JBJ ; Paris, 13 janvier 2016, LawLex201600000162JBJ) ;
  • l’origine illicite des documents présentés (Paris, 8 novembre 2017, LawLex201700001852JBJ ; Cass. crim., 11 juillet 2017, LawLex201700001237JBJ ; Paris, 13 janvier 2016, LawLex20160000148JBJ ; Bordeaux, 8 avril 2014, LawLex20140000595JBJ ; Paris, 30 octobre 2013, LawLex201300001579JBJ) ;
  • la déloyauté de l’Administration, lorsqu’elle ne transmet pas au juge l’intégralité des informations en sa possession (Versailles, 28 juin 2018, LawLex201800000999JBJ ; Cass. crim., 21 mars 2018, LawLex201800000505JBJ ; 11 juillet 2017, LawLex201700001240JBJ) ;
  • l’élargissement disproportionné du champ des recherches par rapport aux indices présentés (Bordeaux, 28 janvier 2020, LawLex202000000194JBJ ; 8 novembre 2017, LawLex201700001852JBJ) ;
  • l’absence de vérification des documents présentés par l’Administration (Versailles, 28 novembre 2019, LawLex201900001480JBJ) ou du caractère pré-rédigé des ordonnances (Paris, 28 mars 2018, LawLex201800000552JBJ ; 8 novembre 2017, LawLex201700001852JBJ ; Cass. crim., 24 avril 2013,LawLex201300000756JBJ) ;
  • l’existence d’engagements pris par les entreprises concernées devant l’Autorité de la concurrence avant la demande d’autorisation (Cass. crim., 11 juillet 2017, LawLex201700001240JBJ).

Trop souvent, les juges refusent également de sanctionner les irrégularités commises au cours des investigations :

  • saisies massives et indifférenciées (Cass. crim., 8 novembre 2017, LawLex201700001832JBJ ; 8 mars 2017, LawLex20170000486JBJ) ;
  • absence d’association des avocats de l’entreprise à la sélection des documents saisis (Cass. crim., 8 novembre 2017, LawLex201700001832JBJ ; Paris, 8 novembre 2017, LawLex201700001816JBJ ; 19 avril 2017, LawLex20170000741JBJ) ;
  • absence d’inventaire exhaustif et précis des pièces saisies (Paris, 11 décembre 2019, LawLex201900001548JBJ ; Cass. crim., 20 décembre 2017, LawLex201700002138JBJ ; 8 novembre 2017, LawLex201700001832JBJ) ;
  • durée excessive des opérations (Paris, 19 avril 2017, LawLex20170000741JBJ ; Cass. crim., 21 sept. 2011, LawLex201100001671JBJ) ;
  • absence de recours à la procédure des scellés provisoires (Cass. crim., 8 novembre 2017, LawLex201700001832JBJ ; 28 juin 2017, LawLex201700001165JBJ ; 14 décembre 2015, LawLex201500001278JBJ) ;
  • absence de l’officier de police judiciaire lors de l’ouverture des scellés provisoires (Paris, 11 décembre 2019, LawLex201900001552JBJ ; Cass. crim., 5 décembre 2018, LawLex201800001972JBJ)
  • absence d’accès direct au juge (Cass. crim., 21 mars 2018, LawLex20180000505JBJ ; 28 juin 2017, LawLex201700001165JBJ).

Enfin, même si la saisie de documents couverts par le legal privilege, dont la portée s’avère très restreinte (Paris, 19 juin 2019, LawLex20190000835JBJ ; 10 avril 2019, LawLex20190000550JBJ; Versailles, 28 juin 2018, LawLex20180000999JBJ) ou le secret dû à la vie privée des personnels de l’entreprise est jugée irrégulière, elle n’entraîne toujours pas l’annulation de la procédure elle-même, mais seulement celle des saisies en cause (Versailles, 28 juin 2018, préc. ; Cass. crim., 8 novembre 2017, LawLex201700001832JBJ ; Cour EDH, 21 mars 2017, LawLex20170000725JBJ).

Un mouvement se dessine toutefois, dans lequel s’inscrit l’arrêt du 7 octobre 2020, tendant à un contrôle plus effectif des ordonnances d’autorisation et du déroulement des opérations.

Dans cet arrêt, après avoir rappelé que les droits de la défense doivent être respectés « dès le stade de l’enquête préalable », la cour d’appel a constaté que certaines des pièces sur lesquelles l’Administration fondait sa demande d’autorisation n’avaient pas été annexées à sa requête. Dès lors, comme le relève le juge, l’entreprise n’était pas mise en mesure de les consulter, contrairement aux énonciations de l’ordonnance, selon lesquelles « l’entreprise visée par l’ordonnance peut, à compter de la date de la visite et des saisies dans ses locaux, consulter la requête et les documents annexés au greffe de la juridiction ». La Cour en conclut que cette situation est constitutive d’une violation des droits de la défense de l’entreprise.

Cette solution n’est pas sans rappeler celle retenue par un arrêt récent rendu par la Cour d’appel de Papeete, selon lequel l’absence d’accès des entreprises visitées aux annexes de la demande viole le principe du contradictoire, en les empêchant de discuter des données qu’elles contiennent devant le premier président de la cour d’appel. En effet, selon la cour, « il est de principe que le premier président doit contrôler que le juge des libertés et de la détention a vérifié l’existence d’indices sur la seule base des éléments qui seront ensuite soumis au débat contradictoire » (Papeete, 4 décembre 2019, LawLex201900001515JBJ).

Mais la Cour d’appel de Paris ne s’arrête pas là. De façon très inhabituelle, elle se livre à un contrôle poussé du bien-fondé de l’ordonnance. Après avoir observé que celle-ci « reprend in extenso la motivation de la requête de l’ADLC », la Cour estime que l’Autorité de la concurrence ne pouvait nullement tirer la conclusion de la détention d’une position dominante par l’entreprise concernée des pièces versées au dossier. S’agissant de la caractérisation des pratiques reprochées à l’entreprise, le juge souligne que celle-ci s’appuie sur 6 annexes, constituées pour la plupart d’échanges de mails peu précis et tirés de leur contexte et de la plainte d’une société en litige commercial avec l’entreprise.

Selon la Cour, les pièces annexées à la requête de l’ADLC étaient donc insuffisantes pour établir les indices des pratiques anticoncurrentielles présumées. Elle note d’ailleurs que « dans ses écritures, l’ADLC semble admettre le caractère faible du dossier, puisqu’elle indique que « le dossier n’était pas particulièrement volumineux (14 pièces annexées à la requête) », pour expliquer que « 5 jours » ont suffi au JLD pour rendre sa décision (en réalité 3 jours ouvrables) ». Dès lors, la Cour considère que le juge des libertés et de la détention n’a pas procédé à la vérification du fondement de la requête de l’Autorité, conformément à l’article L. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce, et annule l’ordonnance, ainsi que les visites domiciliaires effectuées en application de celle-ci.

Cette affaire montre qu’il existe désormais un véritable intérêt pour les entreprises à contester les ordonnances d’autorisation. De nouvelles voies s’ouvrent à elles : la violation du principe du contradictoire et le contrôle effectif des présomptions d’agissements anticoncurrentiels. Celles-ci s’ajoutent à la possibilité, récemment reconnue par la jurisprudence, de discuter la valeur de pièces anonymisées présentées au soutien de la requête, lorsque celles-ci ne sont corroborées par aucun autre élément (V. Cass. crim., 18 décembre 2019, LawLex201900001591JBJ).