La loi 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) en matière économique et financière a été publiée au JORF de ce matin.

Le texte est composé à la fois de dispositions qui entreront en vigueur dès le 5 décembre, et d’autorisations données au Gouvernement de prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la transposition de diverses directives européennes, comme la directive ECN+.

Sommaire :

I. Le droit des pratiques restrictives

II. La procédure de concurrence

I. Le droit des pratiques restrictives

a. Les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire

L’article 9 de la loi autorise le Gouvernement à transposer par ordonnance la directive 2019/633 du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire.

On s’en souvient, une semaine avant l’adoption de l’ordonnance du 24 avril 2019 qui réformait le droit des pratiques restrictives en le débarrassant d’une multitude d’incriminations, la directive européenne introduisait une nouvelle liste de pratiques prohibées per se ou autorisées sous conditions, qui chamboule rétroactivement le nouvel édifice institué par le législateur national. Le besoin d’harmonisation ne concernera que les pratiques imposées par les acheteurs aux fournisseurs dans la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire, ce qui nécessitera d’établir de nouvelles distinctions au sein des règles. En vertu de son article 9, la directive est d’harmonisation minimale : les Etats membres peuvent adopter ou maintenir des règles assurant un niveau de protection plus élevé aux fournisseurs.

C’est la voie que semble avoir choisie le législateur français. En effet, alors que la directive définit plusieurs fourchettes de chiffres d’affaires susceptibles de traduire une disproportion du pouvoir de négociation entre acheteurs et fournisseurs, la loi habilite le Gouvernement à transposer ses dispositions « de manière à ce qu’elle soit applicable aux relations entre fournisseurs et acheteurs dans la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire, sans condition de chiffre d’affaires » (c’est nous qui soulignons).

L’ordonnance de transposition devra être adoptée dans les 7 mois de la publication de la DDAUE, soit le 4 juin 2021 et un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.

b. Equité et transparence du traitement accordé par les plateformes en ligne aux entreprises utilisatrices

La loi DDAUE modifie par ailleurs immédiatement l’article L. 442-1 du Code de commerce pour tenir compte des dispositions du règlement 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, qui techniquement, est applicable directement, sans nécessiter de mesures de transposition.

L’article L. 442-1 est enrichi d’un III, aux termes duquel :

« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne proposant un service d’intermédiation en ligne au sens du règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, de ne pas respecter les obligations expressément prévues par le même règlement.
Toute clause ou pratique non expressément visée par ledit règlement est régie par les autres dispositions du présent titre ».

La méthode du renvoi aux dispositions du règlement, si elle présente le mérite de ne pas alourdir la rédaction de l’article L. 442-1, n’en facilite pas la lisibilité. Quelles sont les « obligations expressément prévues par le […] règlement », dont le non-respect est sanctionné par l’article L. 442-1, III ?

Le règlement impose aux fournisseurs de plateformes en ligne de nombreuses obligations destinées à protéger les entreprises utilisatrices de leurs services, qui ne sont pas sans rappeler les manquements reprochés à Amazon dans le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2019 (LawLex201900001011JBJ). Les plateformes devront :

• garantir que leurs conditions générales sont simples à comprendre et facilement disponibles pour les utilisateurs professionnels ;

• énoncer à l’avance les raisons possibles pour restreindre, suspendre ou résilier leurs services ;

• informer leurs utilisateurs professionnels au moins 15 jours à l’avance de toute modification de leurs conditions générales, sauf en cas de soumission à une obligation légale particulière ou pour faire face à des risques imprévus et imminents en matière de cybersécurité ;

• agir de bonne foi en s’abstenant de procéder à des changements rétroactifs de leurs conditions générales, en octroyant un droit de résiliation à leurs utilisateurs professionnels et en indiquant s’ils maintiennent un accès aux données de leurs entreprises utilisatrices une fois leur contrat résilié ;

• préciser si elles se réservent de quelconques droits relatifs à la propriété intellectuelle de leurs utilisateurs professionnels ou à la capacité de la plateforme à commercialiser les biens ou services de ces derniers hors de la plateforme concernée ;

• transmettre aux utilisateurs professionnels un exposé détaillé des motifs de la décision de restreindre, suspendre ou résilier leurs services ;

• veiller à ce que l’identité de leurs utilisateurs professionnels soit bien visible.

Par ailleurs, leurs conditions générales des plateformes devront présenter les principaux paramètres déterminant le classement ainsi que l’importance relative de ces paramètres par rapport à tous les autres paramètres et mentionner toute possibilité d’influencer le classement moyennant rémunération directe ou indirecte. Les GGV devront également décrire, notamment, l’ensemble des biens ou services accessoires que la plateforme proposer elle-même en complément des biens ou services de ses utilisateurs professionnels et indiquer tout traitement différencié qu’elle accorde à ses biens et services par rapport à ceux des utilisateurs professionnels.

Enfin, les fournisseurs de plateformes en ligne qui emploient plus de 50 personnes ou dont le chiffre d’affaires annuel atteint plus de 10 millions d’euros doivent établir et gérer un système interne de traitement des plaintes émises par des utilisateurs professionnels concernant les manquements à une obligation légale, spécifiée dans le règlement, ou concernant toute question technologique ou mesure prise par les fournisseurs ou tout comportement de la part de ces derniers qui pourraient affecter les entreprises utilisatrices. Le règlement impose un traitement rapide et efficace de ces plaintes.

L’article L. 470-1 est également complété pour prévoir que le non-respect des dispositions du règlement pourra faire l’objet d’une injonction par l’Administration, le cas échéant assortie d’une astreinte journalière et/ou une mesure de publicité.

II. La procédure de concurrence

a. La directive ECN+

L’article 37, I, de la loi DDADUE habilite le Gouvernement à transposer par ordonnance, dans un délai de six mois à compter de sa publication, les dispositions de la directive 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des Etats membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, dite directive ECN+. Un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.

b. Autres mesures

La loi DDADUE introduit de nouvelles mesures, non prévues par la directive ECN+, qui entreront en vigueur dès le 6 décembre.

• L’article L. 420-2-1 du Code de commerce, qui interdit aujourd’hui les exclusivités d’importation outre-mer, prohibera désormais également le fait, pour une entreprise exerçant une activité de grossiste importateur ou de commerce de détail ou pour un groupe d’entreprises dont au moins une des entités exerce une de ces activités, d’appliquer à l’encontre d’une entreprise dont elle ne détient aucune part du capital des conditions discriminatoires relatives à des produits ou services pour lesquels existe une situation d’exclusivité d’importation de fait.

• L’article L. 450-4, relatif aux enquêtes lourdes de concurrence, prévoit désormais que le même juge des libertés et de la détention pourra autoriser des visites et saisies sur tout le territoire national.

• L’article L. 461-3, dernier alinéa, relatif aux décisions que le président de l’Autorité de la concurrence peut prendre seul, ajoute la possibilité pour celui-ci de se saisir seul, d’office,des pratiques de gun jumping ainsi que des manquements aux engagements pris en application des décisions autorisant des opérations de concentration intervenues avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008. Il pourra aussi décider seul de la révision de décisions d’engagements prises en application de l’article L. 464-2.

• L’article L. 463-3, relatif à la procédure simplifiée, est modifié pour prévoir que le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence pourra décider que l’affaire sera examinée par l’Autorité sans établissement préalable d’un rapport, avant même la notification des griefs. Dans ce cas, la notification des griefs doit mentionner les déterminants de la sanction encourue. Par ailleurs, si le chiffre d’affaires cumulé réalisé en France lors du dernier exercice clos de l’ensemble des parties dépasse 200 millions d’euros et dès lors qu’au moins une des parties intéressées en formule la demande (dans les 30 jours de la notification des griefs), le délai de réponse à la notification des griefs pourra être allongé de deux mois. Au vu des observations des parties destinataires des griefs, le rapporteur général pourra réviser sa position et établir un rapport. Enfin, l’article L. 464-5, qui fixait un plafond de 750 000 euro à la sanction pécuniaire susceptible d’être infligée dans le cadre de la procédure simplifiée est abrogé.

• L’avis de clémence prévu par l’actuel article L. 464-2, IV, est supprimé.

• L’intervention du ministre s’agissant des micro-PAC de l’article L. 464-9 est étendue, puisque la condition d’affectation d’un marché local est supprimée. En revanche, comme le passé, le ministre ne sera pas compétent lorsque les articles 101 et 102 sont applicables.

• Les injonctions structurelles de l’article L. 725-27 applicables outre-mer sont également étendues. Elles pourront désormais être adressées aussi bien aux exploitants de commerces de gros que de magasins de commerce de détail. En outre, l’intervention de l’Autorité de la concurrence n’impliquera plus l’existence d’une « atteinte à une concurrence effective », mais seulement celle de « préoccupations de concurrence ».