En 2012, la société Betclic a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques abusives mises en œuvre par le GIE Pari Mutuel Urbain (PMU) dans le secteur des paris hippiques en ligne. La plainte intervenait dans le contexte de la libéralisation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne par la loi du 12 mai 2010, qui a toutefois permis au PMU de conserver son monopole sur les paris hippiques « en dur », c’est-à-dire enregistrés au sein de son réseau de points de vente. A l’issue de l’évaluation préliminaire, il est apparu que le PMU, titulaire d’un monopole sur le marché des paris hippiques en dur et en situation de concurrence sur le marché des paris hippiques en ligne, mutualisait dans une masse unique, pour chaque pari et chaque course, les mises passées en ligne avec celle enregistrées en dur, de sorte que les mises en dur, dix fois supérieures à celles en ligne, décuplaient la masse d’enjeux sur son site internet par rapport à celle dont il aurait disposé avec ses seules mises en ligne. La pratique de mutualisation des masses d’enjeux étant susceptible de constituer un abus de position dominante, l’opérateur a soumis à l’Autorité des engagements consistant principalement à séparer ses masses d’enjeux en dur et en ligne, que celle-ci a rendus obligatoires par la décision n°14-D-04 du 25 février 2014. Le 10 décembre 2015, le PMU a séparé, de façon effective, sa masse unique d’enjeux entre ses activités en dur et en ligne sur le marché français des paris hippiques.

Entretemps, le 16 juin 2015, Betclic a assigné le PMU devant le TGI de Paris au motif que la mutualisation des masses d’enjeux enregistrées en ligne et sur ses points de vente physiques en dur par le PMU, entre mai 2010 et décembre 2015, constituait une pratique anticoncurrentielle susceptible de donner lieu à réparation. Ayant obtenu gain de cause, le PMU a formé un recours contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 12 décembre 2018, qui a confirmé le jugement ainsi que la mesure d’expertise ordonnée en vue d’évaluer le préjudice de la société Betclic.

Le PMU a donc porté l’affaire devant la Cour de cassation.

Devant la Cour, le PMU soutenait notamment i) qu’une faute constitutive d’abus de position dominante ne peut résulter que d’un manquement à un devoir préexistant et que, ii) même au titre de sa responsabilité particulière, une entreprise dominante ne peut être regardée comme fautive envers ses concurrents de ne pas avoir immédiatement prévu la nécessité d’un changement de sa pratique, alors même que l’Autorité, après avoir procédé à une analyse approfondie de son activité et de la pratique en cause dans l’avis n° 11-A-02 du 20 janvier 2011, n’a initialement pas vu l’utilité ou la nécessité d’en recommander ou d’en prescrire la modification et ne l’a fait que bien plus tard.

En l’espèce, la Haute juridiction entérine le raisonnement de la Cour d’appel :  « il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne et des juridictions nationales que dans le cadre de la diversification des activités des opérateurs historiques, titulaires ou anciens titulaires d’un monopole légal, il est licite, pour une entreprise qui dispose d’une position dominante sur un marché en vertu d’un monopole légal, d’entrer sur un ou des marchés relevant de secteurs concurrentiels, à condition qu’elle n’abuse pas de sa position dominante pour restreindre, ou tenter de restreindre, l’accès au marché de ses concurrents en recourant à des moyens autres que la concurrence par les mérites ».

L’avis n°11-A-02 de l’Autorité répondait à des préoccupations générales tendant seulement à faciliter l’entrée des nouveaux opérateurs sur le marché des paris en ligne, récemment ouvert à la concurrence, et non à sanctionner des pratiques mises en œuvre par les opérateurs, de sorte que si l’Autorité n’avait pas qualifié la pratique en cause d’anticoncurrentielle à l’époque, elle avait identifié une préoccupation de concurrence liée à la mutualisation des masses d’enjeux, à laquelle elle a cherché à donner une solution, la difficulté à trouver alors un remède adapté n’étant pas de nature à exonérer le PMU de sa responsabilité, ni à ôter au comportement de celui-ci le caractère prévisible de son illicéité. Dans sa décision n° 14-D-04, l’Autorité a définitivement retenu la préoccupation de concurrence précédemment identifiée, considérant qu’en mutualisant ses masses d’enjeux, le PMU a utilisé les ressources de son monopole légal sur les paris hippiques dans son réseau physique pour renforcer son offre sur un marché ouvert à la concurrence, cette pratique étant susceptible d’avoir, sur le fonctionnement concurrentiel du marché des paris hippiques en ligne, un effet de captation de la demande et d’entrave pour les nouveaux entrants, doublé d’un effet d’éviction de ces opérateurs alternatifs.  Ce faisant, le PMU « a utilisé un avantage qui ne résultait pas de son efficacité passée mais de ses droits exclusifs lui permettant, sans que soit démontrée sa plus grande efficacité, de proposer les combinaisons de gains qui sont les plus valorisées par les parieurs ».

Dès lors, le PMU n’est pas fondé à invoquer une imprévisibilité de la loi qui résulterait de l’évolution des propositions de remède de l’Autorité, compte tenu de la jurisprudence sévère applicable aux monopoles publics intervenant sur des marchés nouvellement ouverts à la concurrence. Ceux-ci sont tenus à une particulière vigilance quant à l’utilisation des ressources du monopole sur ces marchés, même si la loi du 12 mai 2010 ne comporte pas d’interdiction expresse de mutualisation des masses d’enjeux. Est donc exactement caractérisé, selon la Haute juridiction, « la faute, commise par le PMU, résultant du manquement à son devoir de ne pas mettre en œuvre un comportement autre que ceux autorisés dans un mécanisme de concurrence par les mérites ayant pour effet de faire obstacle à l’entrée et au développement de concurrents sur le marché ».