La Cour d’appel de Versailles vient de rendre une décision importante en matière de prescription. L’expérience montre que les procès tardifs sont de plus en plus nombreux dans les affaires de distribution. Comme en l’espèce, il est désormais fréquent qu’un ancien distributeur intente une action en justice contre son ancien fournisseur en lui réclamant des sommes très importantes plus de 5 ans après les faits dont il se plaint.

Ces actions peuvent se révéler délicates pour l’ancienne tête de réseau. Alors que l’ancien distributeur peut avoir constitué et conservé au fil des années un dossier très complet, la mémoire des faits peut être plus difficile à reconstituer par le fournisseur, notamment en cas de réorganisation ou de turnover au sein de son entreprise. La situation peut être d’autant plus difficile à gérer que les demandes peuvent être multiples : remise en cause d’une résiliation, d’une réduction des encours, de la validité du contrat, des objectifs, de l’équilibre des clauses ou encore des variations de prix. D’autant que dans certains cas, la charge de la preuve peut reposer sur le fournisseur, notamment s’agissant de la justification des variations de prix tarifs lorsque le contrat lui réserve la faculté de les modifier en cours de contrat.

La prescription de 5 ans désormais de règle depuis la réforme de 2008 constitue une garantie. Néanmoins, l’on constate en pratique que la partie demanderesse cherchera bien souvent à retarder le point de départ de la prescription, notamment en faisant valoir que celle-ci ne court qu’à compter de la date où elle est en mesure de chiffrer précisément son préjudice, alors qu’en réalité, la prescription est déclenchée dès que la victime a conscience de la faute commise à son encontre (V. not. TGI Paris, 8 févr. 2018, LawLex18260, retenant que « la question du chiffrage du préjudice est indifférente quant à l’appréciation du caractère prescrit ou non de l’action »).

En l’espèce, un distributeur automobile avait vu son contrat résilié en avril 2009 avec un préavis de deux ans pour manque de performance commerciale, atteinte à l’image de la marque en raison de dysfonctionnements constatés tant au plan de l’accueil de la clientèle que du fonctionnement global de son activité de service après-vente et revente de véhicules non réglés au constructeur. Le 29 octobre 2010, il cédait son fonds de commerce à un tiers.

Le 29 octobre 2015, il assigne le constructeur en résiliation fautive et indemnisation du préjudice constitué par la perte de la valeur de son fonds de commerce. Par jugement du 8 septembre 2017, le tribunal de commerce de Versailles déboute le distributeur, faisant droit à l’argumentation du fournisseur qui soutenait que l’action était prescrite. Le distributeur a interjeté appel de cette décision. Quelques jours avant l’audience de plaidoirie, il fait une demande de placement en redressement judiciaire, alors qu’il n’exerce plus aucune activité depuis plusieurs années.

Devant la cour d’appel, pour tenter d’échapper à la prescription quinquennale, le distributeur soulève de multiples moyens :

– Il n’aurait pas eu connaissance immédiatement du montant du dommage et n’aurait pu le mesurer que lors de la cession définitive de son fonds de commerce en constatant une importante moins-value par rapport à sa valeur réelle ;

– La prescription aurait été interrompue par une procédure de conciliation avec les créanciers ;

– L’ouverture d’une procédure collective rendrait la prescription inopposable aux organes de la procédure.

La Cour d’appel de Versailles écarte ces différentes tentatives de contournement de la prescription.

En effet, l’article L. 110-4 du Code de commerce dispose que “ les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.”

L’article 2224 du Code civil prévoit quant à lui que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Le point de départ de la prescription en matière contractuelle court donc à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance.

Dès lors, la cour estime que l’action est doublement prescrite :

– la prescription a commencé à courir, si ce n’est dès la date de résiliation des contrats de distribution le 30 avril 2009, pour le moins à compter du 19 juillet 2010, date de la signature de la promesse de vente du fonds de commerce, connaissant alors la valeur estimée à 900 000 €, bien moindre que ce à quoi elle pensait pouvoir prétendre, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la signature de l’acte de cession, qui s’est concrétisée par le versement de la même somme (V. déjà, dans le même sens, Paris, 7 mars 2018, LawLex18394) ;

– même si la date retenue pour la connaissance des faits était le 29 octobre 2010, date de passation de l’acte de vente du fonds de commerce, l’assignation ne pouvait intervenir que le 28 octobre 2015 à minuit au plus tard pour interrompre la prescription.

Sur la question de l’interruption ou la suspension de la prescription, la cour considère que la procédure de conciliation qui était invoquée par l’ancien concessionnaire ne se rapporte pas au litige spécifique l’opposant à son ancien concédant, mais à d’autres créanciers, et qu’elle est dès lors sans effet sur le cours de la prescription.

Enfin, la cour considère que l’ouverture d’une procédure collective ne peut faire courir un nouveau délai de prescription à l’égard des organes de la procédure. En particulier, elle confirme que le mandataire judiciaire, qui ne fait qu’assister la société débitrice ou en représenter les intérêts, agit dans les conditions qui seraient opposables au débiteur qu’il représente. Ainsi, la cour conclut que l’action étant prescrite, cette prescription est opposable à son administrateur judiciaire.

PJ : l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 26 septembre 2019