La chambre distribution de la Cour d’appel de Paris vient de rendre un arrêt important en matière de droit de la distribution sélective le 24 juin 2020 entre un concédant (assisté par notre cabinet) et plusieurs sociétés d’exploitation et immobilières d’un groupe de distribution et de réparation automobile.

L’arrêt tranche un certain nombre de questions qui se posent habituellement à l’issue des contrats de  distribution mais apporte surtout des éléments intéressants et novateurs sur le régime du refus d’agrément au sein d’un réseau de distribution sélective.

Sommaire :

I. Les questions classiques

A. Sur l’absence de résiliation abusive et de mauvaise foi des contrats

B. Sur l’absence de responsabilité du concédant s’agissant de l’activité des appelantes pendant le préavis

II. L’absence de refus d’agrément fautif s’agissant des contrats de distribution et de réparation

A. L’absence de refus d’agrément fautif s’agissant des contrats de distribution

B. L’absence de refus d’agrément fautif s’agissant des contrats de réparation

I. Les questions classiques

A. Sur l’absence de résiliation abusive et de mauvaise foi des contrats

La cour d’appel a rejeté l’ensemble des arguments des appelantes et repris les motifs adoptés par le tribunal de commerce, relevant qu’il n’est pas démontré que l’importateur aurait agi de mauvaise foi et de manière abusive en résiliant les contrats, que ce soit au regard de la fixation des objectifs, du respect des standards ou des investissements liés. Elle a également jugé qu’il n’était pas établi que le concédant aurait entretenu les appelantes dans l’espoir de la poursuite des relations. Aucune mauvaise foi ne pouvait donc être retenue. Enfin, s’agissant des reproches fondés sur le défaut d’assistance dans la cession du fonds de commerce et le détournement du fichier clientèle, la cour a également relevé que ces éléments n’étaient pas démontrés.

B. Sur l’absence de responsabilité du concédant s’agissant de l’activité des appelantes pendant le préavis

La Cour a relevé qu’aucun manquement ou faute de la société concédante n’était démontré, et aucun lien de causalité établi, s’agissant de la fixation des objectifs pendant l’exécution du préavis, de la fixation de l’encours, du paiement comptant des véhicules, des problématiques de facturation ayant donné lieu à la procédure de référé d’heure à heure entre les parties et des départs de garantie ou de l’installation des nouvelles enseignes. La cour a donc rejeté l’ensemble des arguments des appelantes sur ces différents points.

II. L’absence de refus d’agrément fautif s’agissant des contrats de distribution et de réparation

A. L’absence de refus d’agrément fautif s’agissant des contrats de distribution

La cour est revenue longuement sur la problématique du refus d’agrément relatif aux contrats de distribution avant de conclure que ce refus d’agrément n’est pas fautif tant au regard du droit civil que du regard du droit des ententes.

a) Sur l’appréciation du refus d’agrément au regard du droit civil

La cour a estimé que les refus d’agrément à un réseau de distribution n’entraînaient pas la responsabilité du concédant dans la mesure où :

– l’exigence de bonne foi ne requiert pas de la part de la tête d’un réseau de distribution la détermination ni la mise en œuvre d’un processus de sélection des distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés, ni d’appliquer ceux-ci de manière non discriminatoire (Cass. com., 27 mars 2019, LawLex20190000420JBJ ; Paris, 5-4, 27 nov. 2019, LawLex201900001441JBJ) ;

– le concédant n’a pas entretenu les appelantes dans l’espoir d’un renouvellement, et n’a pas négocié de mauvaise foi ;

– le concédant ne s’est pas engagé à examiner la candidature des appelantes ;

– la liberté contractuelle permettait au concédant de ne pas contracter un nouveau contrat de distribution (V. not. Paris, 5-4, 27 mars 2019, LawLex20190000403JBJ ; 31 juill. 2019, LawLex20190000951JBJ).

La décision et sa motivation sont dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation et de précédents arrêts de la chambre distribution de la cour d’appel de Paris.

b) Sur l’appréciation du refus d’agrément au regard du droit de la concurrence

Le raisonnement suivi par la cour d’appel  est le suivant :

– le seul fait d’être membre d’un réseau de distribution ne vaut pas acquiescement tacite à une invitation unilatérale du fournisseur, d’autres indices devant montrer cet acquiescement ;

– ainsi, un refus d’agrément dans le cadre d’un contrat de distribution peut être un accord de volonté au sens du droit des ententes, en fonction des circonstances, ou un acte unilatéral ne relevant pas du droit des ententes ;

– en l’espèce, selon la cour, le nouveau distributeur avait nécessairement acquiescé à la politique de la tête de réseau de ne pas renouveler le contrat des sociétés appelantes, l’annonce de sa nomination ayant été faite avant l’expiration du préavis : il s’agit donc d’un accord de volontés ;

– la part de marché du concédant est inférieure à 30 % s’agissant de la distribution des véhicules ;

– le contrat de distribution ne contient pas de restrictions caractérisées ;

– s’agissant d’un contrat de distribution sélective quantitative, le fait qu’il existe des critères qualitatifs n’a aucune incidence et la tête de réseau n’a pas à justifier des raisons qui l’ont amenée à arrêter le numerus clausus, et peut refuser un agrément sans avoir évalué la candidature sur la base de critères qualitatifs sans perdre le bénéfice de l’exemption.

L’apport principal de l’arrêt est de considérer que l’accord entre le concédant et ses distributeurs sélectifs sur les critères d’agrément ne soumet pas nécessairement tout refus d’agrément au droit des ententes. Un refus d’agrément peut donc constituer un acte unilatéral (V. not. T. com. Paris, 29 juin 2016, LawLex201600001202JBJ ; 14 déc. 2016, LawLex20170000120JBJ). Tout dépend des circonstances. En l’espèce, un nouveau distributeur avait été agréé en vue de succéder à l’ancien à la fin du préavis avant le rejet de la candidature de l’ancien distributeur. La cour a donc considéré que le refus d’agrément résultait de l’accord avec ce nouveau concessionnaire mais était exempté de plein droit en vertu du règlement vertical, la part de marché du fournisseur étant inférieure à 30 % (V. déjà T. com. Paris, 29 juin 2016, LawLex20180000605JBJ ; Paris, 5-4, 20 déc. 2017, LawLex201700002136JBJ). Dans d’autres circonstances, notamment un refus d’agrément antérieur à la nomination du nouveau distributeur, si l’on suit la logique de la cour, le caractère unilatéral de la décision serait avéré. La cour admet donc le caractère unilatéral du refus d’agrément, sauf accord avec un autre membre du réseau, ce qui paraît une position plus juste que celle de l’Autorité de la concurrence (Aut. conc., 9 mai 2019, LawLex20190000681JBJ) ou de la chambre concurrence de la cour d’appel de Paris (Paris, 5-7, 4 juin 2020, LawLex20200000482JBJ).

B. L’absence de refus d’agrément fautif s’agissant des contrats de réparation

La cour a jugé que le contrat de réparation de l’une des deux sociétés avait été valablement résilié de manière extraordinaire compte tenu du manquement contractuel de cette société. Ces manquements rendaient ainsi impossibles la poursuite des relations avec cette société. S’agissant du contrat de sa société-sœur, la cour a jugé que compte tenu de la communauté de gérant entre les deux entités et de la coopération entre ces sociétés, la résiliation du contrat et le refus de nouvel agrément ne pouvaient être qualifiés de discriminatoires au sens du droit de la concurrence, peu important le respect des critères qualitatifs.

De façon générale, cet arrêt nous semble très intéressant, dans la mesure où il est très détaillé et le raisonnement suivi par la cour très fourni et motivé. Nous relevons avec intérêt le raisonnement suivi par la cour s’agissant de la nature du refus d’agrément, ainsi que de la possibilité de ne pas agréer une société en raison des fautes de sa société sœur qui partage le même gérant.