Le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2023-855 DC sur la Loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, a censuré le paragraphe IV de l’article 49 de la Loi au motif qu’une telle disposition constituerait un cavalier législatif.

Le Conseil constitutionnel rappelle les termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». S’ensuit une analyse relativement détaillée des sept titres du projet de loi déposé le 3 mai 2023 sur le bureau du Sénat, première assemblée saisie.

Le titre de V du projet de loi avait trait « aux fonctions civiles du juge des libertés et de la détention, prévoyait la mise en place d’une plateforme dématérialisée pour l’envoi et la réception de certains actes de procédure, réformait la procédure de saisie des rémunérations et la procédure de légalisation des actes publics étrangers, fixait le niveau de qualification requis pour accéder à la profession d’avocat, modifiait certaines dispositions relatives aux tarifs réglementés des greffiers des tribunaux de commerce et prolongeait une habilitation à réformer par ordonnance le droit de la publicité foncière ». Le paragraphe censuré a d’abord été introduit en première lecture comme amendement à l’article 19 du projet de loi. L’article apparaissait sous le Titre V relatif Dispositions relatives au droit civil et aux professions et plus précisément au Chapitre II intitulé « diverses dispositions portant modernisations processuelles et relatives aux professions ».

Dès lors, le Conseil constitutionnel considère que le paragraphe IV de l’article 49 ne présente pas de lien, même indirect, avec les dispositions de l’article 19 du projet de loi initial, relatif au diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat. Il ne présente pas non plus, selon lui, de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.

L’argument procédural a notamment été soulevé par des observations des membres du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale ainsi que par certaines contributions extérieures telles celles du Syndicat de la magistrature (p. 113) ou dans une optique défendant la régularité de la procédure par une contribution rassemblant les principaux groupes favorables à la confidentialité des consultations juridiques réalisées par des juristes d’entreprises (pp. 53-57).

Le Conseil constitutionnel ne motive cependant pas véritablement sa décision. En effet, il a été avancé que la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a pour objet principal de mettre en œuvre les travaux des Etats généraux de la Justice et que son périmètre englobe plusieurs sujets ayant été examinés dans ce cadre, ce qui expliquerait la diversité des mesures contenues dans le texte initial. En effet, les paragraphes nouveaux de l’article 49 figurent dans un chapitre comprenant diverses dispositions portant modernisation processuelle et relatives aux professions de droit. Or, les juristes d’entreprises sont également membres d’une profession juridique au sens de la loi du 31 décembre 1971, dont l’article 58 reconnaît la fonction et définit le périmètre. Dès lors, l’inclusion de la protection de la confidentialité de leurs avis n’apparaissait pas totalement hors sujet.

La décision du Conseil constitutionnel n’a pas eu à se prononcer sur le fond des griefs avancés par les auteurs de la saisine, à savoir que l’ouverture du secret professionnel aux juristes serait contraire à la Constitution, car elle ne permettrait pas la garantie de l’ordre public économique et de manière incidente empêcherait la réalisation de l’objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infraction.

De tels griefs sont particulièrement mal fondés. L’on ne voit pas comment la confidentialité des avis des juristes d’entreprise irait à l’encontre de l’ordre public économique puisqu’elle a au contraire pour objet de permettre à l’entreprise de respecter ses obligations de conformité et d’exercer ses activités dans le respect du droit. Les conseils des juristes, agents de la conformité au sein de l’entreprise, sont protégés afin que les juristes puissent conseiller les dirigeants sur le respect du droit sans avoir à craindre que leurs conseils ne soient utilisés par la suite comme une présomption d’infraction. L’on ne voit pas non plus comment la confidentialité pourrait empêcher la recherche des auteurs d’infractions compte tenu de l’ensemble des garde-fous qui avaient été insérés dans la loi. En effet, la confidentialité était limitée aux avis de juristes qui remplissent des conditions de diplôme et de formation initiale et continue en déontologie, ne couvrait que les consultations destinées aux dirigeants de l’entreprise, était soumise à des conditions de forme d’une extrême rigueur (mention « confidentiel-consultation juridique–juriste d’entreprise » avec une obligation d’identification et de traçabilité sous peine de lourdes sanctions) et ne s’appliquait qu’en matière civile, commerciale et administrative puisque les procédures fiscales et pénales en étaient exclues. Enfin, la loi avait prévu des procédures de mainlevée de la confidentialité en cas de participation ou d’encouragement à l’infraction par le juriste. Il n’y avait donc aucun risque d’atteinte à la recherche des auteurs d’infraction, mais simplement prévention d’infractions permettant de les éviter ab initio.

Si le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur ces questions, il sera certainement rapidement conduit à le faire car les dispositions écartées seront probablement réintroduites dans un nouveau texte.