Le règlement européen qui détermine notamment les conditions d’exemption des réseaux de distribution au regard du droit des ententes expire en mai 2022. La dernière consultation de la Commission clôturée le 26 mars 2021 a identifié huit questions importantes ou thèmes faisant débat, mais d’autres problèmes se posent aussi. Vous trouverez ci-joint une analyse des questions évoquées dans la consultation de la Commission qui seront déterminantes pour la rédaction du règlement et de ses lignes directrices dont le projet est attendu cet été ou à la rentrée.

1. Le règlement restrictions verticales (Règlement 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOUE L 102 du 23 avr. 2010, 1) constitue l’un des textes les plus importants du droit de la concurrence puisqu’il détermine les conditions d’exemption par catégorie de tous les accords verticaux contenant des restrictions verticales de concurrence, en particulier les accords de distribution.

2. Dès lors que les têtes de réseau et leurs distributeurs souhaitent bénéficier de l’exemption par catégorie de leurs accords par souci de sécurité juridique et que les droits nationaux s’inspirent eux-mêmes du règlement et de ses lignes directrices en tant que guide d’analyse lorsque le droit de la concurrence de l’UE n’est pas applicable à leurs accords (V. not. en France, Déc. Cons. conc., n° 00-D-82 du 26 févr. 2001, LawLex200200002680JBJ ; n° 01-D-45 du 19 juil. 2001, LawLex200200002335JBJ ; n° 02-D-01 du 22 janv. 2002, LawLex200200002248JBJ ; n° 02-D-36 du 14 juin 2002, LawLex200200002181JBJ ; n° 03-D-39 du 4 sept. 2003, LawLex200300003480JBJ), ce règlement modèle le contenu de l’ensemble des accords de distribution en France et en Europe.

3. Dans la perspective de son expiration en 2022, la Commission a engagé depuis fin 2018 une procédure d’évaluation et de révision qui a déjà donné lieu à de multiples consultations et rapports. Dans sa dernière consultation en date, clôturée le 26 mars 2021, elle a relevé huit questions importantes ou autres thèmes faisant débat. Les questions relevées par la Commission sont fondamentales pour l’efficience et la sécurité juridique des réseaux de distribution et des accords verticaux mais ne doivent pas occulter la nécessité de clarification et de réformes allant au-delà des huit thèmes identifiés par la Commission dans sa consultation.

Les questions faisant débat selon la Commission

Les questions principales identifiées par la Commission

1) La distribution duale (ou mixte)

4. La distribution duale ou mixte correspond au schéma dans lequel la commercialisation de produits ou de services aux clients finals est effectuée à la fois par les distributeurs membres du réseau et directement par le producteur tête de réseau. Ce mode de distribution est actuellement exempté de plein droit par l’article 2(4) du règlement « lorsque des entreprises concluent entre elles un accord vertical non réciproque et que : a) le fournisseur est un producteur et un distributeur de biens, tandis que l’acheteur est un distributeur et non une entreprise qui fabrique des biens concurrents ». L’article 2(4)b du règlement duplique l’exemption à la distribution duale portant sur des services.

5. La distribution duale n’a pratiquement donné lieu à aucune difficulté au cours des dix dernières années en droit de la concurrence. Les seules décisions récentes importantes en la matière ont été rendues par l’autorité danoise de la concurrence à propos d’échanges d’informations sensibles entre Hugo Boss et deux de ses distributeurs (DCC, 24 juin 2020, Hugo Boss/Haufmann et Grisborg, Concurrences, juin 2020). Selon l’autorité danoise, ces échanges d’informations horizontaux n’étaient pas couverts par le règlement d’exemption.

6. Le sujet de la distribution duale a émergé de façon plus sensible dans le Commission Staff Working Document du 8 septembre 2020 (p. 156-159). Ont notamment été signalées : la portée de l’exemption quant aux échanges d’informations entre fournisseurs et distributeurs, la nécessité d’étendre l’exemption aux accords entre importateurs privés et distributeurs d’une part et entre grossistes et distributeurs d’autre part, l’incertitude de la portée de l’exemption au titre du règlement vertical par rapport aux Lignes directrices horizontales, la question de l’application du règlement aux marques distributeurs et la notion de concurrent potentiel. La Commission s’est également interrogée sur l’application de l’exception de distribution duale aux plateformes hybrides et aux fournisseurs de services qui les achètent upstream. Enfin, certains concessionnaires automobiles, inquiets de la possible croissance des ventes directes des constructeurs, ont demandé que l’exemption soit conditionnée à un pourcentage maximum des ventes directes des constructeurs par rapport à leurs ventes totales, par exemple 20 %. La question a été abordée de façon encore plus précise dans l’Inception Impact Assessment de la Commission publié fin octobre 2020 comme le premier thème majeur impliquant une analyse plus approfondie dans le cadre de la révision du règlement.

7. Dans la consultation de la Commission lancée du 18 décembre 2020 au 26 mars 2021, la distribution duale est évoquée en numéro 1 des thèmes centraux de réflexion avec 4 options législatives allant du statu quo à l’absence d’exemption par catégorie, en passant par son extension aux importateurs privés et aux grossistes disposant d’un réseau de distribution ou à la subordination de l’exemption à une part de marché sur le marché aval de la distribution aux clients finals de moins de 20 %.

8. L’abrogation de l’exemption par catégorie de la distribution duale ou sa soumission à des conditions de parts de marché impossibles à remplir ou à démontrer apparaissent clairement injustifiées. Le travail intense de lobbying mené contre la distribution duale est d’autant plus discutable qu’aucun des postulats ou des critiques des adversaires de la distribution duale n’apparaît fondé.

9. Contrairement à ce qui est affirmé par ses adversaires, la distribution duale n’est pas du tout un phénomène nouveau. Elle existe depuis longtemps et de façon répandue dans la plupart des secteurs de l’économie : la restauration rapide, la grande distribution, les parfums, les cosmétiques, les vêtements, les chaussures, le matériel électrique, les voitures, les motos, les cycles, les pneus, les fleurs, etc. Il s’agit donc d’un mode de distribution généralisé pratiqué par la quasi-totalité des réseaux de distribution.

10. Il s’agit d’une forme de distribution souvent indispensable. Certains systèmes de distribution sont même duals par nature, comme la franchise, largement répandue, qui implique la mise au point et le développement d’un savoir-faire expérimenté dans ses propres magasins avant sa duplication par les franchisés. La distribution duale permet à un réseau de répondre de façon optimale aux besoins différenciés des acheteurs. Dans certains cas, le fournisseur est le mieux placé pour répondre à la demande finale, notamment dans le cas d’acheteurs importants demandeurs de négociation centralisée et de prix bas ; dans d’autres nécessitant une distribution physique, c’est le distributeur implanté localement qui est le mieux à même d’y répondre. L’analyse économique du droit a démontré que la distribution duale constituait un mode optimal de distribution. Il résulte des travaux fondés sur la théorie de l’agence et les coûts de transaction que la coexistence des deux formes de distribution s’explique par la recherche de l’efficience (J. G. Combs et D. J. Ketchen, Why do firms use franchising as an entrepreneurial strategy?, J. Manage., 29(3) (2003), 443-465). Le distributeur indépendant est en mesure de minimiser les coûts de recherche et de fonctionnement (A. P. Minkler, An empirical analysis of a firm’s decision to franchise, Econom. Lee., 34(1) (1990), 77-82) tandis que les magasins exploités en propre exigeront d’importants coûts de contrôle (N. T. Gallini et N. A. Lutz, Dual distribution and royalty fees in franchising, J. Law Econ. Organ., 8(3) (1992), 471-501). Cependant, en présence d’un grand nombre de clients occasionnels, le franchisé peut être incité à réduire la qualité au détriment de la marque, ce qui conduit la tête de réseau à préférer recourir à des magasins en propre, ce qui a été vérifié tant aux Etats-Unis qu’en Europe (N. E. Freiwald, S. Juranek et U. Walz, On the economic geography of dual distribution – the case of McDonald’s in Germany, Economics Letters, Vol. 101, Juin 2020).

11. Il n’existe aucune tendance irrémédiable ou inéluctable vers un modèle de vente directe qu’il conviendrait d’empêcher. L’observation concrète de la vie réelle des réseaux démontre au contraire que les têtes de réseau n’hésitent pas à revenir à des formes de distribution par des distributeurs indépendants en remplacement de la vente directe par le fournisseur : Carrefour vient de passer en location-gérance au profit d’indépendants vingt-deux hypermarchés déficitaires en rompant avec le dogme d’un parc d’hypermarchés 100% intégrés, en misant sur une gestion plus entrepreneuriale et une meilleure maîtrise des coûts par des indépendants, entrepreneurs schumpétériens motivés, sans perte de parts de marché ni de puissance d’achat pour l’enseigne (M. Bartnik, Carrefour mise sur la location-gérance pour relancer ses hypermarchés, Le Figaro Eco, 22 avr. 2021, 22). La filiale de distribution de Renault, RRG, a quant à elle entamé depuis 2020 un large mouvement de cession de ses succursales au profit d’investisseurs privés (B. Jullien, La dé-succursalisation confirme la résilience de la distribution, autoactu.com, 15 mars 2021).

12. Il n’existe donc aucune raison économique ou concurrentielle de ne plus exempter la distribution duale ou de la limiter à un seuil de 20% en aval. Ces mesures radicales et inutiles priveraient en outre le règlement d’exemption d’une grande partie de son effet utile. Une absence d’exemption rendrait le règlement quasiment inutile dans de nombreux cas puisque la quasi-totalité des secteurs a recours à des formes de distribution duale. Il en irait de même de la limitation de l’exemption à 20 % du marché aval. Une telle contrainte serait en pratique impossible à mettre en œuvre dans de nombreux cas en raison de l’absence de statistiques sur les parts de marché locales. Pour une tête de réseau disposant comme c’est souvent le cas de centaines ou de milliers de distributeurs en Europe, un tel calcul serait soit impossible du fait de l’absence de données pertinentes, soit générerait des coûts de transaction disproportionnés. Si par impossible le calcul était possible, le résultat poserait deux problèmes : des divergences de parts de marché locales, tantôt inférieures, tantôt supérieures au seuil de 20% rendant une exemption à l’échelle de l’UE ou d’un Etat membre impossible ou encore des parts de marché locales supérieures à 20% du fait du distributeur dès lors que dans de nombreux secteurs, comme les parfums, les cosmétiques ou les véhicules automobiles, les distributeurs sont multi-marques et détiennent à eux seuls plus de 20% de part de marché dans leur zone de chalandise. C’est pourquoi les règlements d’exemption verticaux ont toujours pris soin de définir la part de marché des distributeurs sur le marché amont de l’approvisionnement pour permettre à ces règlements d’avoir un effet utile.

13. Dans ces conditions, la non-exemption de la distribution duale ou sa soumission à des conditions d’exemption impossibles à remplir serait très dommageable. La distribution duale permet de répondre au mieux aux besoins du marché en fonction des demandes des clients en évitant le risque de free riding. Perturber la distribution multi-canal efficiente permise par la distribution duale générerait d’importantes pertes d’efficience et des effets pervers évidents. La perte du bénéfice de l’exemption inciterait au contraire les fournisseurs à privilégier la vente directe. En outre, s’en remettre à une auto-évaluation dans le cadre d’exemptions individuelles conduirait à une forte insécurité juridique et à des solutions potentiellement divergentes d’un Etat membre à un autre.

14. Le règlement doit d’autant moins être révisé dans le sens des demandes protectionnistes de certains distributeurs en vue de limiter les ventes directes des fournisseurs que celles-ci sont étrangères au droit de la concurrence. Bien au contraire, vouloir interdire ou limiter les ventes directes des fournisseurs aux clients finals est par essence réducteur de concurrence et inefficient car cela réduirait l’offre de produits et de services différenciés au profit des clients finals. Le droit de la concurrence a pour objet de protéger la concurrence et pas une typologie de concurrents alors que le droit commun des contrats et le droit des pratiques restrictives fournissent déjà une panoplie complète d’instruments juridiques pour prévenir tout abus en matière de ventes directes.

15. Enfin, les risques d’atteintes à la concurrence du fait d’échanges d’informations éventuels entre le fournisseur et ses distributeurs sont limités et peuvent être facilement résolus (V. I. Igartua Arregui et M. Troncoso Ferrer, Exchange of information in dual distribution systems, in the VBER and Vertical Guidelines : Revision or Reform? Reflection on Critical Issues, Concurrences, 15 déc. 2020, 33-39/58). La plupart des informations échangées dans un rapport vertical sont pro-concurrentielles car elles permettent aux fournisseurs de mieux répondre à la demande du marché. Le risque d’échanges purement horizontaux est minime en pratique comme le démontre l’extrême rareté des décisions en la matière et peut être prévenu par des séparations fonctionnelles et des murailles de Chine tant au stade des distributeurs que des fournisseurs entre responsables des distributeurs et de la distribution directe. La distribution duale apparaît donc largement comme un faux problème. Les options 2 (limitation de l’exemption, par exemple par un seuil de part de marché sur le marché aval) ou 4 (absence d’exemption par catégorie) apparaissent donc impraticables et peu souhaitables. Les options 1 (statu quo) ou 3 (extension de l’exception de distribution duale fournisseur fabricant / distributeur à la situation des importateurs ou grossistes disposant de leur propre réseau de distributeurs et vendant parallèlement aux clients finals) sont plus raisonnables. Dans la mesure où leur situation est analogue à celle des producteurs disposant d’un réseau de distribution et permet les mêmes gains d’efficience, la confirmation du bénéfice de l’exemption par catégorie à leur profit paraît être une revendication légitime.

2) Les restrictions aux ventes actives

16. Les restrictions aux ventes sont interdites en principe et autorisées dans certains cas : les ventes actives peuvent par exemple être interdites dans le cadre d’un réseau de distribution exclusive s’agissant des ventes vers le territoire (ou la clientèle) d’un autre distributeur auquel une exclusivité a été accordée. De même, en distribution sélective, les ventes actives et passives à des non-membres du réseau peuvent être interdites. Mais en cas de cumul de la distribution exclusive et sélective, les ventes actives et passives doivent en principe être possibles et les ventes croisées entre membres d’un même réseau sélectif sont libres à tous niveaux en distribution sélective. En outre, en cas de combinaison dans l’UE de la distribution exclusive dans certains pays et de la distribution sélective dans d’autres, les distributeurs sélectifs ne sont pas protégés contre les ventes en provenance des pays exclusifs par des revendeurs hors réseau.

17. La situation actuelle n’est pas satisfaisante. D’abord, elle ne permet pas d’organiser une distribution exclusive par pays au stade du commerce de gros s’agissant des importateurs chargés d’animer un réseau de détaillants sélectifs en aval alors qu’il est important que l’importateur consacre tous ses efforts à la mise en place et au développement du réseau aval de détaillants sans qu’il ne soit tenté de multiplier les ventes actives en dehors de sa zone de responsabilité. Ensuite, les distributeurs sélectifs ne sont pas protégés contre les ventes en provenance des pays exclusifs.

18. Ces problèmes pourraient être palliés par le recours aux options 2 (« Étendre la portée des exceptions relatives aux restrictions des ventes actives pour donner aux fournisseurs davantage de souplesse pour concevoir des systèmes de distribution adaptés à leurs besoins ») et 3 (« autorisation, sur un territoire où un système de distribution sélective est mis en œuvre, des restrictions des ventes aux distributeurs non autorisés effectuées depuis des endroits situés hors de ce territoire ») qui peuvent être combinées, l’option 1 (statu quo) ne permettant pas de remédier aux problèmes actuels.

3) Les restrictions interdites des ventes en ligne

19. Les ventes en ligne sont généralement considérées comme des ventes passives. Dès lors, il est interdit d’interdire aux distributeurs de vendre en ligne ou de restreindre directement ou indirectement leur liberté de vente en ligne (CJUE, 13 oct. 2011, aff. C-439/09, Pierre Fabre, LawLex201100001588JBJ ; Paris, 31 janv. 2013, LawLex201300000119JBJ ; Com. eur., 17 déc. 2018, AT40428, Guess, LawLex201900000160JBJ), la notion de restriction étant interprétée de manière très large (pour la condamnation en tant que restriction de facto de la vente sur internet d’une obligation de mise en main d’un produit dangereux au magasin du distributeur ou au domicile de l’acheteur : ADLC, déc. n° 18-D-23, 24 oct. 2018, Stihl, LawLex201800001583JBJ ; Paris, Pôle 5, ch. 7, 17 oct. 2019, n° 18/24456, LawLex201900001229JBJ. Adde, ADLC, n° 19-D-14, 1er juil. 2019, LawLex201900000878JBJ).

20. Les parties prenantes ont critiqué à juste titre cette répression rigide de toutes les restrictions indirectes aux ventes en ligne. La Commission a retenu deux critiques qu’elle soumet à évaluation : l’interdiction du système de double prix ou « dual pricing » (le fait de vendre à un prix différent à un même distributeur selon que le produit est destiné à être revendu en ligne ou en magasin physique) et l’équivalence des critères (consistant à ce que les critères pour la vente en ligne soient une transposition équivalente des critères de vente physique).

21. L’option 1 (statu quo) n’est certainement pas opportune. L’option 2 qui consiste à ne plus faire du dual pricing une restriction caractérisée mérite d’être approuvée. L’interdiction actuelle des prix duals qui va jusqu’à mettre en cause toute forme de rémunérations différenciées selon que la vente est faite sur Internet ou en magasin physique est excessive. En effet, les coûts de distribution des différents canaux de vente ne sont pas les mêmes et les services offerts diffèrent et présentent des coûts différents. Il est on ne peut plus normal de pouvoir rémunérer les services coûteux pouvant être offerts par la vente en magasin physique, notamment si un fournisseur souhaite conserver un minimum de magasins physiques. Compte tenu du développement massif de l’Internet, il n’est plus nécessaire de le surprotéger par des règles défavorisant les magasins physiques alors que ceux-ci sont confrontés à une crise sans précédent et doivent faire face à des charges importantes qui n’affectent pas le plus souvent les sites internet ou pas au même degré. Le régime de faveur octroyé aux ventes par internet par l’interdiction rigide des rémunérations duales telle qu’elle est prônée notamment par l’autorité allemande de concurrence, le BKA, doit impérativement cesser au plus vite. En revanche, il ne faut pas que les garde-fous imaginés par la Commission pour accompagner cette libération soient tels qu’ils empêchent indirectement la rémunération duale. Dès lors qu’elle est justifiée et proportionnée, celle-ci devrait être admise.

22. L’option 3 consiste à ne plus faire du non-respect du principe d’équivalence des conditions une restriction caractérisée. L’initiative est bienvenue compte tenu des différences importantes entre canaux. Ici encore, il ne faudrait pas que les garde-fous imaginés par la Commission soient tels qu’ils empêchent indirectement l’exemption.

4) Les clauses de parité

23. Les clauses de parité obligent une entreprise à accorder les mêmes conditions ou des conditions meilleures à l’autre partie (par exemple une plateforme internet de réservation) que celles qu’elle accorde par ailleurs (par exemple sur son propre site ou par d’autres canaux de vente). Elles sont actuellement exemptées par catégorie jusqu’aux seuils d’exemption de 30% de part de marché prévus par le règlement sauf à considérer, comme certaines décisions isolées ont pu le faire, qu’elles ne se rapportent pas aux conditions de vente ou de revente et ne constituent pas un accord vertical au sens du règlement (Cour d’appel de Düsseldorf, VI-Kart. 1/14 [V], 9 juin 2014, §164-165) ou encore qu’il s’agirait d’un accord horizontal. Ces clauses sont très répandues entre fournisseurs et acheteurs traditionnels, sous forme de clauses classiques du client le plus favorisé afin de garantir à l’acheteur qu’il bénéficiera toujours des prix les plus bas par rapport à d’autres acheteurs placés dans la même situation. Le développement du numérique a entraîné un usage accru des clauses de parité en particulier dans les accords entre les places de marché online comme Booking et les commerçants liés à elles. En pratique, deux catégories de clauses de parité se sont développées : les clauses de parité élargies (wide MFNs) qui imposent aux fournisseurs ou aux détaillants d’afficher les mêmes prix et conditions (ou de meilleurs) sur le site du partenaire bénéficiant de la clause de parité que sur tout autre canal de vente, en propre ou par un tiers ; et les clauses de parité restreintes (narrow MFNs) qui limitent l’obligation aux ventes du fournisseur ou du détaillant sur son propre site uniquement.

24. De façon générale, les autorités de concurrence ont tendance à considérer que les clauses de parité élargies posent d’importants problèmes de concurrence. Elles permettent en effet à une plateforme qui a lié ses partenaires par ce type de clauses d’augmenter son taux de commission sans permettre au partenaire d’afficher des prix différents sur un site concurrent pratiquant des commissions plus faibles. Le partenaire est conduit à augmenter ses prix sur tous les canaux de vente pour absorber l’élévation de la commission exigée par la plateforme ou à prendre le surcoût à sa charge. Ceci conduit à une uniformité des prix de vente et des commissions sur le marché et limite fortement la concurrence entre plateformes et le développement des nouveaux entrants.

25. Les clauses de parité restreintes sont généralement appréciées de façon plus positive par les autorités de concurrence. Leurs effets anticoncurrentiels sont généralement jugés plus limités de sorte qu’elles pourraient remplir les conditions d’une exemption individuelle ou pourraient même être considérées comme des obligations accessoires à des obligations principales pro-concurrentielles (V. P. Chappatte et K. O’Connell, What are MFNs ?, GCR, 3 déc. 2020). Cette appréciation a conduit les autorités de concurrence de plusieurs Etats membres (France, Italie, et Suède) à accepter en avril 2015 des engagements de Booking tendant à remplacer ses clauses de parité étendues par des clauses restreintes. L’autorité allemande (BKA, déc. B9-66/10 du 20 décembre 2013 et B9-111/13 du 22 décembre 2018) a même condamné la clause restreinte avant que sa décision ne soit remise en cause sur recours (Communiqué de presse du Min. de la justice de Rhénanie du Nord-Westphalie, 19 juin 2019). Les réponses des autorités de concurrence des Etats membres aux consultations de la Commission vont dans le sens d’un régime en tout état de cause plus rigoureux à l’égard des clauses de parité étendues. L’option 2 reflète cette analyse tandis que l’option 1 maintient le statu quo (exemption en dessous des seuils) tandis que l’option 3 envisage une non-exemption générale des clauses de parité.

Les autres aspects importants selon la Commission

1) Une meilleure prise en compte des gains d’efficience des prix minimaux

26. La Commission reconnait dans sa consultation que les conditions pour pouvoir invoquer des efficiences liées aux prix imposés et leur éventuelle exemption individuelle ne sont pas claires et que les orientations données dans les lignes directrices sont insuffisantes. Le rapport d’évaluation allait plus loin en laissant entendre que les conditions des prix imposés elles-mêmes n’étaient pas du tout claires. Il est certain que la condamnation systématique des prix fixes ou minimums par le droit positif de la concurrence ne correspond pas à l’état actuel des enseignements de l’analyse économique et que la pratique décisionnelle ne garantit pas la sécurité juridique s’agissant de la caractérisation pratique d’un prix minimum. La consultation de la Commission demeure donc bien timide lorsqu’elle s’interroge de façon très limitée sur la seule question des gains d’efficacité des prix imposés. C’est un total changement de paradigme qu’il conviendrait d’effectuer en la matière comme l’a initié la jurisprudence Leegin aux Etats-Unis. Il conviendrait, par exemple, dès lors que la concurrence inter-marques est élevée, d’exempter les prix fixes ou minimums en-dessous d’un seuil de part de marché donné, par exemple 20 ou 25 %. A défaut, on restera toujours au stade du vœu pieux en ce domaine.

2) Les obligations de non-concurrence

27. De nombreux intervenants ont fait remarquer que la limite absolue et rigide de 5 ans pour bénéficier de l’exemption par catégorie en matière de clauses de non-concurrence contractuelles était trop stricte et qu’il fallait pouvoir prévoir des clauses de 5 ans renouvelables dès lors que le cocontractant dispose d’une faculté de non-renouvellement ou de résiliation de l’accord, et ce également afin d’éviter les coûts de transaction liés à la renégociation à l’approche de l’expiration du délai de 5 ans. La consultation de la Commission en a tenu compte et a soumis cette mesure plus libérale aux répondants.

3) Les accords de durabilité

28. A la question de la Commission sur le point de savoir si, à la lumière des objectifs du Green Deal européen, les règles actuelles ont pu créer des obstacles à la mise en œuvre des objectifs de durabilité poursuivis par le droit européen, des intervenants ont indiqué notamment que ces règles n’étaient pas incitatrices au respect d’objectifs de durabilité, comme par exemple le principe de l’équivalence des conditions entre distribution en ligne et physique. D’autres en revanche ont mis en garde contre l’utilisation abusive de l’objectif de durabilité dans le but de créer des distorsions de concurrence ou des effets de forclusion.

4) L’impact de la crise sanitaire

29. La crise sanitaire a eu d’importantes implications économiques qui n’ont pas épargné la distribution (J.-M. Leloup, Crise et franchises, in le droit des affaires, instrument de gestion et de sortie de crise, LGDJ et Droit et commerce, 2021, P. 161 ; F. Buy, La crise dans les relations fournisseurs – distributeurs, ibid, p. 165). La Commission a donc interrogé les répondants sur la question de savoir si la crise sanitaire a entraîné des changements qui devraient être pris en compte dans le cadre de la révision du règlement. Les grandes difficultés des magasins physiques liées aux mesures de confinement ou de réduction d’activité qui les ont affectées et l’explosion de l’internet liée certes à la crise sanitaire mais également aux évolutions des usages rendent d’autant plus nécessaire le bénéfice d’une stricte neutralité du droit de la concurrence par rapport aux différents canaux de vente et d’abandon du régime de faveur absolue pour les ventes par internet trop souvent adopté par les autorités de concurrence qui finit par avoir des effets pervers pour le commerce physique.

Les autres questions faisant débat

Les questions liées à l’organisation des réseaux de distribution

1) La qualification du refus d’agrément au sein d’un réseau de distribution sélective

30. Il est aujourd’hui devenu systématique pour les distributeurs sélectifs dont le contrat a fait l’objet d’une résiliation régulière respectant tant le préavis contractuel que légal applicable, de représenter leur candidature pour redevenir membre du réseau dont ils ont été exclus. Ces demandes font l’objet de contentieux réguliers. Au regard du droit des contrats, le régime juridique de ces demandes de renouvellement perpétuel des contrats est clair. Il est désormais acquis en jurisprudence que le droit de la tête de réseau de contracter ou de ne pas contracter doit être libre, que les contrats perpétuels sont interdits et qu’il n’est pas contraire à la bonne foi de refuser de contracter avec un candidat, même s’il remplit a priori les critères d’entrée dans le réseau (Cass. com., 27 mars 2019, Fiat/Catia, n° 17-22.083, LawLex201900000420JBJ, et sur renvoi, Paris, 23 oct. 2019, n° 19/07878, LawLex2019000001273JBJ ; 24 juin 2020, Safirauto/Hyundai Motor France, n° 18/23867, LawLex2020000001620, Lettre Distr., juill./août 2020, 2, obs. L. Bettoni ; RDLC, 3/2020, 112, note A.-C. Martin ; Concurrence, 3/2020, 112) sans qu’il y ait à distinguer selon la nature qualitative ou quantitative du type de réseau en question (Paris, 27 nov. 2019, Mercedes/Garage de Bretagne, n° 18/06901, LawLex201900001441JBJ, Concurrences, n° 1/2020, 96, note Ph. Vanni ; Lettre Distr., 01/2020, 1, obs. N. Eréséo ; D., 2020, 789, obs. N. Ferrier. Adde, Paris, 27 mars 2019, Oustric/ Land Rover, n° 17/09056, LawLex201900000403JBJ, Contrats Conc. Consom., 2019, 101, note M. Malaurie-Vignal ; 31 juill. 2019, Garage Drevet/Hyundai Motors, n° 16/20683, LawLex201900000951JBJ).

31. Le traitement de cette question est plus confus en droit de la concurrence. Les anciens membres des réseaux dont les contrats ont été régulièrement résiliés et qui entendent s’y maintenir envers et contre tout font généralement valoir que tout refus d’agrément opposé à un candidat remplissant les critères de sélection est constitutif en soi d’une entente. Une telle argumentation est cependant un peu rapide et la question mériterait d’être clarifiée dans le cadre des lignes directrices. Il semble aussi dogmatique et inexact d’affirmer qu’un refus d’agrément constitue toujours une entente ou qu’il s’agit nécessairement d’un acte unilatéral. La vérité juridique est plus nuancée. Un refus d’agrément peut constituer un acte unilatéral ou un accord en fonction des circonstances dans lesquelles il intervient. Comme l’a très bien relevé la jurisprudence la plus récente de la chambre distribution de la Cour d’appel de Paris, un refus d’agrément peut constituer un acte unilatéral, non concerté avec d’autres membres du réseau, qui ne relève pas du droit des ententes (Paris, 5-4, 12 déc. 2018, n° 16/19853, LawLex201800001980JBJ ; Paris, 5-4, 27 nov. 2019, préc. ; Paris, 5-4, 24 juin 2020, préc) ou un accord s’il est opposé à un candidat à l’entrée dans un réseau suite à un accord particulier avec le nouveau distributeur (Paris, 24 juin 2020, préc. ; 21 oct. 2020, préc.) ou compte tenu du numerus clausus convenu avec les membres du réseau, il s’agit d’un accord relevant du droit des ententes mais qui doit être exempté de plein droit en-dessous de 30 % de parts de marché. Même lorsqu’elle qualifie le refus d’agrément d’accord relevant du droit des ententes, la jurisprudence française le valide cependant généralement en considérant qu’il bénéficie automatiquement de l’exemption par catégorie en-dessous de 30% de parts de marché (Paris, 24 juin 2020, préc. ; Paris, 21 oct. 2020, n°18/27620, RLDC, 1/2021, note N. Eréséo) ou au-dessus de 30 % de parts de marché qu’il n’a pas d’objet ou d’effet anticoncurrentiel (Paris, 23 janv. 2019, n° 16/16856, LawLex201900000080JBJ ; 4 juin 2020, n° 19/10672, LawLex202000000482JBJ).

32. Le changement de paradigme intervenu dans la qualification des refus d’agrément au sein des réseaux est pleinement justifié. Il l’est d’abord d’un point de vue strictement juridique. L’application du droit de la concurrence implique l’existence d’un accord entre entreprises dont la définition est devenue plus rigoureuse en jurisprudence (cf. CJUE, 13 juill. 2006, Commission/Volkswagen, aff. C-74/04 P, LawLex200600001675JBJ, selon lequel toute incitation adressée par un constructeur à des concessionnaires ne constitue pas nécessairement un accord, mais qu’il est nécessaire de démontrer l’existence d’un concours de volontés des parties au contrat dans chaque cas particulier). Il est clair que des refus d’agrément peuvent être purement unilatéraux. Au-delà, d’un point de vue économique, il est généralement peu efficient d’imposer un contrat forcé à des partenaires qui ne souhaitent plus travailler ensemble. Enfin, d’un point de vue concurrentiel, le maintien quasi-perpétuel des relations avec d’anciens opérateurs en place n’est pas très propice à l’émergence de nouveaux entrants.

33. L’on peut d’ailleurs se demander si l’appréciation d’un refus d’agrément au sein d’un réseau de distribution sélective doit vraiment se faire en fonction de la part de marché détenue par le fournisseur et le distributeur sur le marché aval de la vente des produits et services contractuels. Une autre solution a été consacrée par la Cour suprême allemande dans les arrêts MAN et JAGUAR (V. A. Wegner, Recent Competition Law Developments in the Automotive Industry, Journal of Eur. Comp. Law & Practice, 2016, p. 696 ; BGH, Kartellsenat, 26 janv. 2016, Jaguar, K2R 41/41 ; BGH, 30 mars 2011, MAN ; K2R 6/09). Selon le juge allemand, il faut se placer, non pas au stade de la vente du produit en aval, mais en amont à celui de l’offre et de la demande de contrats. Sur ce marché de l’offre et de la demande de contrats, il existe de très nombreux offreurs, de sorte qu’aucun d’eux ne dispose en principe de plus de 30 % de parts de marché au moins pour les camions, les véhicules utilitaires et les marques VP généralistes : un éventuel refus échappe pratiquement toujours au droit de la concurrence. Quoiqu’il en soit, ces évolutions de la jurisprudence devraient inciter la Commission à adopter une approche plus nuancée quant à la qualification des refus d’agrément au sein des réseaux qui ne peuvent certainement pas être analysés nécessairement au regard du droit des ententes.

2) Le régime des agents et des « fullfillment contractors »

34. Les agents sont les grands absents de la dernière consultation de la Commission. Celle-ci a tenté de pallier cette absence en diffusant récemment un document de travail sur la situation duale des distributeurs exerçant également une activité d’agent pour leur fournisseur (Working paper: Distributors that also act as agents for certain products for the same supplier). Ce travail de redéfinition du statut des agents n’est cependant pas encore arrivé à son terme.

35. La révision du règlement et des Lignes directrices devrait être l’occasion d’une redéfinition de la notion d’agent au sens du droit de la concurrence. Les définitions actuelles demeurent trop floues et trop rigides. Le critère principal pour différencier un agent auquel le droit des ententes ne s’applique pas pour une large part dans sa relation avec son mandant et en particulier pour la fixation des prix de revente est l’importance négligeable des risques supportés par l’agent. L’imprécision de la notion est source d’insécurité juridique. Par ailleurs, les autorités de concurrence ont tendance à vouloir systématiquement limiter le recours aux agents par rapport aux distributeurs et à imposer des contraintes très importantes de prise en charge des risques par les fournisseurs en cas de distribution hybride reposant sur le recours à une même entreprise sur un même marché tantôt en tant que distributeur, tantôt en tant qu’agent, en fonction des besoins de la clientèle. Cette approche très rigide est en opposition avec l’évolution de la demande des consommateurs et l’organisation requise des réseaux pour y répondre au mieux.

36. Afin de minimiser les coûts de distribution de produits de plus en plus sophistiqués et de répondre aux souhaits des clients qui entendent pouvoir commander et configurer directement sur le site du fournisseur les produits ou services dont ils ont besoin, quitte à ce que la livraison ou la mise en main se fasse par un membre du réseau, les têtes de réseau sont contraintes d’imaginer de nouvelles formes duales de distribution dans lesquelles leur partenaire traditionnel demeure acheteur-revendeur dans certains cas mais devient prestataire de services, agent ou commissionnaire dans d’autres. Le droit de la concurrence doit accompagner cette évolution du marché et non la bloquer en la rendant impossible. Il paraît donc nécessaire d’élever le seuil de risque pouvant être pris par l’agent exerçant parallèlement une activité de distribution sur le même marché et d’autoriser plus librement des contrats de prestations de services ou d’exécution (fullfillment contracts) dans lesquels les distributeurs se contentent d’exécuter des contrats négociés directement entre le fournisseur et notamment les grands clients nationaux désireux de centraliser la négociation mais de décentraliser son exécution.

37. La doctrine est largement favorable à de telles évolutions, et met en avant le fait que la concurrence joue entre fournisseurs au stade de la concurrence inter-marques, la concurrence intra-marque jouant davantage sur la qualité du service d’exécution (en ce sens, M. Sigarusa et A. Setari, Agents and Distributors: Should definitions be revised?, Concurrences, 1-2021, 26 et s. ; L. Gyselen, Revisiting the resale price maintenance issue under EU Competition Law, Concurrences 1-2021, p. 14 et s.). Ces contrats peuvent d’ores et déjà bénéficier d’une exemption dans certains droits étrangers (cf. en droit chinois, Z. Hao et S. Ying, The Chinese State Administration for Market Regulation publishes guidelines for the automobiles sector, Concurrences, févr. 2020). Il est regrettable que le pas n’ait pas encore été franchi en Europe.

3) La nécessaire amélioration de la protection des réseaux de distribution sélective

38. En théorie, la distribution sélective est reconnue en droit positif. Elle est considérée comme parfaitement licite et utile. En pratique, son statut réel est moins enviable. En premier lieu, le degré de protection effectif des réseaux de distribution sélective est très variable selon les Etats membres. Dès lors qu’en droit européen, la simple revente par un tiers en-dehors d’un réseau sélectif n’est pas fautive, la protection effective des réseaux dépend de chaque droit national et peut être très faible, la lutte contre les revendeurs hors réseau pouvant s’avérer quasi-impossible en pratique. Même en France, l’un des pays européens les plus protecteurs des réseaux de distribution sélectifs, la lutte contre la revente hors réseau n’est pas un long fleuve tranquille. Le fournisseur doit d’abord établir que son réseau est licite et la charge de la preuve repose sur lui, ce qui donne lieu à des discussions sans fin sur la légalité de telle ou telle clause ou sur la démonstration d’une part de marché inférieure à 30 % en vue de bénéficier de l’exemption par catégorie. Ce premier obstacle franchi, dès lors qu’une simple revente hors réseau n’est pas fautive, il faut démontrer la faute, généralement la vente dans des conditions dégradantes, illicites ou abusives ou la tierce complicité de la violation de l’interdiction de revente hors réseau du distributeur sélectif ayant violé son contrat, interdite en vertu du droit commun de l’article 1240 du Code civil (pour un exemple récent, Colmar, 22 mars 2021 ; n° 17/02203, Vorwerk, LawLex202100000972JBJ, Contr. Conc. Consom., juin 2021, 97), ou du droit spécial de l’article L. 442-2 du Code de commerce.

39. En pratique, la démonstration de la faute s’avère souvent difficile, le revendeur hors réseau prétendant ignorer l’interdiction de revente pesant sur son partenaire ou ayant organisé un système d’approvisionnement complexe interposant une série d’intermédiaires et lui permettant de justifier d’une absence d’approvisionnement irrégulier. Le recours aux ordonnances sur requête est censé permettre l’accès aux preuves mais s’avère très difficile à obtenir, les missions étant souvent réduites fortement par le juge et leur exécution se transforme souvent en nid à contentieux avec un fort risque d’annulation pour des motifs divers et variés. Bref, la protection pratique des réseaux de distribution sélective est très peu effective alors que la distribution sélective est un facteur d’efficience et de progrès. Il conviendrait soit de postuler que la revente de produits sélectifs en dehors des réseaux est fautive en soi, sauf pour le revendeur hors réseau à justifier de sa licéité, soit d’organiser un droit uniforme de répression de la revente hors réseau en s’inspirant de l’article L. 442-2 du Code de commerce au niveau européen.

4) L’admission des exclusivités partagées

40. En l’état actuel de la rédaction du règlement, seule l’exclusivité consentie à un seul distributeur pour un territoire ou une clientèle donnés est exemptée de plein droit en-dessous de 30 % de parts de marché (cf. art. 4, b) i) : « sur un territoire ou à une clientèle… alloués à un autre acheteur »). La rédaction actuelle ne permet donc pas de bénéficier de l’exemption par catégorie en cas de désignation de deux ou plusieurs distributeurs exclusifs sur un même territoire. Or, l’évolution de la distribution peut rendre ce type d’exclusivité nécessaire. Ainsi, en matière de matériels agricoles, il arrive fréquemment de constater la présence sur une zone de chalandise de 4 ou 5 distributeurs exclusifs de tracteurs (de marques différentes) mais que les matériels agricoles complémentaires plus légers nécessitent pour une bonne couverture du territoire la présence sur ce même territoire de deux ou plusieurs distributeurs d’une même marque ne vendant pas de tracteurs. Pour que ceux-ci puissent se consacrer à l’exploitation de la zone de chalandise, il serait opportun d’autoriser une exclusivité partagée qui développerait d’ailleurs la concurrence intra-marque. Ce système était exempté de plein droit en matière de distribution exclusive automobile dans le cadre de l’ancien règlement n° 123/85 (Règl. du 12 déc. 1984, JO L 15/16 du 18 déc. 1985) et n’avait pas posé de problème de concurrence particulier.

Les questions liées au fonctionnement des réseaux

1) La nécessaire libéralisation de la politique de prix au sein des réseaux

41. Dans sa consultation, la Commission s’interroge sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des gains d’efficience des prix minimaux. En réalité, le problème est beaucoup plus profond. Actuellement, les Autorités de concurrence des Etats membres condamnent de façon systématique les prix fixes ou imposés. Des centaines de décisions de condamnation ont ainsi été rendues en Europe. Or il n’est pas du tout certain que d’un point de vue économique une telle rigueur soit justifiée. Dès lors que la concurrence inter-marques est vive, des politiques de prix fixes ou minimaux présentent au contraire d’importants avantages. Il est admis par la plupart des économistes qu’un prix fixe ou minimum est de nature à garantir que les distributeurs assurent un service de pré-vente et de vente aux clients en évitant le parasitisme des vendeurs lowcost n’assurant pas le service, encourage les distributeurs au lancement de nouveaux produits, protège l’image de marque des fournisseurs et évite les abus des prix d’appel (V. aussi OCDE, Roundtable on resale price maintenance, JT 03269395, 2008). Depuis 2007, il est admis en droit antitrust américain que les prix imposés ne sont plus interdits per se mais doivent faire l’objet d’une appréciation sur le fondement de la règle de raison (US Supreme Court, Leegin, 127-S. CT. 2705-2007, 28 juin 2007). Il serait grand temps que le droit européen évolue et s’inspire davantage du droit comparé de la concurrence et des travaux de l’analyse économique.

42. Au-delà de ce problème de fond, la répression des prix imposés se double d’une grande insécurité juridique. Le triple test adopté par certaines autorités, notamment l’ADLC, demeure très flou. Il faut en principe qu’un prix ait été évoqué, qu’il soit appliqué en pratique par un nombre élevé de distributeurs et que le fournisseur pratique une police des prix pour que l’infraction soit constituée. En pratique, le test demeure critiquable dans sa mise en œuvre. Les échantillons retenus pour inférer l’application effective sont rarement significatifs d’un point de vue statistique et le simple relevé des prix pratiqués a tendance à être interprété comme une mesure de police. Il conviendrait d’admettre la possibilité de la validité des prix fixes ou minimum en-dessous de certaines parts de marché (en ce sens, L. Gyselen, Revisiting the resale price maintenance issue under EU competition Law, Concurrences, 1-2021, 14 et s.), et en tout état de cause au moins poser des critères clairs et connus à l’avance pour qualifier une pratique de prix imposés.

2) L’opportunité d’une approche plus uniforme et plus raisonnable des restrictions possibles des ventes par Internet

43. Le droit européen de la concurrence applicable aux restrictions des ventes par Internet est actuellement très insatisfaisant. Il présente deux défauts majeurs : son absence d’application uniforme entre Etats membres et son caractère excessivement rigoureux. Deux exemples récents illustrent l’hétérogénéité des solutions et le caractère excessif de certaines décisions. Les restrictions des ventes des distributeurs sélectifs sur les places de marché allant jusqu’à leur interdiction ont été validées par la Cour de justice de l’Union à propos de la distribution de produits de luxe (CJUE, 26 juill. 2017, C-230/16, Coty Germany, LawLex201700002002JBJ). Pour le BKA, cette décision ne n’applique qu’aux produits de luxe (BKA, Competition restraints in online sales after Coty and Asics – what’s next?, oct. 2018). Pour la Commission, l’Autorité de la concurrence (ADLC, 24 oct. 2018, déc. n° 18-D-23, Stihl, préc., AJ Contrat, janv. 2019, 40, obs. L et J . Vogel) et la jurisprudence française (Paris, 13 juill. 2018, n° 17/20787, LawLex201800001096JBJ, AJ Contrat, 2018. 435, obs L. et J. Vogel), il va de soi que la solution n’est pas limitée aux produits de luxe et s’étend à tous les produits sélectifs. Il apparaît évident que la position du BKA est infondée. L’argument du BKA selon lequel la décision a été rendue à propos de produits de luxe et qui impliquerait a contrario une inapplication nécessaire en dehors de ces produits apparaît dénué de fondement. L’arrêt de la CJUE indique également que la distribution sélective est justifiée en matière de produits de luxe. A suivre l’argumentation du BKA, il faudrait en déduire que la distribution sélective ne serait pas justifiée en-dehors des produits de luxe. Inversement, le critère de mise en main de produits dangereux vendus par Internet a été considéré comme une restriction indirecte des ventes par Internet en France (ADLC, déc. n° 18-D-23, 24 oct. 2018, préc. ; Paris, 5-7, 17 oct. 2019, n° 18/24456, préc.) alors que trois autorités nationales de concurrence (allemande, suédoise et suisse) n’avaient pas jugé opportun de poursuivre cette pratique ne soulevant pas à leurs yeux un problème de concurrence. Là-encore, la notion de restriction indirecte semble avoir été interprétée de façon beaucoup trop extensive, la mise en main d’un produit dangereux paraissant être un critère tout à fait admissible. En tout état de cause, la persistance de solutions aussi divergentes selon les Etats membres dans l’application du droit européen de la concurrence conduit à segmenter juridiquement les marchés et à imposer aux entreprises des politiques commerciales différentes selon la pratique décisionnelle de tel ou tel Etat membre qui s’estime même parfois en droit d’aller à l’encontre d’une position de la Commission. Il apparaît absolument nécessaire que les solutions soient uniformisées en Europe afin de garantir le fonctionnement efficient du marché unique.