Entente sur le marché italien des ronds à béton : nouvelle décision de la Cour de justice après 22 années de procédure

Trente-cinq ans après les faits et vingt-deux ans après le début de la procédure, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce une nouvelle fois sur le cartel italien des ronds à béton et met fin à cette saga judiciaire.

Par deux arrêts rendus le 4 octobre dernier, la Cour de justice confirme les sanctions prononcées par la Commission européenne, à l’exception de l‘une des amendes dont elle a réduit le montant.

Une affaire déjà ancienne

En décembre 2002, la Commission européenne a condamné huit entreprises et une association, pour avoir mis en œuvre, entre le mois de décembre 1989 et le mois de juillet 2000, une entente anticoncurrentielle sur le marché italien des ronds à béton en barre ou en rouleaux, qui avait pour objet ou pour effet de fixer des prix et de limiter ou contrôler la production ou les ventes de ces produits.

Le Tribunal de l’Union européenne avait annulé la décision de la Commission au motif que la base juridique utilisée, à savoir l’article 65 du traité CECA, n’était plus en vigueur au moment de l’adoption de la décision, si bien que la Commission n’était pas compétente pour statuer sur ce fondement.

En 2009, la Commission a adopté une nouvelle décision, se fondant sur le règlement 1/2003 et reprenant « en substance, la teneur et les conclusions de la décision de 2002 », et notamment, le montant des amendes infligées.

Alors que le Tribunal avait rejeté les recours formés par cinq des entreprises, la Cour de justice a fait droit aux pourvois et annulé la décision de 2009 à l’égard des sociétés requérantes en raison d’irrégularités affectant la procédure. La Cour de justice a en effet considéré qu’une audition des parties effectuée en 2002 n’était pas conforme aux règles procédurales dès lors que les autorités de concurrence des Etats membres n’avaient pu y participer.

Au mois de juillet 2019, 17 ans après le début de la procédure, la Commission a adopté une troisième décision visant les cinq entreprises en cause et constatant la même infraction. En raison de la durée excessive de la procédure, le montant des amendes a cependant été réduit de 50 %.

Parmi ces entreprises, trois d’entre elles, les sociétés Ferriera Valsabbia SpA et Valsabbia Investimenti SpA, Alfa Acciai et Ferriere Nord, ont introduit en septembre 2019 des recours en annulation de la décision de 2019. Déboutées par le Tribunal en 2022, elles ont formé des pourvois devant la Cour de justice.

=> Rejet des pourvois formés par les entreprises Ferriera Valsabbia SpA et Valsabbia Investimenti SpA et Alfa Acciai 

La Cour de justice rejette les pourvois formés par les deux sociétés.

Tout en considérant que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en admettant que la décision de 2019 avait été adoptée à la suite d’une procédure régulière et que la Commission n’avait pas violé les droits de la défense, la Cour écarte le moyen fondé sur la violation du délai raisonnable.

Elle souligne également que la reprise d’une procédure de concurrence après annulation de la décision de la Commission ne viole pas en elle-même le principe de bonne administration, et plus particulièrement le principe d’impartialité, du seul fait que les autorités de concurrence des États membres siégeant au sein du comité consultatif ou la Commission aient connaissance de la décision annulée.

Par ailleurs, s’agissant du droit de participer à une audition, la Cour précise qu’une entité qui s’est vu reconnaître la qualité de tiers intéressé peut par la suite perdre ce statut, en fonction de son comportement, notamment lorsque, invitée à des auditions, elle se contente de déposer des observations écrites ou ne se présente pas.

De plus, la Cour confirme la position de la Commission selon laquelle les amendes sont justifiées. Elle rappelle ainsi que les sanctions pécuniaires infligées pour violation des règles européennes de concurrence ont pour objet, d’une part, de réprimer les actes illégaux des entreprises, et d’autre part, de dissuader toute entreprise de violer ces règles.

La Cour rejette ainsi l’argument des requérantes, qui soutenaient que les amendes n’avaient pas besoin d’être dissuasives, au motif que l’effet dissuasif « ne se limite (…) pas à prévenir une réitération de l’entente anticoncurrentielle » (pt. 121). Les décisions de 2002 et 2009 ayant été annulées et les amendes correspondantes restituées, « seule une nouvelle décision infligeant une amende aux requérantes pouvait garantir que leur participation à l’entente visée par la décision litigieuse ne reste pas impunie » (pt.125).

=> L’admission partielle du pourvoi formé par l’entreprise Ferriere Nord

Au soutien de son pourvoi, la requérante a soulevé huit moyens. Si la Cour de justice rejette les sept premiers (en partie identiques à ceux développés par Ferriera Valsabbia SpA, Valsabbia Investimenti SpA et Alfa Acciai), comme étant irrecevables et/ou infondés, elle accueille la première branche du huitième moyen.

Par cette première branche, la société requérante soutenait que le Tribunal avait commis une erreur de droit en considérant que la Commission européenne n’avait pas enfreint le principe d’égalité de traitement en lui appliquant une réduction du montant de l’amende proportionnellement moins importante que celle accordée à Riva, une autre entreprise partie à l’entente.

Tandis qu’elle avait participé à l’entente pendant 7 ans et bénéficié d’une réduction de 6 % du montant de l’amende pour les 3 années durant laquelle elle n’a pas participé au volet de l’entente relatif à la limitation ou au contrôle de la production ou des ventes, soit 2 % pour chaque année, l’entreprise Riva, qui avait participé pour sa part à l’entente pendant 10 ans et 6 mois, avait bénéficié d’une réduction de 3 % pour l’interruption de sa participation, pendant 1 an, à ce volet (pt. 283)

La Commission justifiait la différence entre les taux par la « nécessité de pondérer la réduction accordée en raison de la non-participation à un volet de l’entente en fonction de la durée de participation globale de chacune des entreprises à l’ensemble de l’entente », si bien que « la participation globale à l’entente étant plus longue pour Riva, l’effet de sa non-participation à ce volet de l’entente aurait été plus important » (pt. 290).

Tel n’est pas l’avis de la Cour de justice, qui relève que si la participation à l’entente de l’entreprise Riva, pendant plus de 10 ans, avait un effet plus grave sur la concurrence que celle de la requérante, la non-participation à l’un des volets de l’entente avait le même effet sur la concurrence.

Ainsi, considérant que la Commission européenne a traité des situations comparables de manière différente et sans justification valable, la Cour de justice accueille le moyen et annule la décision du Tribunal. Décidant de statuer définitivement sur le litige, elle applique un taux de réduction du montant de l’amende de 3 % par an pour la société requérante, identique à celui accordé à Riva, si bien que le montant de l’amende est réduit de 2 237 000 euros à 2 165 000 euros.

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