Dans cette affaire, après avoir adopté une communication des griefs en décembre 2015 et reçu les observations de l’entreprise suspectée d’abuser de sa position dominante, la Commission lui a adressé, en janvier 2017, une nouvelle demande de renseignements. L’entreprise a demandé à l’autorité de revenir sur sa décision ou du moins d’indiquer précisément l’étendue ou l’objet exact de l’enquête et de circonscrire sa demande aux renseignements strictement nécessaires à celle-ci. En réponse, la Commission lui adresse une décision formelle de renseignement, sur le fondement de l’article 18, paragraphe 3 du règlement 1/2003.

Selon l’entreprise, une telle demande est contraire au manuel de procédure interne de la Commission ainsi qu’à la communication sur les bonnes pratiques, en vertu desquels la communication des griefs doit être adoptée après la conclusion d’une enquête approfondie. Elle fait valoir qu’après sept années d’enquête, elle aurait pu légitimement s’attendre à ce que la communication des griefs repose sur une étude des faits menée à son terme. Elle en conclut que la Commission a demandé pendant toutes ces années des informations inadéquates, ou a réalisé, à un stade tardif de l’enquête, que sa thèse initiale était indéfendable. Elle ajoute que l’enquête ne peut pas se poursuivre indéfiniment.

Cependant, selon le Tribunal, si l’envoi d’une communication des griefs fait en principe suite à une enquête préalable menée par la Commission, il n’en résulte pas que cette dernière serait privée, après cet envoi, du droit de poursuivre son enquête. En effet, la communication des griefs constitue un acte provisoire susceptible de modifications lors de l’évaluation à laquelle la Commission procède au vu des observations présentées par les entreprises. La Commission est ainsi en droit de revenir, dans la décision finale, sur les allégations provisoires contenues dans la communication des griefs pour retirer certains griefs ou en ajouter de nouveaux eu égard aux arguments ou éléments avancés par les entreprises concernées.

Par ailleurs, le juge de l’Union souligne que sous réserve des règles relatives à la prescription, l’article 18 du règlement 1/2003 n’impose à la Commission aucune obligation en ce qui concerne le moment auquel elle peut procéder à l’envoi de demandes de renseignements. Dès lors, pour autant qu’elles présentent un caractère nécessaire, la Commission serait libre d’envoyer de nouvelles demandes de renseignements après l’envoi de la communication des griefs. La Commission pourrait même soulever des questions nouvelles par rapport à celles évoquées dans la communication des griefs, à condition de donner à l’entreprise la possibilité d’être entendue sur les allégations de fait ou de droit supplémentaires qu’elle compte tirer de ses réponses.

Une telle solution, qui place les entreprises sous un régime d’investigation permanente, ne saurait être tolérée. Outre qu’elle allonge considérablement la durée des procédures (en l’occurrence, la première phase d’enquête avait déjà duré sept ans), elle oblige les entreprises à mobiliser des moyens matériels et humains exorbitants pour répondre aux demandes de la Commission. La contrainte s’avère d’autant plus pesante que dans cette affaire le Tribunal confirme que « le seul fait qu’une demande de renseignements impose à l’entreprise une charge de travail importante ne suffit pas en soi à démontrer qu’elle revêt un caractère disproportionné au vu des nécessités de l’enquête » (V. déjà TUE, 14 mars 2014, LawLex141668). Ainsi, lorsqu’elle demande des renseignements, la Commission ne serait pas tenue de se limiter à des données existantes, mais pourrait imposer une certaine formalisation de celles-ci par l’entreprise concernée (V. déjà, TUE, 14 mars 2014, précit.) et exiger la production de documents anciens, que l’entreprise n’a pas l’obligation légale de conserver.

TUE, 9 avril 2019, LawLex19486