Dans un avis publié en 2009 (AdlC n° 09-A-45 du 8 septembre 2009), l’Autorité de la concurrence (AdlC) avait souligné que, dans les collectivités outre-mer, « selon les caractéristiques du marché et des exclusivités considérées (durée et modalités des exclusivités, modalités de résiliation, part de marché des clients liés par l’exclusivité, part de marché des fabricants utilisant ces exclusivités, caractère cumulatif des exclusivités considérées, existence de barrières à l’entrée sur les marchés considérés, etc.), une exclusivité d’approvisionnement peut être de nature à empêcher l’entrée de fabricants concurrents tandis que la réduction de la concurrence intramarque issue d’une exclusivité de clientèle peut également s’étendre à la concurrence intermarque ». Aussi, pour remédier à ce problème et lutter contre la vie chère dans ces territoires, la loi 2012-1270 du 20 novembre 2012 a-t-elle introduit l’article L. 420-2-1 du Code de commerce qui prohibe, dans ces collectivités, « les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises ».

La décision 20-D-16 rendue par l’Autorité le 29 octobre 2020 constitue une des rares décisions en la matière. En l’occurrence les champagnes Nicolas Feuillate, l’une des marques les plus consommées en Guyane et aux Antilles, avaient accordé des droits exclusifs d’importation sur une partie du territoire des Antilles (Saint-Martin, Saint-Barthélémy, Martinique) à des distributeurs implantés dans ces collectivités jusqu’en 2015 et 2019. Or, le maintien de droits d’importation exclusifs au-delà du 22 mars 2013, ou leur octroi après cette date, constituent des infractions à l’article L. 420-2-1 du Code de commerce, qui justifient une sanction tant du bénéficiaire de ces droits que de celui qui les accorde (AdlC n° 19-D-20 du 8 octobre 2019 ; n° 18-D-03 du 20 février 2018).

Après s’être saisie d’office des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne en Antilles/Guyane, l’AdlC a adressé une notification des griefs à Nicolas Feuillate et ses importateurs leur reprochant des pratiques contraires à l’article L. 420-2-1.

Inapplicabilité du droit de l’Union

Pour s’opposer à l’applicabilité de l’article L. 420-2-1 du Code de commerce, les parties ont invoqué l’application des règles de l’Union au motif que les dispositions françaises seraient contraires à l’article 3 du règlement 1/2003 qui exclut que le droit national interdise une pratique qui ne restreint pas la concurrence au sens du droit européen. Leur argument est rejeté : le droit de l’Union n’a pas vocation à s’appliquer lorsque les poursuites sont uniquement fondées sur l’article L. 420-2-1. Par ailleurs, la jurisprudence européenne ne se montre pas favorable aux droits exclusifs d’importation qu’elle juge restrictifs du commerce intracommunautaire (CJCE, 19 mars 1991, aff. C-202/88).

Preuve des exclusivités d’importation

Les parties soutenaient que les éléments contenus dans le dossier étaient insuffisants pour démontrer l’existence d’un concours de volonté susceptible de caractériser une violation de l’article L. 420-2-1 du Code de commerce. L’Adlc rappelle que la preuve des pratiques anticoncurrentielles peut être apportée par un faisceau d’indices, même si chacun pris isolément est insuffisant à les établir. En l’espèce, les refus de vente opposés par Nicolas Feuillate à certains distributeurs présents en Martinique en mettant en avant les relations établies avec l’importateur exclusif, la mise en place d’un système afin d’identifier et de limiter les importations de produits Nicolas Feuillate provenant d’autres importateurs et le fait que le caractère exclusif de la relation était bien compris des parties même si le terme « exclusivité » ne figurait pas dans les documents contractuels (V. égal. AdlC n° 18-D-21 du 8 octobre 2018) démontrent l’existence d’un droit exclusif d’importation des produits Nicolas Feuillate jusqu’en 2016. En revanche, l’AldC considère que lorsqu’un contrat écrit prévoit une clause d’exclusivité et en l’absence d’autres éléments du dossier laissant penser que l’exclusivité d’importation s’est poursuivie après la suppression de l’exclusivité contractuelle, il est inutile de rechercher d’éventuels indices de pratique concertée entre le fournisseur et son importateur exclusif. En l’occurrence, un contrat conclu en 2011 pour une période d’application jusqu’en 2013 contenait une clause de tacite reconduction, le nouveau contrat de 2014, qui ne comportait plus de clause d’exclusivité, étant entré en vigueur le 1er janvier 2015. Il en résulte que le non-respect des dispositions de l’article L. 420-2-1 n’est établi que pour la période courant du 22 mars 2013 au 1er janvier 2015.

Faute de pouvoir établir que les conditions pour obtenir l’application de l’article L. 420-4, III sont réunies, les parties se voient infliger des sanctions pécuniaires d’un faible montant (421 000 euro pour l’importateur exclusif), compte tenu du caractère limité du dommage à l’économie, pour le calcul desquels l’Autorité ne s’est pas inspiré du Communiqué sanctions, en raison de la spécificité de l’infraction reprochée et du fait qu’elle ne concerne qu’un territoire limité.