La Cour de cassation vient de rendre un arrêt fondamental, qui sera publié au Bulletin, sécurisant l’exercice du droit d’agrément au regard du droit des contrats (Cass. com., 27 mars 2019, LawLex19420)

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris en 2017 dans cette affaire avait laissé les commentateurs mi-figue, mi-raisin (Paris, 24 mai 2017, LawLex17919). En l’occurrence, après avoir liquidé son activité et cédé son fonds de commerce à un tiers, un constructeur avait résilié l’ensemble de ses contrats de vente et de service après-vente avec préavis d’un an et annoncé une réorganisation complète du réseau. Quelques jours plus tard, le cessionnaire notifiait au réseau sa reprise de la distribution en France et invitait les concessionnaires intéressés à faire acte de candidature. Un membre de l’ancien réseau présentait alors sa candidature à la fois pour les activités de vente et de réparation. Sa candidature était rejetée par le cessionnaire, pour non-respect de ses critères d’agrément et en raison du net recul des performances du distributeur en cours de préavis. Estimant cette décision fautive, l’ancien distributeur saisissait la justice. Débouté par les premiers juges, il obtenait partiellement gain de cause en appel.

Sur le plan du droit de la concurrence, l’arrêt emportait une totale adhésion. S’agissant de l’activité de vente, la cour avait relevé que les systèmes de distribution sélective quantitative tels que celui mis en place par le cessionnaire étaient à la date des faits exemptés par le règlement 1400/2002 en dessous de 40 % de part de marché. Répondant à cette condition, le cessionnaire pouvait prétendre à l’exemption automatique, sous réserve d’éventuelles restrictions caractérisées. Or, selon la cour, un refus d’agrément, même discriminatoire ou injustifié, ne constituait pas une restriction caractérisée au sens du règlement. S’agissant de l’activité de réparation, la cour avait estimé, de façon discutable, que le cessionnaire détenait nécessairement une part de marché supérieure à 80 % et ne pouvait donc prétendre à l’exemption automatique. Néanmoins, elle estimait qu’un refus d’agrément ne constituait pas une entente anticoncurrentielle (et donc implicitement qu’il s’agissait d’un acte unilatéral).

Après avoir absous le concédant de tout grief concurrentiel, elle retenait cependant sa responsabilité sur le fondement du droit des contrats, au terme d’un raisonnement plus que critiquable. En effet, selon les juges parisiens, le concédant qui sélectionne ses distributeurs sur la base d’un appel à candidatures serait tenu, dès la phase précontractuelle, au respect d’une obligation générale de bonne foi dans le choix du cocontractant. Cette obligation lui imposerait de sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés et d’appliquer ceux-ci de manière non-discriminatoire. Dans le cadre de l’examen des candidatures reçues, le concédant aurait l’obligation de justifier les motifs de son choix au regard des critères de sélection qu’il s’est lui-même librement fixés, « au nom du principe général de bonne foi, applicable dès la phase précontractuelle ». Dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, il en résulterait la triple obligation pour le concédant de (1) notifier ses critères à tous les candidats dans les mêmes conditions, préalablement à leur réponse ; (2) motiver son éventuel refus d’agrément pour démontrer que les candidatures ont été examinées avec sérieux ; (3) s’abstenir de discriminer. Or, selon la cour, aucune de ces conditions n’était remplie en l’espèce. Elle estimait donc que le refus d’agrément opposé à l’ancien distributeur, engageait la responsabilité délictuelle du concédant sur le fondement de l’article 1240 du Code civil. En réponse à l’objection du constructeur, la cour réservait toutefois cette solution à l’hypothèse du recours à un appel à candidatures et l’excluait dans celle du refus d’agrément opposé par un fabricant à un commerçant qui souhaiterait spontanément, et, pour la première fois, entrer dans le réseau de distribution.

Nous avions à l’époque sévèrement critiqué cette solution, qui consistait, après avoir évacué le droit de la concurrence par la porte, à le réintroduire par la fenêtre dès lors que la cour retenait, sur le fondement d’une obligation de bonne foi au cours de la phase précontractuelle, la même grille d’analyse que celle employée autrefois pour apprécier la conformité d’un refus d’agrément à l’article L. 420-1 du Code de commerce.

L’arrêt de la cour d’appel encourait plusieurs critiques :

* alors que le législateur avait très clairement et légitimement entendu mettre fin à la prohibition des pratiques discriminatoires per se, la cour rétablissait contra legem une interdiction de celles-ci fondée sur le droit commun de la responsabilité, sans caractériser de faute détachable de l’éventuelle discrimination alléguée,

* il remettait en cause l’effet utile du droit européen de la concurrence en instituant une interdiction que celui-ci autorise. En effet, la Cour de justice a dit pour droit que l’animateur d’un réseau de distribution sélective quantitative doit seulement établir des critères définis, c’est-à-dire dont le contenu précis peut être vérifié, sans que ces critères aient à être objectivement justifiés et appliqués de façon uniforme et non différenciée à l’égard de tous candidats à l’agrément (CJUE, 14 juin 2012, aff. C-158/11, Auto 24 SARL c. Jaguar Land Rover France SAS, LawLex12871).

* il n’était pas conforme au droit des contrats. Ce n’est que sous l’empire du nouveau Code civil, applicable aux seuls contrats conclus à compter du 1er octobre 2016, que les contrats doivent être formés de bonne foi. Or, ces dispositions n’étaient pas encore applicables à l’époque des faits. En outre, le contrat n’avait jamais été conclu : l’on se trouvait donc dans une hypothèse de rupture de pourparlers dont la conséquence ne pouvait pas être l’indemnisation du contrat non conclu.

La Cour de cassation, qui semble avoir entendu ces critiques, censure aujourd’hui l’arrêt d’appel. Selon la Haute juridiction, les juges du fond qui avaient retenu que le réseau en cause était organisé selon les règles de la sélection quantitative ne pouvaient, sans violer les principes de liberté contractuelle et de liberté du commerce et de l’industrie, énoncer « que le “concédant” est tenu, dès la phase précontractuelle, de respecter son obligation générale de bonne foi dans le choix de son cocontractant et en dédui[re] que le titulaire du réseau doit sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés et appliquer ceux-ci de manière non-discriminatoires ». En effet, « l’exigence de bonne foi ne requiert pas, de la part de la tête d’un réseau de distribution la détermination et la mise en oeuvre d’un tel processus de sélection ».

La solution mérite une totale approbation. En premier lieu, elle assure la conformité de notre droit au droit européen de la concurrence, qui n’exige pas d’un fournisseur à la tête de réseau de distribution sélective quantitative de s’abstenir de toute discrimination dans la mise en oeuvre de ses critères d’agrément (V. arrêt Jaguar précit.). En second lieu, sa portée semble s’étendre à l’ensemble des réseaux de distribution, qu’ils soient sélectifs ou non, quantitatif ou qualitatifs. En effet, dans son attendu, la Cour de cassation ne rattache pas la solution à un type de réseau particulier : après avoir certes visé la distribution sélective quantitative, elle énonce un principe qui s’applique non pas à « la tête d’un tel réseau », mais « la tête d’un réseau de distribution » en général. Elle semble ainsi signifier, en invoquant les principes de la liberté contractuelle et de liberté du commerce et de l’industrie, que l’organisation d’un réseau de distribution, quel qu’il soit, n’est pas bornée par l’exigence de bonne foi. Celle-ci ne peut être appelée à la rescousse pour réintroduire des concepts de droit de la concurrence aujourd’hui largement dépassés.

L’arrêt de la Cour de cassation devrait donc, espérons-le, désormais sécuriser l’exercice du droit d’agrément aussi bien en droit de la concurrence qu’en droit des contrats.

Cass. com., 27 mars 2019