La Cour de cassation vient de rendre une décision capitale concernant la prescription de l’action en garantie des vices cachés dans une affaire suivie par l’équipe après-vente du cabinet Vogel.
Le 4 octobre 2018, la cour d’appel de Paris avait estimé, au visa combiné des articles L. 110-4 du Code de commerce et 1648 du Code civil, qu’un importateur automobile ne pouvait être appelé à titre principal ou en garantie plus de cinq ans après la première vente ou mise en circulation d’un véhicule.
La solution, déjà consacrée par la Cour de cassation avant la réforme de la prescription opérée le 17 juin 2008 (V. Cass. com., 27 nov. 2001, n° 99-13.428, LawLex054994), s’insérait dans un courant jurisprudentiel solidement ancré chez les juges du fond postérieurement à cette réforme, qui venait d’ailleurs de recevoir l’aval de la Première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 6 juin 2018, n° 17-17.438, LawLex18868), rejointe en ce sens par la Chambre commerciale (Cass. com., 16 janv. 2019, n° 17-21.477, LawLex1955).
En vertu de cette jurisprudence, le délai de deux ans offert à l’acheteur par l’article 1648 du Code civil pour exercer l’action en garantie des vices cachés est lui-même enserré dans le délai de prescription de droit commun, fixé, en matière commerciale, à cinq ans par l’article L. 110-4 du Code de commerce. Ce délai d’action court non « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » comme celui de l’article 2224 du Code civil, ou plus concrètement, à partir de la découverte du vice, mais à compter de la vente initiale.
Cette solution est pleinement satisfaisante pour les constructeurs et les importateurs de leurs véhicules : ceux-ci, tenus de garantir les biens vendus, ne peuvent être indéfiniment placés sous une épée de Damoclès et menacés d’avoir à reprendre le bien à sa valeur d’acquisition, alors que des désordres peuvent survenir après de très nombreuses années d’utilisation du bien.
En l’occurrence, le sous-acquéreur débouté de son action en garantie dirigée contre l’importateur du véhicule a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris et a, dans ce cadre, tenté de remettre en question l’interprétation jurisprudentielle des articles 1648 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce.
Il a en effet demandé à la Haute juridiction de soumettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suivante :
« Les articles L. 110-4 du Code de commerce et 1648 du Code civil, tels qu’interprétés par la Cour de cassation, sont-ils contraires à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 en ce qu’ils ont pour effet d’interdire à l’acquéreur ou le sous-acquéreur d’un bien d’agir contre le vendeur commerçant sur le fondement de la théorie des vices cachés dès lors que celui-ci a découvert le vice affectant la chose postérieurement à l’échéance du délai de prescription prévu par l’article L. 110-4 du Code de commerce ? »
Par son arrêt rendu le 23 mai dernier, la Cour de cassation a déclaré cette question irrecevable. En effet, la Haute juridiction opère une distinction subtile entre la critique d’un texte de loi ou de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à ce texte, qui est permise par le mécanisme de la QPC, et la critique d’une règle jurisprudentielle tirée de la combinaison de plusieurs textes de loi, sans remise en cause de la constitutionnalité des textes eux-mêmes, qui n’est pas permise. Or, en l’occurrence, elle estime que la question soumise par le sous-acquéreur relève de la deuxième catégorie et rejette donc la demande de transmission au Conseil constitutionnel.
Cette décision doit être saluée. Obtenue grâce au travail de nos équipes, elle consolide une solution jurisprudentielle juste et proportionnée, qui conforte à la fois le droit d’action de l’acheteur et le besoin de sécurité juridique des constructeurs et importateurs. Il est à noter que la pertinence de l’argumentation du Cabinet Vogel a été soulignée par l’Avocat général de la Cour de cassation dans son avis, qui a rappelé « comme le relève le mémoire en défense déposé par la société [en cause], que la contrainte imposée à l’acquéreur doit être mise en balance » avec les sujétions imposées au vendeur ».