Le droit de la rupture de relations commerciales établies a fait l’objet d’une importante réforme par l’ordonnance dite EGalim du 24 avril 2019, entrée en vigueur le 26 avril 2019.

Les ambitions du texte sont clairement affichées dans le rapport au Président de la République, qui dresse un constat sans appel : « L’interprétation jurisprudentielle du texte a conduit, selon les opérateurs économiques, à plusieurs dérives. Tout d’abord, cette disposition a pu avoir pour effet d’imposer aux entreprises de rester en relation avec des partenaires pendant de très longs préavis même si leurs offres commerciales ne correspondaient plus aux conditions du marché. Ensuite, ce texte qui n’existe pas dans d’autres pays est souvent détourné de son objet initial, l’augmentation de la durée des préavis et le coût des indemnités n’incitant pas les partenaires à faire jouer la concurrence même lorsque celle-ci serait in fine bénéfique pour le consommateur. En outre, le coût excessif de ces ruptures est souvent répercuté sur le prix de vente, ce qui est contraire à l’objectif recherché. Enfin, compte tenu de la jurisprudence fluctuante en matière de fixation des indemnités, le partenaire dont le contrat est en voie d’être rompu peut avoir intérêt à engager une action en réparation quelles que soient par ailleurs les circonstances de la rupture (ce qui conduit à une inflation du nombre de procédures devant les tribunaux). Il apparaît aujourd’hui impératif de rechercher un nouvel équilibre des intérêts en présence dans un souci d’équité, de cohérence, d’efficience économique et, plus simplement, pour permettre à la concurrence entre fournisseurs de s’exercer, sans protéger excessivement certains acteurs économiques en place par rapport à leurs concurrents ».

Sur la base de ce diagnostic précis, général et complet, l’ordonnance EGalim n’a pourtant mis en œuvre que deux mesures ciblées : i) l’auteur d’une rupture d’une relation commerciale ne peut voir sa responsabilité engagée du chef d’une durée insuffisante du préavis si un préavis d’au moins 18 mois a été accordé et ii) la condition de doublement de la durée de préavis en cas de marque de distributeur ou de mise en concurrence par enchères à distance est supprimée. Si ces deux mesures vont dans le bon sens, elles demeurent très en retrait par rapport au constat des effets pervers du texte et ne les corrigent qu’à la marge. Un complément à la réforme s’avère dès lors déjà indispensable.

1- Des indemnisations excessives et inéquitables

  • Le maintien possible de longs préavis au-delà de 18 mois.
    Avant la réforme, des préavis de 2 ou 3 ans pouvaient, en pratique, être accordés. De telles durées sont incompatibles avec la réactivité exigée des entreprises. L’introduction d’une exemption de responsabilité pour préavis insuffisant ne règle pas entièrement la question de la longueur excessive des préavis. En effet, il ne s’agit pas d’un plafond, mais d’une simple exemption de responsabilité. En cas d’octroi d’un préavis inférieur à 18 mois ou en cas d’absence de préavis écrit, rien n’empêchera un plaideur de réclamer un préavis de 24 ou 36 mois en cas de durée très importante des relations et de forte dépendance, même s’il n’est plus compétitif par rapport aux conditions du marché. Seule l’institution d’un véritable plafond serait à même de régler la difficulté et, compte tenu de l’efficience requise des entreprises, ce plafond devrait s’élever au maximum à 12 mois.
  • Une absence de prise en considération de la reconversion du partenaire.
    La jurisprudence continue à apprécier la durée du préavis nécessaire au jour de l’envoi de la lettre de résiliation, sans tenir aucun compte des événements postérieurs (Cass. com., 5 juill. 2017, LawLex171191 ; 3 juillet 2019, LawLex19923 ; Paris, 18 avr. 2019, LawLex19578 ; 23 mai 2019, LawLex19699). La reconversion rapide du partenaire n’exerce donc aucune influence sur la responsabilité de l’auteur de la rupture, ce qui paraît illogique et contra legem. L’octroi d’un préavis a par définition pour objet de laisser le temps au partenaire résilié de se reconvertir. S’il a pu le faire par anticipation, le préavis devient sans objet. Par ailleurs, le texte précise qu’un préavis insuffisant engage la responsabilité de son auteur. En l’absence de préjudice, aucune indemnité ne devrait être accordée. Au contraire, le droit actuel permet l’indemnisation de ruptures qui n’ont causé aucun préjudice, en contravention avec le principe de réparation intégrale.
  • L’octroi persistant d’une indemnisation du préavis insuffisant sur la base de la marge brute.
    De nombreuses décisions continuent d’indemniser le préavis manquant sur la base de la marge brute qui aurait été réalisée sur cette période (Paris, 17 mai 2018, LawLex18774 ; 7 nov. 2019, LawLex191371). Or, par définition, toute une série de coûts variables et parfois même de coûts fixes ne sont plus supportés en cas d’arrêt de l’activité. En cas d’arrêt de la distribution d’une marque par exemple, le partenaire ne fera plus de publicité pour les anciens produits contractuels, ne supportera plus de frais financiers sur un stock qui n’existe plus, ne paiera plus de commissions aux vendeurs, ni de charges sociales sur commissions, etc. La seule mesure exacte du préjudice subi en cas d’insuffisance du préavis consiste à indemniser la marge sur coûts évités (Paris, 30 oct. 2019, LawLex191299).
  • Une application extraterritoriale incompatible avec la protection de l’ordre économique national.
    Dès lors que le droit français régit un contrat international, le partenaire résilié est en droit d’invoquer une rupture de relations commerciales établies (Cass. com., 7 mai 2019, LawLex19608). Mais en quoi l’ordre public français qui justifie l’indemnisation de brusques ruptures en vue de la protection de la partie faible a-t-il vocation à s’appliquer au-delà du territoire français ? Le droit belge de la concession exclusive, par exemple, est beaucoup plus réaliste et ne s’applique qu’aux contrats de distribution exécutés en Belgique.

2- Une insécurité juridique persistante

  • Des applications divergentes au sein d’une même cour d’appel ou de la même chambre.
    Sur de nombreux points, la jurisprudence applique des solutions radicalement différentes selon la chambre de la cour d’appel saisie et parfois au sein de la même chambre qui appliquera, par exemple, tantôt la marge brute (Paris, 5-4, 6 nov. 2019, LawLex191351), tantôt la marge sur coûts variables (Paris, 5-4, 30 oct. 2019, LawLex191299) ou considérera tantôt que le recours aux appels d’offres précarise (Paris, 5-4, 14 nov. 2018, LawLex181750) la relation et tantôt que non (Paris, 5-4, 10 avr. 2019, LawLex19536). De même, le texte sera considéré selon la chambre tantôt comme une loi de police (Paris, 5-4, 9 janv. 2019, LawLex1910), tantôt comme n’en remplissant pas les conditions (Paris, 5-5, 28 févr. 2019, LawLex19299).
  • Une application de la loi dans le temps à géométrie variable.
    L’ordonnance EGalim est muette quant à l’application dans le temps du nouveau droit de la rupture de relations commerciales, sauf en ce qui concerne sa date d’entrée en vigueur, le 26 avril 2019. Cette absence de précision du droit transitoire conduit d’ores et déjà les plaideurs à invoquer tout et son contraire. Le fait que la responsabilité soit délictuelle dans les rapports internes (Paris, 20 juin 2017, LawLex171095) et contractuelle dans les rapports internationaux (Paris, 6 nov. 2019, LawLex191339) ne simplifie pas les choses. En droit interne, certains plaideurs font valoir que la loi s’applique aux résiliations intervenues avant le 26 avril 2019 en raison de son caractère d’ordre public ou au contraire qu’elle ne saurait avoir d’effet rétroactif dans la mesure où ses sanctions sont plus sévères qu’auparavant. Dans les rapports internationaux, il pourrait être argumenté au contraire qu’elle ne peut en aucun cas s’appliquer même à la résiliation postérieure au 26 avril 2019 d’un contrat conclu antérieurement. Il aurait été préférable de définir une règle claire selon laquelle les résiliations antérieures au 26 avril 2019 demeureraient soumises à l’ancien droit, le nouveau droit ne s’appliquant qu’à celles prononcées à compter du 26 avril 2019. Toute cette insécurité juridique ne pourra être corrigé par la jurisprudence et appelle impérativement une intervention législative.