La Commission met un coup d’arrêt au projet d’acquisition d’Alstom par Siemens.

La réunion des deux fers de lance de l’industrie ferroviaire en Europe n’aura finalement pas lieu : la Commission a estimé que l’opération aurait permis aux parties d’occuper une place de leader au sein de l’EEE sur plusieurs marchés de la signalisation ainsi qu’une position dominante dans le secteur des trains à très grande vitesse, et que la concentration aurait été de nature à entraver la concurrence dans ces deux domaines, au préjudice des consommateurs européens.

La protection des opérateurs ferroviaires et des passagers européens avancée par la Commission

Selon la Commission, la disparition du rapport de concurrence existant entre ces deux acteurs majeurs européens risquait de se traduire par une hausse des prix et une réduction du choix des clients, un recul de l’innovation, ainsi qu’un risque d’éviction des concurrents les plus modestes. Par ailleurs, la concurrence actuelle serait insuffisante pour garantir une concurrence effective tandis qu’à l’échelon mondial, la concurrence potentielle des fournisseurs chinois serait « hautement improbable » dans un avenir prévisible pour les trains à très grande vitesse et peu crédible, voire pas crédible « avant très longtemps » pour les systèmes de signalisation.

Des mesures correctives jugées insuffisantes pour lever les préoccupations concurrentielles de la Commission

Selon le gendarme européen de la concurrence, pour les systèmes de signalisation grandes lignes, la combinaison complexe d’actifs proposée par les parties ne permettrait pas une « cession d’activité autonome et pérenne qu’un acheteur aurait pu utiliser pour concurrencer de manière effective et indépendante l’entreprise issue de la concentration ». Pour le matériel roulant à très grande vitesse, le Commission a retoqué l’engagement de céder soit un train, le « Pendolino » d’Alstom, qui actuellement n’est pas en mesure de rouler à très grande vitesse, soit une licence portant sur une technologie à très grande vitesse mais soumise à des conditions et exceptions si restrictives qu’elles « auraient fait obstacle au développement, par l’acheteur, d’un train à très grande vitesse concurrent, en le privant de la capacité et des incitations nécessaires pour ce faire ».

Une interdiction de concentration qui suscite débat …

La Commission s’oppose rarement au rapprochement d’entreprises : depuis 1990, elle n’a empêché qu’une trentaine de concentrations sur plus de six mille opérations examinées. C’est dire si le refus de Bruxelles a causé un tollé général au sein de l’Europe et en particulier, des deux côtés du Rhin. Initialement, la constitution d’un géant européen du rail devait répondre à la nécessité de faire face à la concurrence chinoise : l’entité issue de la concentration aurait été la seconde entreprise mondiale du secteur ferroviaire avec un chiffre d’affaires représentant deux fois celui de Bombardier, mais seulement la moitié de l’entreprise chinoise numéro un, CCRC. Si le refus de ce mariage franco-allemand se justifie, selon la Commission, par la défense des intérêts des vingt-six autres pays de l’Union, qui redoutent un affaiblissement de la concurrence, il reste qu’une appréciation économique plus globale aurait été envisageable.

Une toute autre analyse concurrentielle aurait été possible…

D’abord, une autre définition du marché aurait pu être retenue par la Commission, qui a pris en considération l’EEE mais aussi un marché plus vaste comprenant le reste du monde, à l’exclusion de la Corée, du Japon et surtout de la Chine. Elle a par ailleurs écarté la menace chinoise d’un revers de manche alors même que l’objectif annoncé de CCRC est de se développer à l’international (déjà partie à la conquête de l’Asie, l’Afrique et l’Amérique, l’entreprise a multiplié par dix ses actifs à l’étranger, passant de 3 à 34 milliards de yuan de 2013 à 2017 avec pour objectif de réaliser 25 % de chiffre d’affaires à l’étranger en 2020 contre 20% en 2017). Enfin, la Commission n’a en réalité envisagé que des propositions de cessions d’actifs alors que des remèdes comportementaux sont tout autant de nature à dissiper les problèmes de concurrence. D’où la proposition de certains de changer la politique de concurrence de l’Union pour soutenir la création de géants européens afin d’être plus compétitif sur le marché mondial.

Réforme du règlement Concentrations : plusieurs pistes envisagées

Qualifiant la décision de la Commission d’« erreur économique » et de « faute politique » qui va servir les « intérêts économiques de la Chine », tout en « allant à l’encontre des enjeux industriels de l’Europe et de sa compétitivité », le ministre français des finances a annoncé son intention de proposer avec son homologue allemand, de nouvelles règles de concurrence européennes pour remplacer le règlement Concentrations qu’ils estiment obsolète alors que l’Europe se trouve affaiblie par le Brexit, la montée de la Chine et le protectionnisme américain. Cette refonte, qui nécessiterait un vote à la majorité des États membres, impliquerait une prise en considération accrue de la concurrence potentielle dans les pays émergents au sein de l’analyse concurrentielle d’une concentration, de recourir plus volontiers à des remèdes de nature comportementale, plus souples, en cas de préoccupations de concurrence, et notamment de faire primer, dans certains cas, la dynamique du marché et l’intérêt général, plutôt que l’intérêt des consommateur et de la concurrence.

Vers une possibilité de passer outre le veto de la Commission pour des motifs d’intérêt général ?

Une solution pourrait consister dans la possibilité d’aller à l’encontre d’une décision de refus d’autorisation d’une concentration par la Commission, pour des motifs d’intérêts généraux comme la sécurité, la santé publique, l’emploi, etc., selon un mécanisme similaire au pouvoir d’évocation des décisions de l’Autorité de la concurrence dont le ministre de l’Economie est doté en France par l’article L. 430-7-1 du Code de commerce, à l’instar de l’Allemagne, du Royaume-Uni et des États-Unis.

L’affaire Alstom/Siemens met en lumière un vrai problème et la réponse de la commissaire à la concurrence selon laquelle la riposte à la concurrence internationale se trouverait dans un meilleur contrôle des investissements étrangers et davantage de réciprocité dans l’accès aux marchés publics apparaît comme un vœu pieux, parfaitement insuffisant pour y remédier…