Une nouvelle réforme de la Justice est sur les rails. A la suite du Conseil des ministres du 14 avril 2021, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le projet de loi pour la Confiance dans l’institution judiciaire. Ce projet en vue d’une justice plus lisible, plus efficace et plus proche sera débattu dès le mois de mai devant le Parlement. Même si parmi les 37 articles du projet de loi, beaucoup de dispositions très techniques ne concernent pas directement les entreprises, certaines d’entre elles les intéresseront au plus haut point. Il est donc important de les connaître, de mesurer les avancées de la réforme et les points sur lesquels des améliorations seraient souhaitables.
1. Vers une plus grande médiatisation des procédures : les audiences filmées.
Le projet de loi, s’il est adopté, instituera un régime radicalement nouveau, passant d’un régime d’interdiction générale du filmage des audiences – avec des exceptions pour les grands procès au nom de l’Histoire -, à un régime d’autorisation de principe avec des exceptions. Actuellement, l’article 38 ter de la loi sur la presse prévoit que « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit ». Le projet prévoit un nouveau régime d’autorisation d’enregistrement sonore ou audiovisuel des audiences judiciaires ou administratives en vue de leur diffusion fondée sur un motif d’intérêt public. L’enregistrement des audiences publiques ne sera pas conditionné à l’accord des parties, contrairement aux audiences non publiques. La diffusion ne pourra cependant intervenir qu’une fois que la décision rendue sur le fond sera définitive. Par exception, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation pourront diffuser en direct, après recueil préalable de l’avis des parties, leurs audiences publiques, comme le fait déjà le Conseil constitutionnel. La réforme a avant tout une dimension pédagogique. Il s’agit de mieux faire connaître le fonctionnement de l’institution judiciaire en espérant ainsi limiter la défiance dont elle fait l’objet. Même si la réforme pose des problèmes complexes quant à ses modalités de mise en œuvre et a suscité des avis mitigés de certains acteurs du monde judiciaire, elle nous semble bienvenue, y compris pour les entreprises. Le souci de pédagogie qui inspire la réforme ne peut qu’être approuvé. Au-delà, il ne faut pas oublier l’importance des archives audiovisuelles de la justice pour les historiens de demain et leur utilité pour les étudiants. Enfin et surtout, le filmage et la diffusion des audiences concourent au même objectif que la publicité des débats, conquête révolutionnaire majeure. Les parlements de l’Ancien Régime cultivaient le secret. La publicité des débats permet le contrôle des juges et la préservation de l’arbitraire. Le filmage des audiences et leur diffusion constituent un moyen de démultiplier l’effet positif de la publicité des débats sur le traitement équitable et objectif des justiciables. Une pénaliste expérimentée, Me Ricard, a ainsi relevé que « peut-être que les caméras empêcheront certains magistrats – mais aussi des avocats – de mal se comporter… A partir du moment où la justice est rendue au nom du peuple, elle ne devrait rien avoir à cacher ». On ne peut qu’approuver cet avis. En même temps, il convient de déplorer le caractère limité de la réforme dont le périmètre est restreint aux juridictions administratives et judiciaires alors que très souvent les décisions les plus importantes, en matière économique notamment, sont rendues par les autorités administratives indépendantes qui ne sont pas visées par le projet, alors que la Cour de cassation les qualifie désormais de juridictions puisqu’elles disposent d’un pouvoir de sanction quasi-pénal. La publicité des débats devrait y être généralisée et le même régime d’audiences filmées s’appliquer à elles.
2. L’enquête préliminaire.
La durée maximale des enquêtes préliminaires devra être limitée à deux ans maximum, plus un an maximum sur autorisation du procureur selon le projet (3 ans + 2 ans en matière de terrorisme). In fine, le procureur décidera de classer l’enquête ou de poursuivre. Surtout, le mis en cause pourra demander, passé un an, à accéder à son dossier et à faire entendre des témoins. Là encore, la réforme inspirée par le rapport Mattéi sur le renforcement de l’équilibre des enquêtes préliminaires et du secret professionnel de l’avocat, mérite pleine approbation. Il est anormal que les justiciables soient soumis à des enquêtes secrètes à durée indéterminée sans avoir accès à leur dossier. Il importe peu que le pourcentage des enquêtes de plus de 3 ans soit d’environ 3 % seulement, car il s’agit souvent des plus importantes. Dans une société démocratique ouverte, la protection des libertés exige un plafonnement de la durée des enquêtes et un accès au dossier à un certain stade. Cela ne se discute même pas. L’Italie a adopté ce type de règles il y a plus de 30 ans. Il est plus que temps de les transposer en droit français. La réforme s’impose d’autant plus qu’elle contribuerait à l’efficience des procédures dont la durée est généralement inversement proportionnelle à leur efficacité. On peut regretter que le Parquet demeure l’autorité de prolongation alors que ce rôle devrait revenir, comme en Italie, au juge. Enfin, il devrait en être de même des enquêtes administratives, en particulier des enquêtes de concurrence ainsi que des procédures d’instruction devant les autorités administratives indépendantes.
3. La protection renforcée en apparence du secret professionnel.
Le projet affirme solennellement par insertion à l’article préliminaire du Code de procédure pénale que « le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure ». Un avocat en charge de la défense ne pourra faire l’objet d’une perquisition que s’il est mis en cause avec « des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ». Tout cela est bel et bien mais fait totalement l’impasse sur la protection du secret des correspondances avocat-client dans le cadre du conseil qui n’est plus reconnu par la jurisprudence, en contradiction frontale avec les textes applicables. De même, la confidentialité des avis des juristes d’entreprise et l’expérimentation du statut d’avocat en entreprise ont été retirés du projet, ce qui constitue un grave recul.
4. Les principales autres dispositions de la réforme.
Même si elles ne concernent pas directement le droit des affaires, il est important de savoir que le projet réforme également le régime de l’application des peines qui dépendra de la bonne conduite des condamnés sans réduction automatique, aménagera le travail en prison par un statut du détenu travailleur, généralisera les cours criminelles sans jury pour les crimes punis jusqu’à 20 ans de prison et renforcera la déontologie des professionnels du droit. Si la réforme s’avère positive sur de nombreux points, qui mériteraient d’être complétés, elle devrait cependant s’accompagner de mesures plus larges quant au budget de la justice, toujours très insuffisant, quant à l’organisation des tribunaux et des procédures, qui pourraient être améliorées et quant à la place encore trop limitée du droit et de la justice dans la société française (V. les propositions de Louis Vogel dans Justice Année Zéro, 20 propositions pour la justice de demain, Ramsay, 2019).