La décision fera doublement date. D’abord, jamais une entreprise individuelle ne s’était vu infliger un tel montant d’amende (le record de 350 millions était jusqu’alors détenu par Orange, Aut. conc., 17 déc. 2015, LawLex201500001757JBJ). Ses deux grossistes ont également écopé d’amendes de 62 et 76 millions d’euro, portant le total à 1,24 milliards d’euro. Ensuite, la sanction d’un abus de dépendance économique est extrêmement rare : seules trois autres condamnations ont été enregistrées à ce jour. L’affaire a pour origine la plainte déposée en 2012 par eBizcuss, revendeur spécialisé qui dénonçait son éviction graduelle du marché à la suite de l’ouverture, par la marque à la pomme, de ses propres magasins. De fait, l’enquête menée par l’Autorité de la concurrence (AdlC) a révélé trois pratiques anticoncurrentielles.

  1. Une entente de répartition de clients et de produits entre Apple et ses deux grossistes

Selon l’AdlC, Apple s’est entendue avec ses deux grossistes, leaders mondiaux du commerce de gros de produits électroniques, pour ne pas se faire concurrence et empêcher les distributeurs de faire jouer la concurrence entre eux. L’accord reposait sur un système rigide, accepté par les grossistes, d’allocation de quantités de produits livrables à chaque distributeur. Résultat : Apple a gelé la concurrence intramarque sur le marché de gros. L’expansion commerciale des revendeurs a été freinée par la limitation de leurs stocks et de leur possibilité de faire jouer la concurrence entre les grossistes. Ces derniers, en principe indépendants, se voyaient dicter leur politique d’approvisionnement et de revente au produit près, alors que pour certaines clientèles, ils pouvaient se trouver en concurrence avec Apple.

  1. Une entente verticale de prix imposés

Apple a par ailleurs imposé ses prix de revente aux revendeurs spécialisés haut de gamme, les Apple premium resellers (APR) par la diffusion de prix « conseillés » sur des supports accessibles aux consommateurs ; des clauses relatives à l’usage de la marque qui avaient pour effet de brider l’initiative commerciale des distributeurs en leur imposant l’utilisation des supports fournis par Apple lors des opérations promotionnelles, sous peine de résiliation immédiate du contrat ; une surveillance des prix accompagnée de mesures de représailles. Les relevés de prix effectués au cours de l’enquête ont ainsi établi que près de la moitié du marché de détail s’est aligné sur les prix pratiqués par les Apple Stores et le site de la marque.

  1. Un abus de la dépendance économique des revendeurs indépendants premium

Selon l’AdlC, la dépendance économique des APR procède d’un enchevêtrement complexe de clauses par lesquelles Apple leur impose de se consacrer quasi-exclusivement à ses produits et leur interdit, pendant toute la durée du contrat, et jusqu’à six mois après son terme, d’ouvrir un magasin spécialisé dans la vente exclusive de produits concurrents sur l’ensemble du territoire européen. Mais elle résulte aussi de l’absence d’alternative possible, en raison du fort attachement de la clientèle à la marque. Quant à l’abus, il est matérialisé par des difficultés d’approvisionnement et un traitement discriminatoire des APR par rapport aux Apple Store et au site de la marque, tout particulièrement en période de lancement de nouveaux produits et en période de fêtes de fin d’années, qui ne s’expliquent pas par des ruptures de stock. L’incertitude créée sur les conditions commerciales (remises et encours discrétionnaires) a encore renforcé la dépendance des APR. Selon l’AdlC, ces pratiques ont permis à Apple de bénéficier d’une couverture nationale sans avoir à investir dans des magasins en propre et de concentrer l’implantation de ses Apple Store dans les zones les plus rentables.

Comme on s’en doutait, Apple a d’ores et déjà annoncé son intention d’interjeter appel.