En France, les infractions boursières relèvent de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale. Elles peuvent également être réprimées par la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui, en vertu de l’article L. 621-15, III, du Code monétaire et financier, dispose d’un large pouvoir de sanction. Il en résulte ainsi qu’un même comportement peut simultanément constituer un délit puni par les tribunaux répressifs et un manquement au Règlement général de l’AMF qu’il lui revient de sanctionner.

Cette faculté de cumul des poursuites semble se heurter au principe « Non bis in idem » selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits », consacré dans notre ordre interne à l’article 368 du Code pénal et qui constitue un principe général du droit repris notamment par l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Tel n’est pourtant pas le raisonnement des juridictions nationales : la règle Non bis in idem ne vaut que pour la matière pénale ; or, la sanction de l’AMF, en tant qu’autorité administrative indépendante (AAI), revêt nécessairement une nature administrative ; dès lors, le principe Non bis in idem n’a pas vocation à s’appliquer au cumul des sanctions administratives et pénales. En outre, selon le Conseil constitutionnel, la double répression des délits boursiers n’est pas contraire au principe Non bis in idem, dès lors que le montant global des sanctions ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. Par un arrêt du 22 janvier 2014, la Cour de cassation a très récemment réaffirmé la non-application du principe Non bis in idem en matière de délits boursiers, en le soumettant à la double condition que le cumul garantisse une sanction «  effective, proportionnée et dissuasive » et que le montant global des amendes susceptibles d’être prononcées ne dépasse pas le plafond de la sanction encourue la plus élevée.

La Cour de cassation pourrait être amenée à revoir sa position dans un avenir proche compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Par un arrêt en date du 4 mars dernier, la Cour de Strasbourg a exigé de l’Italie qu’elle clôture dans les plus brefs délais les poursuites pénales qu’elle avait engagées, pour manipulation de marchés, à l’encontre de plusieurs personnes et sociétés, déjà définitivement sanctionnés par le régulateur boursier italien, en application du principe Non bis in idem. Compte tenu de la similarité des systèmes français et italien, la persistance du cumul des poursuites en France semble remise en question. Une possible condamnation de la France à ce titre est loin d’être inenvisageable, d’autant plus que la directive 2014-57 du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché a rappelé aux États membres la nécessité de veiller à ce que l’application de sanctions pénales et administratives en cas d’infractions n’entraîne pas une violation du principe Non bis in idem (cons. 23).

Avec la tenue, ces jours-ci, devant le tribunal correctionnel de Paris des procès Pechiney 2 et EADS, la question revient sur le devant de la scène. Dans l’affaire Pechiney 2, le Tribunal de Paris a condamné, vendredi 26 septembre, quatre individus déjà sanctionnés pour les mêmes faits (délits d’initiés) en 2008 par l’AMF ; dans l’affaire EADS, ce sont les anciens dirigeants d’EADS qui seront jugés au pénal, le 3 octobre prochain, pour vente suspecte de titres, infraction pour laquelle l’AMF ne les a finalement pas été sanctionnés. Les avocats d’EADS ont d’ores et déjà fait part de leur intention de demander l’extinction de l’action publique dans cette affaire en application de l’adage Non bis in idem auquel renvoie l’article 6 du Code de procédure pénal en disposant « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par (…) la chose jugée ». A également été évoquée la possibilité de poser une question prioritaire de constitutionnalité, voire d’interroger, à titre préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne. C’est dire combien les choses pourraient s’accélérer…Dans son jugement en date du 26 septembre, le Tribunal correctionnel de Paris a aussi reconnu le risque de condamnation de la France au vu de l’arrêt de la CEDH, incité la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la question, et admis que dans ce contexte, « le système français de répression des abus de marchés devrait être amené à évoluer en vue de coordonner la répression pénale et administrative des infractions boursières ».

Il est en effet plus que souhaitable que les juridictions françaises reviennent sur leur position. En plus d’être en contradiction avec le principe Non bis in idem, le système français est vecteur d’une grande insécurité juridique. Quoi de plus troublant que, pour les mêmes faits, un individu soit blanchi par une autorité et condamné par une autre ?

Devant cette nécessité de réfléchir sur l’articulation des rôles de l’AMF et de la justice pénale, un comité de travail interministériel a été constitué. Mais comment éviter le cumul ? Certains prônent pour la mise en place d’un « aiguillage » entre les institutions administrative et pénale, selon la gravité des infractions constatées, comme au Royaume Uni. A suivre donc…