La loi Sapin II en matière de lutte anti-corruption et de fraude fiscale prévoyait l’obligation pour les entreprises de rendre publiques leurs « pratiques de transfert de bénéfices et de base taxable vers des Etats à fiscalité privilégiée ». La mesure était très contestée, car elle contraignait les entreprises françaises à divulguer au public et aux concurrents des informations de nature à révéler leur stratégie commerciale, et leur imposait une charge excessive.
Dans sa décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions.

[…]
102. En instituant l’article L. 225-102-4 du code de commerce, le législateur a entendu, par une mesure de transparence, éviter la délocalisation des bases taxables afin de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Il a ainsi poursuivi un objectif de valeur constitutionnelle.
103. Toutefois, l’obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux correspondant à leur activité pays par pays, est de nature à permettre à l’ensemble des opérateurs qui interviennent sur les marchés où s’exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale. Une telle obligation porte dès lors à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, le paragraphe I de l’article 137 de la loi déférée est contraire à la Constitution. Il en va de même du reste de cet article, qui en est inséparable.
104. La conformité à la Constitution d’une loi déjà promulguée peut être appréciée à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine. En l’espèce, les dispositions du paragraphe III de l’article 137 déclarées contraires à la Constitution avaient pour effet d’abroger les paragraphes III à V de l’article 7 de la loi du 26 juillet 2013, lesquels instituent un dispositif semblable à celui prévu par le paragraphe I de l’article 137. Pour les mêmes raisons, ces paragraphes III à V de l’article 7 de la loi du 26 juillet 2013 doivent également être déclarés contraires à la Constitution ».
Une censure partielle est également prononcée s’agissant du dispositif de protection des lanceurs d’alerte. En effet, dans sa décision n° 2016-740 DC du même jour, relative à la loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, le Conseil a estimé que l’article 71-1 de la Constitution, qui permet au Défenseur des droits d’aider toute personne s’estimant victime d’une discrimination à identifier les procédures adaptées à son cas, ne postule pas l’obligation d’apporter lui-même une aide financière, qui pourrait s’avérer nécessaire, aux personnes qui peuvent le saisir. Il en conclut dès lors que « le législateur organique ne pouvait, sans méconnaître les limites de la compétence conférée au Défenseur des droits par la Constitution, prévoir que cette autorité pourrait attribuer aux intéressés une aide financière ou un secours financier ».
Par conséquent, la décision n° 2016-741 DC déclare inconstitutionnel l’article 14 de la loi Sapin II, qui prévoyait cette possibilité.
Enfin, s’agissant des rapports entre les « représentants d’intérêts » ou « lobbys » et les assemblées parlementaires, l’article 25 de la loi confie au bureau de chaque assemblée parlementaire le soin de déterminer les règles applicables aux représentants d’intérêts au sein de cette assemblée. Or, selon certains parlementaires, le texte méconnaîtrait l’autonomie des assemblées parlementaires, car la liste des représentants d’intérêts inscrits sur le répertoire prévu aux articles 18-1 et suivants de la loi, arrêtée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, pourrait s’imposer aux assemblées. Celles-ci seraient donc privées du pouvoir de déterminer elles-mêmes le champ d’application du régime encadrant leurs rapports avec les représentants d’intérêts, dont la qualification dépendrait d’une autorité administrative extérieure.
Selon le Conseil, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, « ne saurait, sans que soit méconnu le principe de la séparation des pouvoirs, être investie de la faculté d’imposer des obligations aux membres des assemblées parlementaires, à leurs collaborateurs et aux agents de leurs services, dans leurs relations avec ces représentants d’intérêts ». Néanmoins, tel ne serait ni l’objet ni l’effet des dispositions contestées. Pour autant, le Conseil formule une réserve d’interprétation. Les dispositions de la loi Sapin II « ne sauraient, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, interdire aux assemblées parlementaires de déterminer, au sein des représentants d’intérêts, des règles spécifiques à certaines catégories d’entre eux, ou de prendre des mesures individuelles à leur égard ».
Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

















