Beaucoup de responsables juridiques d’entreprise seront confrontés au cours de leur carrière à la nécessité de faire aboutir un projet d’acquisition, de fusion ou de création de filiale commune susceptible de relever du contrôle des opérations de concentration.
La première question des opérationnels concerne les délais d’autorisation. Ils souhaitent bien entendu réaliser l’opération dans les délais les plus brefs dès qu’ils en ont avisé leur responsable juridique.
L’erreur à ne pas commettre est de se fier aux délais théoriques de contrôle mentionnés dans le code de commerce s’agissant du contrôle français des opérations de concentration (ou aux délais évoqués dans le règlement concentration s’agissant des opérations soumises au contrôle européen) et de façon générale de sous-estimer les délais effectifs de contrôle tous délais confondus. Cela peut conduire à de graves désillusions au sein de l’entreprise.
Certes, l’article L. 430-5 du code de commerce dispose clairement que « l’Autorité de la concurrence se prononce sur l’opération de concentration dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète », avec une prorogation de 15 jours ouvrés en cas d’engagements et certaines possibilité de suspension, le délai d’examen approfondi en phase 2 tout à fait exceptionnel étant de 65 jours ouvrés.
Le site de l’Autorité de la concurrence se veut rassurant. Après avoir rappelé les délais légaux de phase 1 et de phase 2, il indique que la plupart des rapprochements ne posent pas de problème et font l’objet d’une procédure simplifiée qui dure environ 3 semaines (potentiellement 70% des dossiers), les autres dossiers étant traités dans leur quasi-totalité en moins de 5 semaines (phase1/examen simple).
La réalité pratique s’avère plus complexe pour les juristes d’entreprise.
Avant de notifier une opération, il faut en effet la préparer, la pré-notifier puis la notifier.
Il faut donc en réalité cumuler trois délais : le temps de préparation du dossier de pré-notification qui exige la collecte de nombreuses informations souvent difficiles à rassembler, le délai de pré-notification et la phase d’instruction de la notification, ce qui conduit à des délais bien plus longs en pratique que les seuls délais faciaux de notification.
Ce constat empirique résultant de notre pratique quotidienne nous a conduit à vouloir en avoir le cœur net et à diligenter une étude statistique en vue d’estimer les délais effectifs nécessaires actuellement pour faire aboutir une opération.
Il en résulte les principaux enseignements suivants.
1. Les délais de pré-notification estimés demeurent extrêmement longs en pratique et beaucoup plus longs que les délais de notification proprement dits :
- 72 jours en moyenne au global en 2023 (opérations de phase 1 et de phase 2 confondues) ;
- 62 jours pour les procédures simplifiées de phase 1 en 2023 (59 jours pour les 7 premiers mois de 2024) ;
- 156 jours pour les opérations de phase 1 normales (114 jours pour les 7 premiers mois de 2024) ;
- Et 352 jours pour les deux opérations de phase 2 intervenues en 2023 (même si l’on peut considérer que l’échantillon est trop restreint dans ce cas pour être représentatif).
[délais exprimés en jours calendaires].
2. Les délais d’instruction de phase 1 demeurent longs dès que l’on n’est pas en procédure simplifiée :
- 21 jours en moyenne toutes phases 1 confondues (simplifiées ou normales) en 2023 (et 23 jours pour les 7 premiers mois de 2024);
- 19 jours en phase 1 en procédure simplifiée en 2023 comme sur les 7 premiers mois de 2024 ;
- Mais 58 jours en phase 1 normale (60 jours pour les 7 premiers mois de 2024).
[délais exprimés en jours calendaires].
3. Les opérations qui ne relèvent pas d’une procédure simplifiée nécessitent au global un délai de pré-notification et de notification conséquent :
- En phase 1, 156 jours de pré-notification en moyenne puis 58 jours de notification, soit au total 214 jours d’instruction en moyenne en 2023.
[délais exprimés en jours calendaires].
4. Même les procédures simplifiées prennent un temps non négligeable :
- Même si une opération ne pose a priori aucun problème de concurrence et relève de la procédure simplifiée, elle exige en moyenne un délai de pré-notification de 62 jours et un délai d’instruction en phase 1 de 19 jours, soit tout de même 81 jours d’examen en moyenne sans compter la préparation du dossier.
5. On constate que plus de 90% des décisions de l’Adlc sont des décisions de Phase I rendues selon la procédure simplifiée – qui ne posent donc aucun problème de concurrence.
- Ce pourcentage interroge sur le degré de contrôle qui semble excessif car s’appliquant à un trop grand nombre d’opérations non problématiques. Le relèvement des seuils de contrôle permettrait de limiter ce surcontrôle et d’affecter davantage de ressources au contrôle des opérations posant des problèmes de concurrence et de réduire les délais.
Compte tenu de ces éléments, soyez prudents lorsque l’on vous interroge sur le délai que prendra l’examen du projet de concentration qui vous est soumis.
Demandez à être mis dans la boucle dès le tout début du projet.
Lancez immédiatement la constitution du dossier.
Et bien sûr intervenez en donnant les instructions nécessaires pour éviter toute mise en œuvre de l’opération avant qu’elle n’ait été autorisée.
Rappelez aux opérationnels que tous leurs échanges sur le projet sont susceptibles de devoir être transmis à l’Autorité ou de faire l’objet d’une demande de communication, voire d’une opération de visite et saisie dans les cas extrêmes.
Votre implication dès les prémisses du projet est la meilleure garantie de son aboutissement dans les délais et de la sécurité juridique de l’opération.
Détail de l’analyse
Etape de la procédure | Type d’opération et de procédure | Nombre de jours calendaires en 2023 | Nombre de jours calendaires en 2024
(de janvier à fin juillet 2024) |
Prénotification | Toutes opérations (opérations de phase 1 + opérations de phase 2) | 72 | Pas d’opération de phase 2 |
Opérations de Phase 1 (opérations en procédure normale + opérations en procédure simplifiée) | 69 | 59 | |
Dont procédures simplifiées
(plus de 90% des décisions de l’Adlc en concentrations) |
62
|
55 | |
Dont procédures normales | 156 | 114 | |
Opérations de Phase 2 | 352 (2 opérations) | Pas d’opération de phase 2 | |
Phase I | Toutes opérations (opérations de phase 1 et opérations de phase 2 | 21 | Pas d’opération de phase 2 |
Opérations de Phase 1 (procédure normale et procédure simplifiée) | 21 | 23 | |
Dont procédures simplifiées
(plus de 90% des décisions de l’Adlc en concentrations) |
19 | 19 | |
Dont procédures normales | 58 | 60 | |
Opérations de Phase 2 | 41 | Pas d’opération de phase 2 | |
Phase II | Phase 2 | 216 (2 opérations) | Pas d’opération de phase 2 |
Méthodologie :
- Les durées de prénotification n’étant pas publiques, elles ont été estimées en comparant la date de complétude du dossier avec la date de l’acte notifié, les prénotifications étant généralement concomitantes à la signature des actes soumis à notification. Ont été écartées les décisions dans lesquelles les dates mentionnées dans la décision étaient manifestement erronées ou donnaient des résultats aberrants.
- Les jours sont exprimés en jours calendaires et non en jours ouvrés.