Prix de cession abusivement bas : une première décision rendue par le Tribunal de commerce de Bordeaux

Le 22 février 2024, le tribunal de commerce de Bordeaux a rendu un jugement particulièrement important dans le contexte de la crise agricole actuelle qui a, pour la première fois, fait application de l’article L. 442-7 du Code de commerce prohibant les pratiques de prix abusivement bas. Ce dispositif, institué par la loi Chatel de 2008, et remanié par l’ordonnance du 24 avril 2019, interdit à tout acheteur de produits agricoles ou alimentaires de faire pratiquer par son fournisseur des prix de cession abusivement bas.

Les faits

Un vigneron médocain a poursuivi deux négociants bordelais pour avoir lui avoir imposé des prix de vente abusivement bas sur plusieurs lots de vin en vrac vendus entre 2021 et 2022. Les prix au tonneau variaient entre 1.150 et 1.200 euro pour des millésimes de 2019 à 2021, prix que le producteur considérait bien en dessous des normes du marché.

Arguant que les défendeurs avaient bénéficié d’avantages disproportionnés au regard de ses coûts de production, le vigneron sollicitait l’obtention de dommages et intérêts en réparation de son préjudice à hauteur de 715 000 euros.

Une décision attendue par le monde agricole

A l’issue de son analyse, le tribunal a condamné les négociants à verser un peu plus de 350.000 euros au viticulteur bordelais,

L’application de l’article L. 442-7 du Code de commerce suppose la comparaison entre le prix facturé et un certain nombre d’indicateurs, dont, en cas de première cession, ceux figurant dans la proposition de contrat du producteur agricole. Or, en l’espèce, le tribunal a constaté que les transactions n’avaient pas fait l’objet d’une proposition de contrat émanant du viticulteur, en violation des dispositions de l’article L. 631-24 du Code rural et de la pêche maritime, mais qu’au contraire, les conditions contractuelles lui avaient été imposées par le courtier des négociants, sans discussion possible, sous peine de ne pas obtenir les marchés. Les juges ont à cet égard réfuté le contre-argument de la partie adverse qui invoquait l’intervention d’un intermédiaire. Le tribunal considère que « le fait que les ensembles contractuels aient été établis par le courtier est indifférent quant à la responsabilité de l’acheteur final ».

Concernant la caractérisation des prix abusivement bas proposés par les acheteurs, l’alinéa 2 de l’article L. 442-7 précise qu’il faut tenir compte notamment des indicateurs de coûts de production mentionnés aux articles L. 631-24, L. 631-24-1, L. 631-24-3 et L. 632-2-1 du Code rural et de la pêche maritime ou, le cas échéant, de tous autres indicateurs disponibles dont ceux établis par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires mentionné à l’article L. 682-1 du même code. Or, en l’occurrence, aucun indicateur n’avait été publié par l’interprofession. De plus, le tribunal a été conduit à écarter une étude des prix de revient moyen établie par le Centre de Gestion Agricole et Rural d’Aquitaine (CEGARA) au motif que celle-ci s’appuyait sur un échantillonnage trop restreint d’exploitations, de surcroit non comparable à celle du demandeur en termes de surface productive. Enfin, le juge n’a pas retenu le calcul de ses coûts de production établi par le demandeur lui-même, en l’absence d’indication sur la méthodologie utilisée pour y arriver et en raison du fait que le prix de référence pouvant caractériser une pratique de prix abusivement bas doit reposer sur des indicateurs du marché et non sur le coût de production propre au vendeur, sauf lorsque celui-ci a été mentionné dans une proposition préalable, ce qui n’était le cas, comme on l’a vu, pour les ventes litigieuses.

Bien que le tribunal concède que les prix du marché constituent un indicateur imparfait, il s’agit du seul disponible en l’espèce. Le tribunal s’est donc appuyé sur une attestation d’un courtier assermenté faisant état de prix de vente moyens des vins AOP Médoc en vrac sur la période litigieuse. Il a ainsi pu constater que les prix moyens mentionnés dans l’attestation (1.300 à 1.800 euro/tonneau) étaient significativement supérieurs aux prix payés par les deux négociants en cause. A défaut d’autres indicateurs, c’est la moyenne de ces prix, soit 1.550 euro/tonneau qui a été retenue comme indicateur servant de base de comparaison avec les prix pratiqués pour les ventes litigieuses, et qui a conduit à une indemnisation fixée à plus de 350.000 euros.

 

 

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