L’ordonnance de 2016 a profondément réformé notre droit des contrats pour tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 et parfois même pour les contrats antérieurs compte tenu des coups de canifs portés par la jurisprudence au sacro-saint principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle. Six ans après cette réforme d’envergure, quel bilan peut-on en tirer ? Si l’on prend comme point de comparaison les craintes suscitées par la réforme, celle-ci a plutôt été bien « digérée » par la pratique et la jurisprudence : l’application rétroactive du nouveau droit, explicite ou implicite, est demeurée limitée, les dispositions les plus protectrices de la liberté contractuelle (interdiction des contrats perpétuels, liberté de contracter ou de ne pas contracter, absence d’obligation de renouveler un contrat à durée déterminée) ont été largement accueillies par les juges du fond, et les plus susceptibles de porter atteinte à la sécurité juridique (généralisation et renforcement du devoir d’information précontractuelle ainsi que de l’abus de dépendance, instauration d’un droit commun des clauses abusives, imprévision) bien encadrées, tandis que la pratique a su adapter ses contrats aux nouveaux textes.
I. Le droit positif issu de la réforme relatif à la naissance du contrat
1. Une large reconnaissance du droit de ne pas contracter. Le nouveau droit affirme de façon claire le principe de liberté contractuelle. Il a inspiré les solutions récentes rendues en matière de refus d’agrément au sein d’un réseau de distribution sélective. La Cour de cassation a ainsi clairement dit pour droit qu’au regard du droit civil, il n’existe aucune obligation d’agrément (Cass. com., 16 févr. 2022, LawLex202200001051JBJ, LawLex202200001052JBJ, LawLex202200001050JBJ). Si la solution rendue au titre du droit des contrats laisse place à un contrôle au regard du droit de la concurrence lorsque le refus d’agrément résulte d’un accord ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel, elle promeut indéniablement la liberté contractuelle et le droit de choisir son cocontractant.
2. L’encadrement jurisprudentiel des dispositions source d’insécurité juridique en cas d’application trop large. Le devoir d’information précontractuelle généralisé et renforcé de l’article 1112-1 du Code civil qui avait inquiété la pratique, souvent invoqué, est généralement rejeté (Paris, 8 sept. 2021, n° 19/15206 et 1er févr. 2022, n° 19/03438 ; Versailles, 4 nov. 2021, n° 20/02387 ; Aix, 25 janv. 2022, n° 19/03217). Il en va de même du grief de rupture abusive des négociations précontractuelles, régulièrement allégué, mais rarement retenu. Les juges sont également réticents à admettre l’existence d’une violence par abus de dépendance (Versailles, 14e ch., 12 nov. 2020, n° 19/07628), malgré un arrêt isolé de la Cour de cassation qui semble réduire ce vice du consentement à deux conditions, l’état de dépendance et l’avantage excessif, sans qu’il soit nécessaire de caractériser un abus autonome (Cass. 2e civ., 9 déc. 2021, LawLex202200001742JBJ).
3. Le nouveau droit a pu inspirer quelques revirements de jurisprudence assez tardifs. Le plus spectaculaire concerne le régime des promesses de vente. En application de la jurisprudence Consorts Cruz, la rétractation de la promesse par le promettant durant le délai d’option ne pouvait être sanctionnée que par des dommages-intérêts. Désormais, aux termes du nouvel article 1124, la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. Mettant fin au double régime selon que le contrat a été passé avant ou après le 1er octobre 2016, la Cour de cassation considère que le promettant s’oblige définitivement à vendre sans possibilité de rétractation sauf stipulation contraire (Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554, 20 oct. 2021, n° 20-18.514).
4. Certaines questions ouvertes depuis la réforme n’ont trouvé que récemment une réponse. Ainsi, l’articulation entre le droit commun issu de la réforme et les droits spéciaux régissant les clauses abusives a donné lieu à des hésitations en jurisprudence (Paris, 5 nov. 2021, LawLex202100005888JBJ : cumul possible) avant que la Chambre commerciale (26 janv. 2022, LawLex202200000629JBJ) ne considère que l’article 1171 du Code civil s’applique aux contrats qui ne relèvent pas des droits spéciaux. De façon générale, l’application de l’article 1171 nouveau est majoritairement refusée en jurisprudence.
II. Le droit positif issu de la réforme relatif à la vie du contrat
5. Le rejet majoritaire de la révision judiciaire pour imprévision. Redoutée par les praticiens qui y ont vu un risque d’insécurité juridique et l’ont généralement exclue contractuellement, l’imprévision a été régulièrement rejetée par les juges, soit pour des questions d’application de la loi dans le temps, soit parce qu’elle a été exclue par les parties, soit au motif qu’elle est inapplicable aux contrats au forfait ou aléatoires, ou ne relève pas de la compétence du juge des référés ou de la mise en état, ou encore pour des raisons de fond, comme l’absence d’imprévisibilité ou de preuve d’une exploitation excessivement onéreuse.
III. Le droit positif issu de la réforme relatif à l’inexécution et à la fin du contrat
6. L’importance du respect du formalisme en cas de résolution des contrats. Le nouveau droit a gravé dans le marbre des règles très strictes à respecter en cas d’utilisation d’une clause résolutoire ou de la faculté de résolution unilatérale en cas de faute grave. Ces règles, inapplicables à la prise d’acte de rupture d’un contrat de travail (Cass. soc., avis, 3 avr. 2019, n° 15003), conduisent à invalider la résolution, lorsqu’elles ne sont pas respectées (Paris, 10 mars 2022, n° 19/06214 : absence d’envoi de la mise en demeure à chaque codébiteur solidaire ; Rouen, 15 déc. 2021, n° 19/03706 : absence de mise en demeure formelle non justifiée).
7. La difficulté de mise en œuvre de la force majeure. Si le nouvel article 1218 du Code civil codifie la jurisprudence antérieure, les arrêts rendus depuis la réforme confirment la difficulté de se prévaloir en pratique de la force majeure. Les conditions sont strictes. L’exécution de l’obligation doit être rendue impossible, pas simplement plus onéreuse. La force majeure ne s’applique pas classiquement à l’obligation de payer. L’évènement ne doit pas être raisonnablement prévisible lors de la formation du contrat. Enfin, il doit s’agir d’un empêchement du débiteur, et non du créancier (Cass. 1re civ., 25 janv. 2020, n° 19-21.060). Les cas dans lesquels la crise sanitaire a pu donner lieu plus facilement à une invocation réussie de la force majeure concernaient la mise en œuvre d’une clause de force majeure étendue (T. com. Paris, réf., 26 et 27 mai 2020, n° 2020016517 et 202017535).
Pour aller plus loin, consultez les 75 slides de la présentation du cabinet Vogel & Vogel sur le bilan à jour de la réforme du droit des contrats disponibles sur le site du cabinet Vogel & Vogel dans la rubrique Actualités du site.