#LeConseilDuMois – Les particularités de la distribution dans les départements d’outre-mer en matière d’exclusivités d’importation

La distribution des produits et services dans les départements français d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique et Mayotte) présente de nombreuses particularités. Des délais de paiement différents, un régime fiscal spécifique – avec l’octroi de mer qui renchérit les importations – et les caractéristiques de chaque département, en font des marchés distincts de la métropole qui peuvent appliquer des standards et critères de vente propres. Le régime juridique des contrats de distribution exclusive conclus avec des distributeurs dans ces territoires se révèle très exigeant et risqué pour les fournisseurs, de même que dans la plupart des autres collectivités d’outre-mer soumises à un régime similaire.

I. Le régime juridique de la distribution dans les DOM.

1. L’interdiction des droits exclusifs d’importation. En vertu de l’article L. 420-2-1 du Code de commerce (issu de L. 2012-1210 du 20 nov. 2012, dite loi Lurel) « sont prohibés, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution [c’est-à-dire les départements et régions d’outre-mer] et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises ». L’interdiction s’applique également aux contrats en cours, les parties ayant disposé d’un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la loi Lurel pour se mettre en conformité. Ces accords peuvent être exemptés à condition que leurs auteurs puissent justifier qu’ils sont fondés sur des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte (art. L. 420-4, III). Le texte est souvent ignoré par les fournisseurs établis en métropole qui disposent d’un système de distribution exclusive uniforme dans l’ensemble des territoires français et les condamnations prononcées par l’Autorité de la concurrence (ADLC) sont très nombreuses. Celle-ci fait une application très large de l’interdiction : la seule entrée de marchandises déclenchant le paiement des taxes suffit à caractériser une importation (ADLC, 20 févr. 2018, 18-D-03) ; l’interdiction ne se limite pas aux produits de grande consommation (ADLC, 20 févr. 2018, préc.) ; la violation du texte peut entraîner la sanction tant des fournisseurs que des grossistes-importateurs (ADLC, 8 oct. 2019, LawLex201900001194JBJ).

2. L’interdiction des discriminations. Depuis la loi 2020-1508 du 3 décembre 2020, « est également prohibé » avec le même champ d’application géographique, « le fait, pour une entreprise exerçant une activité de grossiste-importateur ou de commerce de détail ou pour un groupe d’entreprises dont au moins une des entités exerce une de ces activités, d’appliquer à l’encontre d’une entreprise dont elle ne détient aucune part du capital des conditions discriminatoires relatives à des produits ou services pour lesquels existe une situation d’exclusivité d’importation de fait ». Même si ce texte ne semble concerner que le marché aval et non la relation fournisseur-grossiste, il est extrêmement mal rédigé et s’applique même à de simples situations d’exclusivité de fait et applique dans les DROM-COM relevant de l’article L. 420-2-1 une interdiction des pratiques discriminatoires entre entreprises dont les effets pervers avaient conduit à son abrogation en droit français par la loi LME de 2008.

II. L’appréciation du régime juridique de la distribution dans les DOM.

3. De nombreux inconvénients et effets pervers du point de vue commercial. L’interdiction des droits exclusifs d’importation implique de définir un régime dérogatoire à la distribution dans les DOM par rapport au régime général si l’on a choisi de distribuer ses produits en distribution exclusive. Il peut conduire à multiplier le nombre de contrats à gérer et donc les coûts de transaction. Certaines marques préfèrent d’ailleurs renoncer à vendre leurs produits dans les DOM plutôt que d’avoir à gérer plusieurs mini-contrats. Le distributeur y perd en efficience car il ne peut plus amortir ses investissements sur l’ensemble des ventes alors que le potentiel de vente est déjà limité et est donc désincité à investir compte tenu de l’absence de garantie d’exclusivité. Comme beaucoup de fournisseurs ont pris l’engagement de lancer des appels d’offres réguliers, les distributeurs, placés en situation de précarité, sont encore moins motivés pour investir alors qu’ils perdent en outre la protection du droit de la rupture de relations commerciales établies. Il n’est donc pas du tout certain que le bilan économique et commercial de la loi Lurel soit positif.

4. Une contrariété potentielle avec le droit européen. Dans de nombreux cas, les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs dans les DOM sont considérées comme affectant de façon sensible le commerce entre Etats membres. Dans ce cas, en vertu du règlement 1/2003, le droit français de la concurrence ne saurait interdire un accord exempté de plein droit en vertu du droit européen. Or, les contrats de distribution exclusive sont exemptés de plein droit en vertu des règlements restrictions verticales successifs dès lors que le fournisseur et le distributeur ne dépassent pas 30 % de parts de marché, ce qui est très fréquent en pratique. La loi Lurel, qui n’a fait l’objet d’aucune dérogation au titre de l’article 349 TFUE, ne peut donc pas logiquement interdire des contrats d’exclusivité d’importation exemptés par le droit européen de la concurrence. L’on oppose parfois à cette contradiction frontale avec le droit européen un obiter dictum figurant dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris (Paris, 9 juin 2022, LawLex202200003117JBJ) qui avait considéré que le droit européen n’était pas applicable, faute d’affectation du commerce entre Etats membres, mais qu’en tout état de cause la loi Lurel poursuivait un autre but que le droit de la concurrence qui consisterait dans le maintien de la paix civile dans les DOM et pourrait en conséquence contredire le droit européen de la concurrence. Nous ne partageons pas cette position. La loi Lurel sur les interdictions d’importation figure dans les dispositions du Code de commerce relatives au droit de la concurrence et relève de la compétence de l’ADLC dont la mission est d’appliquer le droit de la concurrence. Les travaux préparatoires de la loi Lurel indiquent explicitement que le texte poursuit un objectif de concurrence. Par ailleurs, interdire des exclusivités et les exempter relève de l’essence du droit de la concurrence.

5. Une tentative d’application de l’interdiction des exclusivités d’importation aux contrats de distribution sélective qualitative et quantitative. Il a été soutenu qu’un contrat de distribution sélective quantitative avec un distributeur par DOM pourrait être assimilé à un contrat accordant des droits exclusifs d’importation. Il s’agit d’une confusion. Dans un système sélectif, y compris avec une limite quantitative fixée à un distributeur par DOM, chaque distributeur de chaque DOM est exposé aux ventes actives et passives de tous les autres distributeurs sélectifs du réseau et peut lui-même vendre activement et passivement dans l’ensemble du territoire contractuel qui s’étend en général à l’ensemble de l’EEE. Par définition, un contrat de distribution sélective qualitative et quantitative ne peut donc pas relever de la loi Lurel. L’Autorité de la concurrence est actuellement saisie d’une demande d’avis – suivie pas notre cabinet – sur ces questions qui intéressent l’ensemble des réseaux de distribution actifs dans les DOM (T. mixte com. Fort-de-France, 31 mars 2021, RG 2021/2994).

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