#LeConseilDuMois – La participation des entreprises aux organisations professionnelles

Plusieurs affaires récentes amènent à analyser à nouveau les risques liés à la participation des entreprises à des organisations professionnelles au regard du droit de la concurrence et à envisager les mesures concrètes propres à les limiter. L’affaire du Bisphénol A ou BPA vient immédiatement à l’esprit. Elle a suscité beaucoup d’inquiétudes au sein des organisations professionnelles et de leurs membres. Les services d’instruction avaient en effet notifié des griefs à pas moins de 14 organisations professionnelles et 101 entreprises, conduisant à un procès de masse ayant nécessité de réunir les entités poursuivies dans un amphithéâtre habituellement consacré à de activités plus réjouissantes. La montagne a finalement accouché d’une souris. Au final, seules 4 organisations professionnelles et 11 entreprises ont été condamnées, pour un montant certes significatif (19,5 millions d’euro) mais très éloigné des objectifs des services d’instruction. L’absence de fondement des griefs reconnue assez largement mais pas complètement par la décision ainsi que l’acquisition de la prescription décennale (entre les faits et la décision de l’ADLC) au profit de nombreuses entreprises expliquent le décalage substantiel entre les attentes de l’autorité de poursuite et la décision.

La décision BPA ne doit cependant pas conduire à sous-évaluer les risques mais au contraire inciter à mieux les identifier et à prendre des mesures pour les limiter. En effet, elle traduit un intérêt certain de l’Autorité de la concurrence pour le fonctionnement des organisations professionnelles de nature à lui permettre de sanctionner un nombre très important d’intervenants d’un secteur et de maximiser le montant des amendes potentielles. L’étude thématique d’une centaine de pages en date du 27 janvier 2021 qu’elle a consacrée à l’application du droit de la concurrence aux organisations professionnelles témoignait déjà de cet intérêt. Ce risque est encore accru par le nouveau régime des amendes applicable aux organisations professionnelles qui concerne au fur et à mesure de l’écoulement du temps depuis son entrée en vigueur un nombre de dossiers de plus en plus importants.

Quels risques ?


1. Le nouveau régime de sanctions applicable.
Les organisations professionnelles et leurs membres encourent de nouveaux risques depuis la transposition en droit français de la directive 2019/1 du 11 décembre 2018, dite ECN+, par l’ordonnance 2021-649 du 26 mars 2021. Le plafond de l’amende encourue est en forte hausse. Il passe d’une amende maximale de 3 millions d’euro pour les organisations professionnelles, à une amende susceptible d’atteindre 10 % du chiffre d’affaires mondial HT de leurs membres.

2. Une nouvelle procédure de recouvrement dans le cadre de la réforme. Le recouvrement des amendes peut se faire à l’encontre des entreprises membres de l’organisation par l’effet d’une solidarité renforcée. En cas d’insolvabilité de l’organisation, l’AdlC peut lui enjoindre de lancer un appel à contribution. En cas de défaut de paiement persistant, le paiement de l’amende peut être exigé directement de toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de l’organisation. Enfin, à défaut de paiement intégral, l’AdlC peut se retourner contre tout membre de l’organisation qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise, sauf preuve de non-participation à l’infraction.

3. Le nouveau communiqué Sanctions et son application rétroactive par l’ADLC. Le nouveau communiqué Sanctions de 2021 a revu à la hausse quasiment tous les critères de calcul de l’amende : prise en compte du chiffre d’affaires indirect dans le calcul du montant de base, augmentation du taux de gravité liée à la fin de la prise en compte du dommage à l’économie (souvent inexistant) résultant de la directive ECN+, prise en considération, surtout, de chaque année d’infraction avec un coefficient 1 au lieu de 0,5, ce qui aboutit à un quasi doublement automatique du montant de l’amende, etc.

4. L’augmentation de la probabilité du risque.
Celle-ci est accrue par la multiplication des moyens d’action dont dispose l’AdlC et l’augmentation de ses pouvoirs (enquêtes simples qui ont tendance à s’alourdir, enquêtes lourdes difficiles à contester, recours aux enquêtes pénales en vue d’éviter les garde-fous du Code de commerce, clémence, etc.).

Quelles solutions ?

Les organisations professionnelles jouent un rôle extrêmement utile pour les entreprises, en termes d’information, de défense des intérêts de la profession auprès des pouvoirs publics, d’actions contre des tiers qui ont des comportements fautifs contraires à l’intérêt du secteur ou encore en termes de lobbying. Le fait de ne pas participer à leurs travaux serait très dommageable. En revanche, il est impératif de bien encadrer cette participation.

5. Auditer la participation des membres de l’entreprise aux organisations. Il est impératif que le service juridique contrôle la nature des organisations auxquelles des membres de l’entreprise prennent part et s’assure de la mise en place au sein de l’entreprise et de ces organisations d’une procédure de conformité. De même, le service juridique devra s’assurer que les salariés qui participent à ces organisations aient suivi une formation spécialement consacrée au respect du droit de la concurrence au sein de ces organisations.

6. La mise en place d’un programme de conformité au sein de l’organisation professionnelle et de ses membres. Un tel programme passe par un engagement public de respect des règles, la désignation d’un responsable conformité, l’information, la formation et la sensibilisation des salariés et des membres de l’organisation, la rédaction d’une charte concurrence et conformité, la mise en place de règles de tenue des réunions avec convocation, organisation, do’s and don’ts, compte-rendu, mise en place de mécanismes de contrôle et d’alerte ainsi que d’un dispositif de suivi.

7. La mise en œuvre d’une formation.
Celle-ci doit porter à la fois sur la conduite à tenir en cas de constatation d’une infraction (nécessité de distanciation immédiate) et sur les principaux risques d’ententes au sein des organisations professionnelles sur lesquels il convient d’alerter les salariés afin qu’ils renoncent à y participer, en particulier pour éviter les risques de cartels, les consignes tarifaires, d’orientation de prix ou de remises, les échanges d’informations anticoncurrentiels, les stratégies d’éviction (boycott, refus d’adhésion discriminatoire alors que l’appartenance à l’organisation présente un avantage concurrentiel) ainsi que l’usage dévoyé du rôle d’une organisation professionnelle.

 

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