Par une décision de mesures conservatoires (Cons. conc., 9 déc. 2004, LawLex200400003345JBJ) puis, au fond (Aut. conc., 9 déc. 2009, LawLex200900003580JBJ), l’Autorité de la concurrence a constaté et sanctionné des pratiques de verrouillage du marché de la téléphonie mobile aux Antilles et en Guyane mises en œuvre par l’opérateur dominant au détriment d’un nouvel entrant. A la suite de ces décisions, le nouvel entrant, assisté par notre cabinet, a saisi le tribunal de commerce de Paris d’une action en réparation de son préjudice (action follow-on). Le juge consulaire, qui a accueilli la plupart des griefs formulés par le demandeur, lui a accordé un montant de 176,67 millions d’euro, actualisé au taux de 10,4 % à compter de la date de l’assignation. L’opérateur historique et sa filiale, auteurs des pratiques, ont alors consigné un total de 346 millions d’euro et interjeté appel de ces condamnations.

Ils font principalement valoir que la faute concurrentielle ne s’assimile pas à la faute civile exigée dans le cadre d’une action en réparation, que le tribunal a présumé le lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué, et que le développement commercial du nouvel entrant a été handicapé non par les pratiques, mais par de mauvais choix de stratégie.

Au contraire, la cour d’appel de Paris estime que l’ensemble des pratiques dénoncées sont établies.

Elle confirme d’abord les constatations des premiers juges sur l’existence d’une faute civile et d’un lien de causalité avec le préjudice du nouvel entrant s’agissant de l’effet fidélisant du programme « changez de mobile », qui a dissuadé les consommateurs de faire jouer la concurrence et cristallisé les parts de marché, et de la discrimination tarifaire résultant de l’offre par laquelle l’opérateur accordait à la clientèle des entreprises une réduction sur le prix des appels fixes vers les mobiles de son réseau.

Elle infirme en revanche le jugement qui avait retenu les fautes civiles résultant des accords d’exclusivité de distribution et de réparation conclus par l’opérateur dominant, mais exclu le lien de causalité entre celles-ci et le préjudice invoqué par le nouvel entrant. Selon la cour, ces fautes avaient bien contribué, avec les autres, au retard de développement allégué.

L’arrêt considère que le cumul de ces fautes explique à lui seul la situation du nouvel entrant, sans qu’aucune erreur de stratégie n’ait été démontrée.

Par ailleurs, la cour accueille les deux méthodes complémentaires présentées par le nouvel entrant pour l’évaluation de son manque à gagner (pendant/après et benchmark), en raison de leur conformité avec les recommandations de la Commission et du fait qu’elles aboutissent à des résultats similaires, ce qui traduit leur pertinence. Le juge approuve également le recours à la marge sur coûts variables, qui permet de tenir compte des dépenses que le nouvel entrant aurait évitées s’il avait connu un meilleur développement. Au final, la cour retient le résultat de l’évaluation la plus basse (176,64 millions d’euro) alors que le tribunal avait retenu la plus haute.

Enfin, le juge accepte d’indemniser le préjudice résultant de la perte éprouvée du fait des surcôuts supportés par l’entreprise du fait des pratiques litigieuses, à hauteur de 7,12 millions d’euro pour les exclusivités de distribution, et de 737 500 euro au titre des exclusivités de réparation. En revanche, elle exclut la réparation du préjudice de trésorerie, sur la base du taux moyen de rémunération du capital (WACC), estimant que si le nouvel entrant a bien identifié des projets non réalisés, il ne justifie pas y avoir renoncé du fait de l’indisponibilité des sommes et de l’impossibilité de trouver d’autres sources de financement. Elle retient cependant que le préjudice financier peut être évalué jusqu’au 31 décembre 2005 sur la base du taux d’intérêt moyen payé à l’époque par la victime des pratiques, et ensuite, sur la base du taux d’intéêt légal.

Le présent arrêt démontre l’utilité et l’efficacité du private enforcement pour les victimes des pratiques : au total, dans cette affaire, le montant des condamnations, après actualisation, se chiffre à près de 250 millions d’euro.

Ci-dessous : l’arrêt du 17 juin 2020 (encore susceptible de pourvoi en cassation)