La révision du règlement automobile et de ses Lignes directrices avance à grands pas avec quelques bonnes nouvelles mais aussi beaucoup de conservatisme et un risque de contraintes supplémentaires

La Commission européenne vient de lancer le mercredi 6 juillet une consultation publique et un appel à contributions invitant toutes les parties intéressées à formuler des observations sur ses propositions concernant l’avenir du mini-règlement d’exemption applicable au secteur automobile. Elle soumet à consultation jusqu’au 30 septembre 2022 un projet de règlement prorogeant la validité du mini-règlement automobile pour une durée de 5 ans ainsi qu’un projet de communication introduisant des mises à jour ciblées des lignes directrices supplémentaires applicables au secteur automobile.

Vous trouverez ci-dessous :

1. Les bonnes nouvelles

Deux bonnes nouvelles pour le secteur automobile :

a. La volonté de la Commission de proroger le mini-règlement automobile   et ses Lignes directrices spécifiques au secteur automobile

Même si le mini-règlement a peu d’effet utile en termes d’exemption par catégorie puisque la Commission considère traditionnellement que la part de marché en matière de pièces de rechange et d’après-vente doit s’apprécier marque par marque et que chaque marque dépasse le seuil d’exemption de 30%, les textes relatifs aux règles spécifiques applicables au secteur automobile apportent néanmoins une sécurité juridique aux opérateurs qui disposent de documents écrits leur donnant des indications précises sur l’interprétation de la Commission quant à l’application du droit de la concurrence au secteur automobile.

b. Le maintien de la tolérance de la distribution sélective qualitative et quantitative jusqu’à 40 % de parts de marché en matière de distribution automobile

La comparaison entre le texte des anciennes Lignes directrices supplémentaires et le projet de communication les mettant à jour apporte au moins une bonne nouvelle.

Le considérant 56 des Lignes directrices supplémentaires de 2010 prévoyait à juste titre que « s’agissant des spécificités de la distribution de véhicules automobiles neufs, la distribution sélective quantitative remplira généralement les conditions énoncées à l’article 101, paragraphe 3, du traité, si la part de marché des parties n’excède pas 40 % ».

Cette tolérance n’est pas remise en cause par le projet de nouvelles Lignes directrices, aucun changement au considérant 56 n’étant signalé.

Cette appréciation liée à l’intensité de la concurrence inter-marques et intra-marque dans le domaine de la distribution de véhicules neufs est tout à fait justifiée. Elle permet également de corriger, même si c’est de façon marginale, la conception beaucoup trop restrictive de la dimension géographique des marchés, toujours cantonnée aux marchés nationaux alors que les échanges transfrontaliers sont importants et que les marchés sont tous en voie d’européanisation.

2. Le maintien de conceptions dépassées et l’annonce de nouvelles contraintes

a. Le maintien d’une conception rigide et déphasée par rapport aux réalités de la définition des marchés

Les projets soumis à consultation n’apportent aucun changement aux conceptions traditionnelles portant sur la définition des marchés. Rappelons que le considérant 13 de l’ancien règlement automobile considère « qu’il est possible de définir un marché distinct de l’après-vente » distinct de la distribution des véhicules neufs et qu’il existe des « marchés de l’achat et de la vente de pièces de rechange » et des « marchés de fourniture de service de réparation et d’entretien ».

Le point 15 des Lignes directrices supplémentaires de 2010 ne fait pas non plus l’objet d’une proposition de reformulation. Il dispose de façon péremptoire qu’» en raison du caractère généralement propre à chaque marque des marchés de services de réparation et d’entretien et des marchés de distribution de pièces de rechange, la concurrence sur ces marchés est par nature moins intense que celle qui existe sur le marché de la vente de véhicules automobiles neufs ». Le point 57 des Lignes directrices supplémentaires de 2010 considère que « dans la mesure où il existe un marché pour les services de réparation et d’entretien qui est distinct de celui de la vente de véhicules automobiles neufs, il est considéré comme propre à chaque marque ». Ce point très controversé ne fait pas non plus l’objet de la moindre reformulation dans le projet de modification des Lignes directrices. Les autorités de concurrence s’appuient sur ces visions restreintes des marchés pour considérer que les réseaux d’après-vente des constructeurs contrôlent en moyenne 50% du marché de l’après-vente et ne peuvent dès lors bénéficier de l’exemption par catégorie (ADLC, avis n° 12-A-21 du 8 Octobre 2012). La seule concession à la réalité se limite à des notes de bas de page des anciennes Lignes directrices supplémentaires admettant qu’il est possible dans certains cas de définir un marché de systèmes qui englobe les véhicules automobiles et les pièces de rechange lorsque la décision d’achat prend en compte le coût global du véhicule, de l’entretien et des réparations, mais exclut son application aux véhicules particuliers et semble donc la réserver aux véhicules industriels sans d’ailleurs l’admettre de façon claire.

Ces conceptions traditionnelles étaient déjà discutables en 2010, elles sont aujourd’hui complètement dépassées. Du fait de la concurrence des réparateurs indépendants, des MRA, des franchises de réparation rapide et des multiples réseaux de réparation sous enseigne, le marché de l’après-vente automobile est pleinement concurrentiel. Tous ces opérateurs ainsi que tous les membres des réseaux de marque sont en mesure aujourd’hui d’assurer l’après-vente de toutes les marques automobiles et ce d’autant plus que la vente des pièces aux réparateurs est libre et ne peut être entravée et que tout opérateur indépendant a accès aux informations techniques. Le taux de rétention des réseaux de marque est aujourd’hui inférieur à 50% en moyenne et pour certaines marques à peine supérieur à 30%. Les réseaux de réparation devraient dès lors bénéficier de l’exemption par catégorie y compris en cas de sélection quantitative, la tolérance de 40% applicable pour la distribution de véhicules neufs devant être logiquement étendue mutatis mutandis à l’après-vente automobile.

b. Une position obsolète de l’accès aux réseaux de réparateurs par rapport aux réalités de marché et à l’évolution de la jurisprudence

Le point 70 des anciennes Lignes directrices supplémentaires sur l’accès aux réseaux de réparateurs agréés demeure inchangé. Elles indiquaient que la Commission juge important que l’accès aux réseaux de réparateurs agréés reste généralement ouvert à toutes les sociétés qui répondent aux critères de qualité définis. En d’autres termes, elles militaient pour une obligation d’agrément de tous les candidats à l’entrée dans un réseau de réparation remplissant les critères d’agrément. Là encore, aucune modification de ce point n’est annoncée. Or il ne correspond ni à la réalité du marché et aux besoins des professionnels, ni au droit positif en matière de refus d’agrément tel qu’il résulte de la jurisprudence.

De telles conceptions sont d’abord de nature à encourager des situations anormales. En pratique, d’anciens membres de réseaux de réparation dont le contrat a été résilié avec un préavis de deux ans parce qu’ils ne donnaient pas satisfaction sans qu’il puisse néanmoins leur être reproché une faute grave essaient de profiter de telles affirmations pour redemander leur agrément à la fin du préavis et bénéficier ainsi d’un renouvellement permanent de leur contrat, une sorte de contrat perpétuel bien que les relations avec la marque soient très dégradées et qu’un contrat forcé n’a jamais encouragé une coopération efficiente.

Outre le fait de permettre l’instrumentalisation du droit de la concurrence en vue d’obtenir une poursuite perpétuelle de relations dégradées, le point 70 des anciennes Lignes directrices supplémentaires est en déphasage complet avec la réalité de la concurrence sur le terrain de l’après-vente. La concurrence sur le marché de l’après-vente est extrêmement vive. Il n’existe aucune position dominante des réparateurs agréés sur le service après-vente de leur marque car ils sont pleinement concurrencés par une multitude d’acteurs qui ne cessent de gagner du terrain chaque année (voir ci-dessus au a). Le fait qu’il existe un réparateur agréé de plus ou de moins dans une zone de chalandise ne change rien au jeu de la concurrence.

Surtout la position exprimée au point 70 des anciennes Lignes directrices supplémentaires ne correspond pas du tout à la position de la jurisprudence. Depuis longtemps, la jurisprudence allemande considère que les candidatures de réparateurs à l’entrée dans un réseau doivent être appréciées non pas sur le marché aval de l’entretien des véhicules envers les clients finals mais au niveau du marché amont de l’offre et de la demande de contrats de réparation qui est multimarques et sur lequel aucune marque ne détient de parts de marché importantes (BGH, 30 mars 2011, KZR 6/09 ; BGH, 26 janv. 2016, KZR 41/14). Elle ne correspond pas non plus à la jurisprudence française. Il importe d’abord de savoir si un refus d’agrément constitue un accord ou un acte unilatéral. Dans de nombreux cas, la jurisprudence française a reconnu que l’on était en présence d’un acte unilatéral. Même si ce refus est concerté avec un membre du réseau ou est considéré à tort ou à raison comme caractérisant un accord explicite ou implicite avec le réseau, dans la quasi-totalité des cas, les refus d’agrément d’anciens réparateurs agréés qui repostulent pour continuer à faire partie du réseau sont jugés conformes au droit des contrats et au droit de la concurrence (V. en dernier lieu, (Cass. com., 16 févr. 2022, n° 20-11.754, 21-10.451 et 20-18.615) .

c. De nouvelles contraintes en termes de fourniture de données générées par les véhicules

L’apport majeur des nouveaux textes est de prévoir que les données générées par les véhicules peuvent constituer un intrant essentiel pour les services de réparation et d’entretien et de proposer en conséquence d’étendre les principes existants à la fourniture d’informations techniques, d’outils et de formations nécessaires en vue de la prestation de services de réparation et d’entretien, de manière à couvrir explicitement les données générées par les véhicules.

Constitue dès lors une restriction de concurrence  faisant tomber la distribution qualitative dans le champ de l’article 101, paragraphe 1, l’abstention d’une partie à un accord de fournir aux opérateurs indépendants un intrant essentiel tel que notamment des données générées par les véhicules, étant précisé que la notion d’opérateurs indépendants regroupe les réparateurs indépendants, les fabricants et les distributeurs de pièces de rechange, les fabricants d’équipements ou d’outils de réparation, les éditeurs d’informations techniques, les clubs automobiles, les entreprises d’assistance routière, les opérateurs offrant des services d’inspection et d’essai et les opérateurs assurant la formation des réparateurs (point 62 du projet révisé de Lignes directrices supplémentaires).

Selon la même logique, il est proposé dans un nouveau point 67 bis du projet de Lignes directrices supplémentaires révisées que les modalités classiques de mise à disposition des informations techniques énoncées au point 67 des Lignes directrices supplémentaires de 2010 (sur demande, sans retard injustifié, sous une forme utilisable, sans que le prix demandé ne décourage l’accès à celles-ci en ne tenant pas compte de l’usage qu’en fait l’opérateur indépendant, etc) s’appliquent aux données générées par les véhicules.