La cour d’appel de Colmar vient de rendre le 15 mai 2020 un arrêt important condamnant fermement la pratique des faux mandats.

Dans un système de distribution sélective, ou exclusive et sélective, les membres du réseau ne sont autorisés à vendre les produits contractuels, en particulier en matière de distribution automobile, les véhicules neufs objet du contrat, qu’aux autres membres du réseau et aux clients finals et non à des revendeurs hors réseau pour éviter des comportements de parasitisme et de passager clandestin et ce, dès lors que les non membres du réseau ne sont pas soumis aux critères qualitatifs et aux coûts des membres du réseau. En revanche, lorsqu’un client final décide de recourir aux services d’un mandataire pour l’achat d’un véhicule, cette vente transitant par le mandataire du client final n’est pas considérée comme une revente hors réseau.

La règle de l’interdiction de revente hors réseau est simple dans son principe mais son application pratique est souvent difficile. Un moyen de contourner l’interdiction de revente hors réseau consiste pour un membre du réseau désirant ne pas respecter ses  obligations et/ou pour un vrai revendeur/faux mandataire à fabriquer des faux mandats pour faire croire à l’existence d’un mandat.

L’affaire soumise à la cour d’appel de Colmar illustre les procédés pouvant être utilisés pour tenter de contourner l’interdiction de revente hors réseau.

Dans le cadre de ses relations avec l’un de ses distributeurs, le concédant, assisté dans ce dossier par notre cabinet, a eu des doutes quant à un nombre important de ventes de véhicules à une entreprise non membre du réseau faites par son concessionnaire en violation des obligations contractuelles qui n’autorisent les ventes de véhicules neufs qu’aux clients finals et aux autres membres du réseau.

Le concessionnaire évite les rendez-vous et tarde à donner les explications qui lui sont demandées avant de faire valoir que les ventes en cause auraient été faites à des clients finals italiens à travers une série de mandataires successifs, le présumé revendeur hors réseau ayant reçu mandat d’une société intermédiaire elle-même mandatée par les clients italiens.

Compte tenu du caractère douteux des mandats présentés, le concédant fait procéder à une enquête par un détective privé en Italie qui confirme les nombreuses irrégularités des documents présentés.

Outre différentes procédures commerciales, un nombre important de procédures ont opposé les parties devant les juridictions pénales au cours d’une saga judiciaire qui a duré de nombreuses années : plainte pénale avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux, escroquerie au jugement et tentative d’escroquerie au jugement, les mandats allégués de faux ayant été produits en justice dans le cadre de plusieurs des procédures commerciales opposant les parties, instruction, ordonnance de non-lieu infirmée par la chambre de l’instruction de Dijon, renvoi devant le tribunal correctionnel, relaxe en première instance et en appel à Dijon, cassation de l’arrêt d’appel, renvoi devant une première cour d’appel de renvoi confirmant le jugement, nouvelle cassation et enfin décision de condamnation sur la seule action civile le 15 mai 2020 (qui peut encore donner lieu à un pourvoi en cassation).

La question posée à la deuxième cour d’appel de renvoi de Colmar portant sur l’action civile uniquement était de savoir si la société anciennement concessionnaire de la marque avait commis une faute civile ayant entraîné un préjudice pour le concédant, c’est-à-dire :

– si les mandats et factures critiqués transmis par l’ancienne société concessionnaire pour justifier de la vente à clients finals par l’intermédiaire de mandataires de ces clients étaient des faux documents;

– si l’ancienne société concessionnaire en avait connaissance et les avait sciemment produits afin de convaincre la marque de l’agréer à nouveau en tant que distributeur et réparateur agréé ainsi que les juridictions de rendre des décisions en sa faveur;

– et si les faits avaient causé un préjudice, et de savoir si celui-ci pouvait être admis au passif de l’ancienne société concessionnaire entretemps tombée en liquidation judiciare.

La cour d’appel répond positivement à ces trois questions dans un arrêt longuement motivé.

Elle retient d’abord qu’ « il est manifeste en l’espèce que les mandats incriminés présentaient des anomalies » (mandats censés émaner de clients finals italiens signés avec des mentions en français, alors que les mandats sont rédigés en italien, écriture similaire sur les différents mandats, dates incompatibles entre les différents documents, absence étonnante de montant de prix et de taux de commission, enquête effectuée par le détective privé italien ayant permis de retrouver plusieurs des clients italiens dont l’identité avait été usurpée, les dépositions des clients faisant état de plaintes étant jointes au rapport circonstancié du détective).

La cour relève ensuite que la société « concessionnaire avait parfaitement conscience du caractère fallacieux des documents…sciemment transmis » au concédant et que l’agrément a donc été obtenu par des moyens frauduleux consistant à produire délibérément de faux documents, ces manœuvres ayant causé un préjudice à la marque constitué des frais d’enquête, des frais liés à trois procédures ayant opposé les parties dans lesquelles les décisions défavorables ont été influencées par les faux documents produits, ainsi que le préjudice moral de la marque évalué à 35 000 euros. La cour rejette enfin l’argument du liquidateur selon lequel ces créances auraient dû être déclarées. La cour rappelle qu’en vertu de l’article L. 622-24 alinéa 7 du code de commerce, le délai de déclaration par une partie civile des créances nées d’une infraction pénale court à compter de la date de la décision définitive qui en fixe le montant lorsque cette décision intervient après la publication du jugement d’ouverture et que la forclusion n’est donc pas encourue.

D’un point de vue pratique, cette décision devrait également faire échec aux demandes de paiement de primes d’objectifs par la société concessionnaire sur la base des ventes des véhicules litigieux dans le cadre d’une procédure commerciale parallèle toujours pendante entre les parties.

Cette décision montre qu’il faut parfois être très persévérant pour obtenir gain de cause et ne jamais désespérer de son bon droit. Au-delà, elle traduit la nécessité pour les tribunaux d’être plus sévères contre les violations de l’interdiction des reventes hors réseau et contre les reventes hors réseau commises en connaissance de cause par les revendeurs hors réseau et aussi la nécessité de ne pas tolérer le moindre contournement des règles par des pratiques de faux mandats destinés à faire croire à une vente à client final. La lutte contre ces pratiques s’avère souvent compliquée et très longue en pratique comme l’illustre cette affaire compte tenu des exigences souvent trop rigides posées par la jurisprudence et celles-ci devraient être assouplies et les réseaux mieux protégés contre toutes les violations et tous les contournements de la règle. Cette nécessité de protection renforcée des réseaux sélectifs contre les reventes hors réseau a d’ailleurs fait l’objet de l’une des principales revendications des têtes de réseaux lors du workshop organisé par la Commission européenne à Bruxelles en novembre 2019 sur la révision du règlement restrictions verticales.