Franchise : indivisibilité avec le contrat de location-gérance et cession d’actions sans accord préalable des franchisés

Dans un arrêt du 15 mai 2024, la Cour de cassation a apporté de nouvelles précisions sur l’interdépendance entre les contrats de franchise et de location-gérance et sur la nécessité ou non d’un accord préalable des franchisés à une cession de ses actions par le franchiseur. Cet arrêt s’inscrit dans le contexte de nombreux contentieux relatifs à la cession de ce même réseau de franchise.

En 2016, le réseau de franchise Pizza Sprint fait l’objet d’une cession de contrôle au profit du réseau concurrent Domino’s. Cette opération a donné l’occasion à la Cour de cassation de se pencher, dans un arrêt en date du 28 février 2024 sur la portée de la clause d’intuitu personae pesant sur le franchisé. Dans cette affaire, le contrat de franchise prévoyait que le franchisé s’engageait « à informer le franchiseur de tout projet ayant une incidence sur la répartition actuelle de son capital ou de celui de son principal actionnaire ». La Cour de cassation avait approuvé l’arrêt des juges du fond, qui avaient estimé cette clause créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, en raison des termes trop vagues employés, en particulier l’expression « tout projet ayant une incidence ». C’est ici l’imprécision de la clause que la Cour avait sanctionnée.

Si cet arrêt du 28 février dernier statuait sur l’intuitu personae pesant sur le franchisé, le récent arrêt du 15 mai 2024 vient quant à lui apporter des précisions s’agissant de l’intuitu personae pesant sur le franchiseur.

En l’espèce, en 2013, la tête de réseau avait conclu deux contrats avec un candidat : un contrat de franchise d’une durée de dix ans et un contrat de location-gérance d’une durée d’un an, renouvelable annuellement par tacite reconduction. En 2016, quelques mois après la cession du réseau Pizza Sprint, la tête de réseau avait indiqué que le contrat de location-gérance ne serait pas renouvelé à son terme. Toutefois, un locataire-gérant/franchisé exigeait de rester dans les locaux, ainsi que de bénéficier du maintien des services liés à son contrat de franchise. La tête de réseau faisait au contraire valoir l’indivisibilité des deux contrats, et en déduisait que la cessation du contrat de location-gérance emportait la caducité du contrat de franchise.

La Cour d’appel de Paris avait pour sa part retenu la caducité du contrat de franchise et condamné le locataire-gérant/franchisé à payer diverses sommes liées aux loyers de la location gérance et à la franchise. Le pourvoi du franchisé contestait tant l’indivisibilité des contrats, que la possibilité de céder un réseau de franchise sans l’accord du franchisé. Successivement, la Cour de cassation se penche sur ces deux points.

Indivisibilité des contrats de franchise et de la location gérance.

La question de l’indivisibilité des contrats avait donné lieu, avant la réforme de droit des contrats, à une jurisprudence abondante, qui avait conclu que les contrats sont indivisibles ou interdépendants dès lors qu’ils poursuivent le même but, concourent à la même opération économique et n’ont aucun sens indépendamment l’un de l’autre.

En l’espèce, la Cour de cassation relève l’existence d’une clause d’indivisibilité mais aussi que « le contrat de location gérance constitue le support principal du contrat de franchise sans lequel celui-ci ne peut s’exécuter et que le sort du contrat de franchise est ainsi lié à celui du contrat de location gérance ». Sur ce fondement, la Haute juridiction consacre l’indivisibilité des contrats de franchise et de location-gérance. Dans le cas d’espèce, le contrat de location-gérance n’étant pas renouvelé, et l’indivisibilité des contrats étant consacrée, le contrat de franchise doit être considéré comme caduc, et ce d’ailleurs quand bien même le bailleur et le franchiseur seraient deux personnes différentes.
C’est la première fois à notre connaissance que la Haute juridiction parvient à un tel constat s’agissant de ces deux contrats, même si de nombreuses décisions des juges du fond avaient déjà retenu leur indivisibilité (Paris, 20 sept. 2023, n° 21/00503 ; 7 nov. 2018, n° 16/10209 ; 17 oct. 2018, n° 18/02214), parfois même pour aboutir à la solution exactement inverse (Rennes, 23 oct. 2018, n° 17/06389, retenant que le maintien dans les lieux d’un franchisé dont le contrat de location-gérance a été résilié ne paraît pas manifestement illicite lorsque l’accord stipule une indivisibilité avec un contrat de franchise conclu entre les mêmes parties et que les durées des deux contrats ne sont pas alignées).

Cette indivisibilité, qui semble pouvoir se justifier d’un point de vue théorique, présente l’avantage de s’harmoniser avec les solutions retenues par l’article L. 341-1 du Code de commerce issu de la loi Macron du 6 août 2015. En effet, ce texte prévoit que tous les contrats conclus entre, d’une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants […], ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 et, d’autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l’exploitation de ce magasin et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale, doivent prévoir une échéance commune. Or, en l’occurrence, tel n’était pas le cas des contrats de franchise, conclu pour dix ans, et de location-gérance, conclu pour un.

Cession d’actions sans accord préalable du franchisé

La Cour de cassation rappelle, selon la formule classique, que « le contrat de franchise est conclu en considération de la personne du franchiseur ». Elle fait référence plus précisément, à « la personne morale en considération de laquelle le franchisé s’est engagé ». Il faut ainsi en déduire que l’intuitu personae ne réside pas dans les personnes physiques qui pourraient éventuellement incarner la franchise, telles que les actionnaires ou bien le dirigeant du franchiseur, mais bien en la personne morale du franchiseur. Certains auteurs ont pu critiquer cette conception de l’intuitu personae, en soulevant que les franchisés s’engagent dans la franchise avant tout en considération du concept de la franchise, plutôt qu’en considération de la personne du franchiseur.

Toutefois, la Haute juridiction ignore ces critiques et énonce en l’espèce que « si le contrat de franchise est conclu en considération de la personne du franchiseur, pour autant, la cession de la totalité des parts ou actions de la société franchiseur et l’évolution de ses dirigeants, qui n’impliquent pas de changement de personne morale en considération de laquelle le franchisé s’est engagé et n’emportent aucune cession du contrat de franchise, ne requièrent pas, sauf clause contraire, l’accord préalable des franchisés ».

La Cour de cassation conclut qu’en cas de cession de contrôle, le consentement du franchisé à l’opération n’est pas requis ; alors qu’en revanche, elle avait pu estimer par le passé, que s’agissant d’une opération de fusion-absorption, le contrat de franchise ne peut être transmis à une société tierce sans l’accord du franchisé (Cass. com., 3 juin 2008, n° 06-18.007).

La circonstance qui différencie ces deux hypothèses tient dans le maintien ou non de la personne morale : en cas de fusion-absorption, et donc de disparition de la personne morale avec laquelle était conclu le contrat de franchise, l’accord du franchisé est nécessaire, et ne l’est pas au contraire en cas de simple cession d’actions, hypothèse dans laquelle la personnalité morale de la société n’est pas affectée.

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