#LeConseilDuMois – Faut-il craindre les nouvelles actions de groupe à venir ?

Les actions de groupe existent en droit français depuis la loi Hamon de 2014 (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014). Elles étaient limitées à l’origine au droit de la consommation et au droit de la concurrence.  A ce titre, une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles : 1° A l’occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services ; 2° Ou lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’action de groupe ne peut porter que sur la réparation des préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels subis par les consommateurs.

Le champ d’application de l’action de groupe a été élargi entretemps successivement à la santé, à l’environnement, à la protection des données personnelles, à la lutte contre les discriminations et aux litiges portant sur les locations immobilières. Pourtant, le bilan des actions de groupe demeure très décevant : sur les 32 actions engagées à ce jour, seules 4 ont abouti, au surplus par le biais de transactions. Toutes les autres ont échoué ou sont engluées dans des procédures à n’en plus finir.

Une proposition de loi initiée le 15 décembre 2022 par les députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin en a tiré les conséquences et envisage une réforme complète du régime des actions de groupe afin de les rendre plus efficaces. Cette proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 8 mars 2023 et transmise au Sénat (Sén., n° 420, 9 mars 2023). Il ne fait guère de doute qu’elle sera adoptée dans les prochains mois. La refonte opérée par le projet constitue à la fois un risque pour les entreprises qui vont être confrontées à des actions beaucoup plus nombreuses et plus risquées en termes de dommages et de sanctions mais également une opportunité car pour la première fois, l’action de groupe sera ouverte aux entreprises victimes et non plus seulement aux consommateurs. L’ampleur de la réforme est telle qu’il convient de la prendre en compte dans les décisions à venir et de s’y préparer dès à présent et ce d’autant plus que le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoit une application aux actions introduites postérieurement à son entrée en vigueur, donc à des faits antérieurs, sauf pour l’amende civile.

I. Des actions de groupe à venir plus nombreuses

  1. Des actions à caractère universel. La PPL propose de substituer aux actions de groupe spécifiques actuelles obéissant à 7 régimes différents, une action de groupe unifiée à vocation générale. Une telle action pourra être exercée en justice « pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, placées dans une situation similaire, subissant des dommages ayant pour cause commune un même manquement ou un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles commis par toute personne agissant dans l’exercice ou à l’occasion de son activité professionnelle, par toute personne morale de droit public ou par tout organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public ».
  2. Un élargissement à tous les préjudices. Jusqu’à présent, le préjudice moral était exclu du champ des préjudices invocables alors qu’il s’agit d’un préjudice, notamment à travers le préjudice d’anxiété qui a déjà pu être reconnu en matière d’actions conjointes (V. par ex., l’affaire du Levothyrox, Cass. 1ère, 16 mars 2022, n° 20-19.786) et pourrait permettre d’engager des actions de groupe en particulier en matière de santé. La PPL ouvrira l’action de groupe à tous les préjudices qu’elle qu’en soit la nature, subis du fait du manquement concerné.
  3. Une extension importante des personnes ayant qualité pour agir, y compris aux associations représentant des entreprises. Jusqu’à présent, seules les associations agréées par l’Etat et ayant plus de 5 ans d’ancienneté pouvaient agir au titre de l’action de groupe de droit commun avec un droit d’action élargi à certaines autres entités pour certaines actions de groupe spécifiques. Outre les associations agréées, la PPL ouvre l’action à toute une série d’entités (associations déclarées depuis 2 ans dont il a été porté atteinte à l’objet ; ou agissant pour le compte d’au moins 50 personnes physiques, ou de 5 personnes morales de droit privé inscrites au RCS depuis 2 ans, ou de 5 collectivités ; certains syndicats pour certaines actions ; certaines entités qualifiées au titre du droit européen). Cela signifie notamment qu’au lieu de devoir initier des actions groupées, les entreprises pourront initier des actions de groupe à travers ce mécanisme.

II. Des actions de groupe génératrices de risques plus élevés.

  1. Des sanctions potentiellement plus élevées. Les sanctions civiles résultant du nouveau régime seront plus élevées puisqu’il permet d’obtenir la cessation d’un comportement illicite et/ou la réparation de tout type de préjudice, corporel, matériel ou moral. Par ailleurs, il est prévu qu’une sanction civile pouvant aller pour les personnes morales jusqu’à 3% de leur CA annuel HT puisse être prononcée en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels sans que ce risque soit assurable.
  2. Une procédure se voulant plus efficiente. Diverses mesures procédurales sont prévues pour tenter d’améliorer l’efficacité des procédures : création de juridictions judicaires spécialisées pour en connaître, mise en place d’un registre public des actions de groupe, mise en place possible d’une procédure collective de liquidation des préjudices permettant une transaction globale.

Accueil de la réforme : les premières réactions des commentateurs sont mitigées. Les partisans des actions de groupe saluent les avancées du projet (caractère universel, élargissement des préjudices invocables, extension de la qualité pour agir), mais regrettent la complexité de la procédure, le maintien du régime de l’opt in au détriment de l’opt out, le refus de consécration de la discovery et des dommages et intérêts punitifs (Ch. Lèguevaques, Pet. Aff., avr. 2023, 4). Le CNB regrette l’exclusion des avocats (Rés. CNB, 11 et 12 mai 2023). D’autres enfin soulignent les inconnues du texte (portée de l’interdiction de financement par des tiers ayant un intérêt économique dans l’action, portée du financement éventuel par l’Etat) et les difficultés d’interprétation liées à la sanction civile, à la procédure et à l’application de la loi dans le temps (D. Lecat et M. Brueder, Le nouveau régime envisagé de l’action de groupe : un futur nid à contentieux ?, Gaz. Pal., 9 mai 2023, 37).

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