Décision de la Commission européenne rendue contre Qualcomm

Le 18 septembre 2024, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé la décision de la Commission européenne rendue contre Qualcomm en 2019 (Comm. UE, 18 juillet 2019 AT.39711, Qualcomm) pour violation de l’article 102 TFUE. Le juge de l’Union a cependant corrigé à la baisse le montant de l’amende, passant de 242 à environ 238 millions d’euro.

Saisi d’un recours en annulation introduit par Qualcomm contre la décision de la Commission lui imposant une amende pour abus de position dominante sur le marché des puces UMTS, le TUE approuve la position de la Commission selon laquelle Qualcomm a abusé de sa position dominante sur ce marché en appliquant, de manière sélective à l’égard de clients essentiels, des prix inférieurs aux coûts dans le but d’évincer un concurrent.

Dans sa décision, la Commission a constaté que l’analyse des prix des puces pratiqués par la requérante et leurs coûts de fabrication montrait que la société avait vendu certaines quantités de puces, entre le 1er janvier et le 31 décembre 2011, à des prix inférieurs à ses coûts incrémentaux moyens à long terme (LRAIC) et en dessous de ses coûts totaux moyens (ATC). Une quantité limitée d’un modèle spécifique de puce a même été vendue en dessous des coûts variables moyens (AVC). Cette analyse prix-coût a été corroborée par des preuves internes à Qualcomm, révélant une intention de pratiquer des prix prédateurs afin d’évincer Icera, son principal concurrent de l’époque.

Résumé du jugement du Tribunal

Dans son arrêt, le Tribunal a examiné l’ensemble des arguments avancés par la requérante, rejetant tous les moyens, à l’exception de celui relatif au calcul de l’amende, qu’il a partiellement accepté.

Définition du marché pertinent

Le Tribunal confirme plusieurs points importants concernant la définition du marché pertinent.

Pression concurrentielle hypothétique
Les puces UMTS ne sont pas substituables aux autres types de puces. Le Tribunal a estimé que la Commission n’avait pas à prendre en compte la pression concurrentielle hypothétique de futures technologies, le marché étant défini par les produits actuellement disponibles que les consommateurs jugent interchangeables en raison de leurs caractéristiques, prix et usages.

Substitution en chaîne
Le Tribunal a rejeté l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû analyser une chaîne de substituabilité entre des produits non directement substituables, mais qui le deviendraient indirectement, par leur substituabilité commune avec un troisième produit. En l’occurrence, la Commission a correctement évalué la substituabilité entre les puces UMTS et les puces prenant en charge d’autres technologies, antérieures ou postérieures à la technologie UMTS sur la base d’un grand nombre de données solides et concordantes.

Test SSNIP
Le Tribunal a rappelé que le test SSNIP (« Small but Significant Non-transitory Increase in Prices ») n’est qu’une méthode parmi d’autres pour définir le marché pertinent, et que la Commission pouvait également s’appuyer sur des études de marché ou une évaluation des points de vue des consommateurs et des concurrents, sans hiérarchie stricte entre ces méthodes.

Position dominante de Qualcomm

Le Tribunal a également répondu aux différents arguments de Qualcomm sur l’analyse de la position dominante.

Parts de marché et innovation
Même sur un marché marqué par des cycles d’innovation courts, les parts de marché très élevées de la requérante (entre 57,8% et 65,3% entre 2009 et 2011) suffisent à établir sa position dominante, surtout face à des concurrents disposant de parts de marché bien moindres.

Barrières à l’entrée
Le Tribunal confirme que les investissements élevés en R&D, nécessaires à la conception des puces UMTS, la nécessité de les faire certifier par les opérateurs de réseaux mobiles et les équipementiers, l’image de marque ou encore les relations commerciales solides de la requérante constituent autant de barrières significatives à l’entrée ou à l’expansion, susceptibles d’être pris en considération pour apprécier  la position dominante de cette dernière.

Rapport de force au sein du marché
Qualcomm disposait d’un pouvoir de marché durable, face à des concurrents moins puissants et aux parts de marché instables, limitant la capacité de ces derniers à exercer une réelle pression concurrentielle.

Abus de position dominante : analyse des prix prédateurs

Le Tribunal a clarifié plusieurs points clés sur l’analyse des prix prédateurs dans le cadre d’un abus de position dominante.

Analyse prix coût
La Commission peut utiliser les chiffres internes de l’entreprise dominante pour évaluer les coûts. Si ces données ne reflètent pas la réalité du marché, elle peut recourir à d’autres sources pertinentes fournies par l’entreprise.

Prix inférieurs aux coûts
Des prix inférieurs aux coûts variables moyens (AVC) sont présumés abusifs, car ils visent à éliminer les concurrents. Des prix inférieurs aux coûts totaux moyens (ATC) mais supérieurs aux AVC ne sont abusifs que s’ils s’inscrivent dans un plan d’éviction.

Coûts de référence
Même si la Commission a considéré que les coûts incrémentaux moyens à long terme (LRAIC) de l’entreprise dominante étaient inférieurs à ses ATC, alors qu’à la lumière de la jurisprudence Akzo, elle devait constater que les prix de la requérante étaient inférieurs aux ATC pour constater un abus de position dominante, elle n’a pas commis d’erreur en choisissant les LRAIC comme coût de référence plutôt que   les AVC ou les coûts évitables moyens (AAC). En effet, les ATC comprennent tous les coûts communs, tandis que les LRAIC ne couvrent que les coûts associés aux produits spécifiques visés, de sorte qu’il est exclu que les ATC soient inférieurs aux LRAIC. De plus, il n’était pas nécessaire pour la Commission de déterminer si les prix de la requérante étaient également inférieurs aux AVC ou aux LRAIC, puisqu’elle avait choisi de vérifier l’intention de cette dernière d’exclure un concurrent. Par ailleurs, un calcul des prix fondé uniquement sur les coûts variables est inadapté pour identifier l’existence de prix prédateurs dans un secteur où l’activité de R&D et les droits de propriété intellectuelle génèrent des coûts élevés qui ne seraient pas pris en considération dans un calcul fondé sur les seuls coûts variables.

Preuves d’intention prédatrice
Pour prouver l’abus, la Commission peut s’appuyer sur faisceau d’éléments de preuve indirects, comme des courriels internes ou des ventes à perte, démontrant l’intention d’évincer un concurrent.

Comportement ciblé
Un comportement prédateur peut être limité à un segment spécifique du marché, et non à son ensemble, voire à un autre marché, sans nécessiter une définition stricte du marché concerné, ce qui permet à la Commission de sanctionner des pratiques ciblées sans avoir à définir avec exactitude les contours de ce segment.

Calcul du montant de l’amende

Concernant le calcul du montant de l’amende, le Tribunal a estimé que la Commission s’était écartée, sans justification, de la méthode prescrite par ses lignes directrices de 2006. En effet, la Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision de s’écarter de la méthode prescrite par les lignes directrices de 2006, qui prévoit, en son point 24, que le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes est multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction.

Bien que le point 37 des lignes directrices de 2006 permette à la Commission, de manière générale, de pouvoir s’écarter de la méthode prescrite, elle n’a pas suffisamment motivé ce choix spécifique. En conséquence, le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, a réduit le montant de l’amende imposée à 238 732 659 €.

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