Nous savons tous que le droit de la concurrence doit être pris au sérieux. Tout juriste a à l’esprit qu’en cas d’infraction à ce droit, son entreprise risque une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial de son groupe. Mais en réalité, il ne s’agit ici que du sommet de l’iceberg du droit de la concurrence. En pratique, les risques liés à une pratique anti-concurrentielle vont bien plus loin et les autorités de la concurrence et les plaignants ne cessent d’imaginer de nouveaux moyens d’accroître l’efficacité de ce droit. Ce sont donc des règles à prendre particulièrement au sérieux et l’on ne saurait le rappeler assez souvent aux opérationnels qui n’en ont pas toujours pleinement conscience. En droit de la concurrence, on ne rencontre pas seulement des double ou triple peines, mais le cumul peut aller jusqu’à six peines lorsque ses règles s’appliquent à vous.

 

  1. Le premier risque : l’amende administrative, dont le montant réel est souvent sous-évalué. En cas d’entente ou d’abus de domination, en droit européen ou en droit français, l’entreprise qui a commis l’infraction est soumise à un risque d’amende dont le plafond est de 10 % du chiffre d’affaires de son groupe. Ce montant paraît très élevé, mais en réalité, le risque lié à ce plafond est encore plus important qu’on ne l’imagine. Il faut d’abord avoir conscience que l’amende n’est pas déductible fiscalement. Le coût effectif d’une amende atteignant le plafond est donc plus élevé en réalité. Surtout, les autorités de la concurrence font preuve d’imagination pour multiplier les plafonds applicables. Une première astuce consiste à notifier plusieurs griefs et à faire valoir que le plafond s’applique grief par grief. Un deuxième stratagème, plus récent, consiste à découper artificiellement un grief en deux griefs séparés et à imputer le premier aux entreprises et le second aux associations professionnelles dont elles sont membres en faisant valoir que les faits relèvent du nouveau régime d’amende des organisations professionnelles qui permet de leur infliger sous certaines conditions une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de leurs membres. Ces dérives sont hautement critiquables et devront être fermement contestées mais il faut être conscient qu’elles existent et amplifient le risque d’amende au-delà de ce que les entreprises imaginent au premier abord.
  1. Le deuxième risque : la nullité des clauses ou des accords anticoncurrentiels. Au-delà du risque d’amende, convenir de clauses ou plus généralement d’accords anti-concurrentiels expose les entreprises à la nullité. Les conséquences peuvent être désastreuses car la nullité peut entraîner une obligation de remise en état et des restitutions réciproques. La jurisprudence estime ainsi que la nullité d’un accord de distribution oblige le fournisseur à restituer à l’acheteur la différence entre le prix perçu et la valeur des marchandises vendues, c’est-à-dire son bénéfice. De même, en cas de nullité d’un contrat de distribution sélective, il ne sera plus possible d’agir contre les revendeurs hors réseau.
  1. Le troisième risque : les dommages-intérêts. Les autorités de concurrence estiment que le private enforcement constitue un moyen supplémentaire de rendre le droit de la concurrence plus efficace. Le postulat est qu’en permettant aux victimes d’agir pour obtenir réparation, on créera de nombreux acteurs supplémentaires mettant en œuvre ce droit, avec une incitation financière très forte. La transposition en droit national de la directive européenne destinée à faciliter le private enforcement a multiplié ce type d’actions et surtout les a rendues plus efficaces, de nombreux moyens de défense ayant été paralysés par la nouvelle réglementation. Les juridictions administratives et judiciaires n’hésitent plus aujourd’hui à accorder aux victimes d’importants dommages-intérêts.
  1. Le quatrième risque : le risque pénal. Si les entreprises sont exposées à devoir payer une amende administrative et des dommages-intérêts et à voir leurs contrats annulés en cas de pratiques anticoncurrentielles, les personnes physiques ne sont pas à l’abri de poursuites. La dépénalisation du doit de la concurrence opérée en France par l’ordonnance de 1986 a laissé subsister une disposition aujourd’hui codifiée à l’article L. 420-6 du Code de commerce qui punit d’un emprisonnement de quatre ans et d’une amende de 75 000 euro le fait, pour une personne physique, de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles. Le texte n’a longtemps été appliqué qu’aux soumissions concertées dans le cadre de marchés publics. L’Autorité de la concurrence n’hésite plus aujourd’hui à saisir le Parquet sur le fondement de ce texte pour mettre en cause des accords verticaux.
  1. Le cinquième risque : la couverture médiatique. La médiatisation des condamnations peut être très préjudiciable pour les entreprises. Leur réputation peut être gravement mise en cause à l’occasion des journaux télévisés ou dans les médias. Les autorités de concurrence n’hésitent pas à utiliser de façon de plus en plus étendue les outils de communication : diffusion de communiqués de presse à l’occasion de condamnations et plus récemment annonce de visites et saisies dans un secteur ou de l’envoi d’une notification de griefs.
  1. Le sixième risque : le dépositionnement de l’entreprise. L’entreprise condamnée sera bien sûr affaiblie. Ses concurrents peuvent en profiter pour entrer sur le marché ou se développer à ses dépens.

Last but not least, l’intensité et la probabilité de ces six risques qui peuvent se cumuler n’a cessé d’augmenter récemment. Les autorités voient leur tâche facilitée par de nouvelles armes : perquisitions peu remises en cause en cas de recours, enquêtes simples de plus en plus lourdes, encouragement de la clémence, recours accru aux enquêtes pénales moins encadrées que les enquêtes classiques de concurrence, etc. Le montant des amendes augmente au fur et à mesure des communiqués sanctions de plus en plus sévères. En France, le dernier en date conduit en pratique à un risque de doublement des amendes au sein du plafond. Plus que jamais, le droit de la concurrence doit donc être pris au sérieux et les entreprises doivent se préparer à le respecter au mieux, notamment par des formations et la mise en œuvre de programmes de compliance.