Comment éviter d’avoir à restituer la totalité du prix payé pour un bien durable coûteux en cas de résolution de la vente intervenant des années après la vente alors que bien a été utilisé ?
Il arrive fréquemment en pratique que des résolutions de vente de biens durables, comme des camions, des voitures, des motos ou des bateaux, soient prononcées des années après la vente.
Traditionnellement, la jurisprudence décidait généralement que le vendeur « n’était pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité ».
On aboutissait ainsi à une situation inéquitable dans laquelle le vendeur était tenu de restituer la totalité du prix de vente perçu alors que l’acheteur avait utilisé le bien pendant une longue période et restituait au vendeur un bien totalement déprécié.
Depuis la réforme du droit des contrats applicable aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016, le code civil permet une prise en compte de la jouissance que le bien a procurée.
Il convient donc de faire valoir en compensation cette indemnité de jouissance et surtout de prendre les précautions procédurales et probatoires afin de pouvoir se ménager la preuve de l’usage que l’on invoque.
Comment éviter d’avoir à restituer la totalité du prix payé pour un bien durable coûteux en cas de résolution de la vente intervenant des années après la vente alors que bien a été utilisé ? /Possible évolution de la garantie légale des vices cachés ?
 Il arrive fréquemment en pratique que des résolutions de vente de biens durables, comme des camions, des voitures, des motos ou des bateaux, soient prononcées des années après la vente.
La problématique existante : résolution = restitution à la valeur d’achat peu importe l’utilisation qui a été faite du bien.
Traditionnellement, jusqu’à la réforme du droit des contrats par l’Ordonnance n°2016-131, le Code civil ne contenait aucune disposition en matière de restitutions suite à la résolution du contrat de vente.
La jurisprudence a souvent décidé que le vendeur « n’était pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité ». La Cour de cassation est ferme sur cette question.
On aboutissait ainsi à une situation inéquitable dans laquelle le vendeur était tenu de restituer la totalité du prix de vente perçu alors que l’acheteur avait utilisé le bien pendant une longue période et restituait au vendeur un bien totalement déprécié.
Nous avions tout de même quelques décisions isolées qui retenaient une réduction du prix, mais qui restaient contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière…
EXEMPLE
CA PARIS 14.07.2007
CA VERSAILLES 4.04.2007
CA TOULOUSE 28.10.2009
La solution à exploiter
L’article 1352-3 nouveau du Code civil dispose désormais que :
« La restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée ».
La valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. La restitution de « la valeur de la jouissance » résulte désormais de la loi.
S’agissant d’un effet de la loi et non du contrat, les dispositions de l’article 1352-3 du Code civil s’appliquent immédiatement pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016.
L’article 9 de l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, dont est issu l’article 1352-3 du Code civil, dispose ainsi que :
« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne ».
Dans le cadre d’une action résolutoire, il convient donc systématiquement de faire valoir ces dispositions s’’agissant des contrats conclus après le 1er octobre 2016, qui par définition, sont soumis à la loi nouvelle ;
S’agissant des anciens contrats (ventes antérieures au 01.10.2016), ne sont en principe pas concernées (Voir en ce sens : CA AIX 11.06.2023 RG 2024241).
Il faut néanmoins tenter de solliciter le bénéfice de la jurisprudence de la Cour de cassation qui dans différentes hypothèses considère que la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.
Elle a ainsi approuvé les juges du fond d’avoir fait application à un bail conclu le 7 juin 2012, des dispositions de la loi du 24 mars 2014 modifiant la loi du 6 juillet 1989 concernant la restitution du dépôt de garantie, dont un propriétaire était redevable depuis le 17 décembre 2014. Pour la Cour de cassation :« Mais attendu que, la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 s’applique à la demande de restitution formée après l’entrée en vigueur de cette dernière loi ; qu’ayant constaté que le bailleur était tenu de restituer le dépôt de garantie au plus tard le 17 décembre 2014, la juridiction de proximité en a déduit, à bon droit, qu’il était redevable à compter de cette date du solde du dépôt de garantie majoré » (3ème Civ., 17 novembre 2016, pourvoi n°15-24552).
Les précautions procédurales
Il ne suffit pas seulement de faire valoir ce raisonnement juridique, mais aussi de se ménager les moyens probatoires et procéduraux en vue de le faire aboutir.
Il faut donner au juge des éléments probants pour chiffrer la valeur de jouissance.
EN PRATIQUE :
En cas de demande d’expertise judiciaire : anticiper les éléments probatoires permettant de valoriser la valeur du bien.
Nous préconisons de faire intégrer dans les missions expertales la valeur de jouissance procurée par le bien au jour du dépôt du rapport.
Parmi les éléments permettant de chiffrer la valeur de jouissance, nous pouvons suggérer déjà , la valeur vénale du véhicule/ bien utilisé.
Pour un véhicule, cette valeur peut être estimée à la cote argus du véhicule en fonction du dernier kilométrage connu ou à une valorisation proposée par un expert judiciaire.
Ci-après des exemples de complément de mission notamment pour chiffrer la valeur d’usage :
Et s’il n’y a pas d’expertise ? Dans le cadre d’une action au fond par exemple.
Nous avons plusieurs possibilités dans le cadre d’une action au fond.
À partir des pièces adverses versées au débat, nous pouvons faire établir une cotation du véhicule qui restera un élément permettant au juge de chiffrer la valeur de jouissance.
Et quand le véhicule est roulant ?
L’action résolutoire n’est pas nécessairement rattachée à un véhicule immobilisé. Le vice caché peut être invoqué en présence d’un véhicule roulant qui se déprécie tout au long de la procédure.
Le mieux est de connaître l’état du véhicule pour proposer des éléments de valorisation.
Il convient de procéder par voie de sommation faite à l’adversaire de communiquer le dernier kilométrage du véhicule dans le cadre de la procédure.
Si l’adversaire transmet (c’est assez rare) il est possible de faire une valorisation.
Si l’adversaire ne transmet pas, soit on procède par interrogation du site histovec pour voir si le véhicule a subi un contrôle technique récent et nous aurons ainsi le dernier kilométrage, soit on reste sur le dernier kilométrage connu et on propose au juge un calcul (tant de km parcourus par an et on propose un chiffrage).
Pour être au plus proche de la valeur vénale du véhicule (en cas d’utilisation notamment), il faut actualiser ce chiffrage à la date la plus proche des plaidoiries.
Décisions rendues
Quelles sont, à ce jour, les applications de l’article 1352-3 par la jurisprudence ?
Pour l’heure il y a encore peu de jurisprudence, soit parce que ces dispositions sont peu invoquées soit en raison d’un maintien de la jurisprudence traditionnelle refusant de prendre en compte la jouissance du bien.
On peut citer, à titre d’exemple, un Jugement du Tribunal Judiciaire de Lille, 18 janv. 2024, RG n° 22/00749.
Dans cette affaire, le juge ordonne la résolution de la vente pour vices cachés (restitution du véhicule au vendeur contre restitution du prix de vente à l’acquéreur).
S’agissant de la restitution du prix, le vendeur demandait que le montant à restituer tienne compte de la dépréciation causée par le comportement de l’acquéreur. Ce dernier avait en effet continué à utiliser le véhicule malgré l’avertissement formulé par le réparateur auquel le véhicule avait été confié avant la tenue de l’expertise judiciaire. Le juge relève en effet que le comportement de l’acquéreur, qui avait parcouru plus de 12.500 km avec le véhicule défectueux, avait bien contribué à aggraver à l’usure moteur. Le juge ordonne donc que la moins-value du véhicule soit déduite du prix de vente à restituer à l’acquéreur.
Se fondant également sur l’article 1352-3 du Code civil, le juge soustrait du prix de vente à restituer la valeur de la jouissance procurée par le véhicule à l’acheteur, évaluée forfaitairement à 3.000 euros, en notant que le véhicule, utilisé pendant cinq ans, avait parcouru au moins 28.200 km.
Voir également CA RENNES 22.09.2023 suite aux dégradations du véhicule.