Comment contrer la nouvelle stratégie de certaines associations de consommateurs contestant en référé des CGV qu’elles considèrent abusives ?

Un conseil du cabinet Vogel & Vogel

Traditionnellement, les associations de consommateurs contestent les clauses des conditions générales des entreprises en assignant au fond, en sollicitant que le caractère abusif selon elles de très nombreuses clauses soit reconnu, qu’elles soient déclarées non écrites et assortissent leur demande d’astreintes et de dommages-intérêts en réparation du préjudice collectif allégué des consommateurs et du préjudice associatif.

Le problème de ces procédures est qu’elles peuvent durer très longtemps, que le temps permet aux entreprises mises en cause de modifier le cas échéant leurs CGV, d’organiser leur défense et de consolider leur argumentation.

Certaines associations semblent vouloir tester une nouvelle stratégie en agissant en référé. Elles sélectionnent un nombre de clauses plus limitées en choisissant celles qui soulèvent à leurs yeux le moins d’arguments en défense possibles et font valoir que l’insertion de ces clauses constitue un trouble manifestement illicite, en utilisant le cas échéant des décisions au fond ayant condamné des clauses similaires dans le même secteur et en demandant mutatis mutandis leur condamnation en référé. Accessoirement, ces demandes sont assorties de demandes d’astreintes et de provisions sur dommages-intérêts au titre toujours du préjudice allégué des consommateurs et du préjudice associatif prétendument subi.

Comment contrer cette nouvelle stratégie, qui peut très bien passer par une assignation lancée courant juillet pour une audience fin août ?

Il convient d’être juridiquement pro-actif, de construire une défense solide, d’invoquer l’incompétence du juge des référés pour ce type de demandes, et de modifier le cas échéant certaines clauses pour en améliorer la rédaction. La stratégie de l’association sera ainsi mise en échec, alors qu’elle pensait surprendre son contradicteur, c’est elle qui sera contrainte de demander un renvoi, toujours long compte tenu de l’encombrement des tribunaux et son action en référé sera bien fragilisée.

I. Faire valoir l’incompétence du juge des référés au regard de la nature des demandes

1. Faire valoir l’incompétence du juge des référés pour apprécier et interpréter le caractère abusif ou non de clauses contractuelles

Le juge des référés est par définition le juge de l’évidence. L’existence d’un trouble manifestement illicite justifiant sa compétence implique la violation évidente et flagrante d’une règle de droit précise (Cass., 2è civ., 18 janv. 2018, n° 17-10.636 ; Paris, 13 févr. 2024, pôle 1, ch. 3, n° 23/12.481 ; Tribunal de commerce, Nanterre, 31 janvier 2011, n° 2011R00115 ; voir également Tribunal de grande instance, Paris, 8 mars 2018, n° 18/51592 ; Tribunal judiciaire, Nice, 2 juillet 2020, n° 19/01672 ; Tribunal de commerce, Evry, 6 octobre 2021, n° 2021R00133 ; Tribunal de commerce, Nanterre, 6 octobre 2022, n° 2022R00834 ; Tribunal de commerce, Marseille, 13 décembre 2022, n° 2022R00348 ; Tribunal de commerce, Paris, 10 juillet 2020, n° 2020023485).

Suivant cette logique, un trouble manifestement illicite ne peut être caractérisé lorsque cela suppose pour le juge d’interpréter une loi ou un contrat. En effet, cette nécessité d’interprétation fait automatiquement obstacle au caractère manifeste, flagrant du trouble allégué (Paris, 14 mars 2024, n° 23/12740).

Valable pour toute interprétation d’une clause contractuelle, cette incompétence du juge des référés l’est fortiori lorsqu’il s’agit d’interpréter le caractère abusif ou non d’une clause au regard du droit de la consommation. En effet, en vertu de L’article L.212-1, alinéa 2, du code de la consommation, l’appréciation du caractère abusif ou non d’une clause contractuelle nécessite non seulement une analyse minutieuse du contenu précis de la clause, mais également de son contexte au moment de la conclusion du contrat de même qu’à une prise en compte de toutes les autres clauses du contrat et même de celles contenues dans un autre contrat si les deux contrats

C’est la raison pour laquelle il est de jurisprudence constante que le juge des référés n’est pas compétent pour apprécier le caractère abusif de clauses contractuelles : (Poitiers, 31 août 2012, n° 12/00707 : « Attendu qu’en déclarant abusives lesdites clauses, le juge des référés juge de l’évidence a excédé sa compétence, alors que l’appréciation de ce caractère se heurte à une contestation sérieuse faisant en conséquence obstacle à l’exercice de ses pouvoirs » ; Aix-en-Provence, 15 septembre 2016, n° 2016/862 ; Orléans, 22 mars 2023, n° 22/01955 ; Paris, 19 mars 2008, n° 07/13034).

2. Faire valoir l’incompétence du juge des référés pour connaître de demandes de dommages-intérêts

De la même façon qu’aucun trouble manifestement illicite ne peut résulter de l’interprétation d’un contrat, aucune provision ne peut être octroyée par le juge des référés lorsque la prétendue obligation qui est censée la fonder résulte de l’interprétation d’un contrat, comme le souligne à juste titre la doctrine : « Une provision ne peut pas être octroyée sur le fondement d’une obligation dont le constat résulte de l’interprétation d’un contrat (…), ledit constat supposant pour le juge d’avoir tranché une contestation sérieuse » (X. et J. VUITTON, Les référés, LEXISNEXIS, 4ème édition, § 43). Plus généralement, une demande d’octroi de dommages-intérêts par le biais d’une provision en référé-provision se heurte nécessairement à une contestation sérieuse, en particulier s’agissant d’une demande de provision au titre d’un prétendu dommage collectif aux consommateurs ou d’un préjudice associatif allégué dès lors que l’existence de l’obligation est sérieusement contestable que ce soit en ce qui concerne le caractère prétendument abusif de la clause invoquée ou le préjudice allégué.

II. Faire valoir l’absence de trouble manifestement illicite au jour où le juge statue et en tout état de cause

3. Faire valoir l’absence de trouble manifestement illicite au jour où le juge statue en cas d’évolution des CGV

L’évolution des CGV et leur amélioration éventuelle entre le jour de l’assignation et le jour de l’audience de référé peut rendre l’action en référé en grande partie sans objet. En effet, pour apprécier l’existence d’un trouble manifestement illicite, le juge des référés doit se placer au jour où il statue et non au jour de sa saisine (Versailles, 21 décembre 2023, n° 23/01323 ; voir également en ce sens Cour de cassation, première chambre civile, 16 mai 2012, n° 11-18.181 ; Paris, 8 juillet 2021, n° 20/15090 ; Cour de cassation, chambre sociale, 17 janvier 2024, n° 22-16.436 ; Cour de cassation, chambre commerciale, 16 avril 2013, n° 12-17.164 ; Cour de cassation, chambre commerciale, 12 juillet 2017, n° 15-22.563). Par conséquent, le juge des référés ne peut intervenir lorsque le trouble allégué par le demandeur a cessé au jour où il statue (Rennes, 2 février 2021, n° 19/05977 ; voir également en ce sens Montpellier, deuxième chambre sociale, 24 juin 2020, n° 20/00288).

4. Contester l’absence de tout trouble manifestement illicite du fait de l’absence de caractère abusif des clauses concernées

Enfin, indépendamment de l’ensemble des contestations précédentes, il conviendra de formuler une défense clause à clause en vue de faire valoir leur absence de caractère abusif et le défaut de démonstration de l’existence d’un trouble manifestement illicite.

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