Par deux arrêts rendus le 22 novembre 2023, la Cour d’appel de Paris retient clairement que les conditions de caractérisation de relations commerciales établies ou du préavis raisonnable sont indépendantes du formalisme de la convention écrite.

On le sait depuis longtemps, une relation commerciale établie peut exister sans le support d’un écrit (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 00-22.453 ; Paris, 7 février 2013, n° 10/24348 ; 16 juin 2023, n° 21/19914). L’absence de contrat-cadre prévoyant une exclusivité ou engagement de volume est sans incidence sur l’applicabilité de l’article L. 442-1, II, du Code de commerce (Paris, 28 mars 2019, n° 16/24294 ; 13 février 2020, n° 17/19879). On pouvait cependant s’interroger sur l’incidence du non-respect du formalisme d’ordre public de la convention écrite, prévu par les articles L. 441-3, pour les relations tombant dans son champ d’application, sur la rupture brutale de relations commerciales établies.

La solution est affirmée fermement par l’arrêt n° 22/01703. L’affaire opposait l’exploitant d’un fonds de commerce de supermarché (la société Ambrethan) au grossiste alimentaire (la société Diapar) auprès duquel elle s’approvisionnait, à des tarifs préférentiels en sa qualité d’adhérente d’une société coopérative (la société G 20) depuis 2006.

Le 6 août 2020, la société Diapar a constaté que la société Ambrethan avait cessé toute commande et avait apposé sur son magasin l’enseigne Monoprix. Par conséquent, elle a informé la société Ambrethan de sa volonté d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies. La société Ambrethan rétorquait qu’elle n’était liée par aucun contrat d’approvisionnement annuel avec la société Diapar au sens de l’article L. 443 et que par conséquent, aucune relation commerciale établie ne pouvait être invoquée.

La Cour d’appel de Paris rejette lapidairement l’argument en affirmant que « les conditions d’application de l’article L. 442-1 II sont indépendantes du formalisme contractuel prescrit par les articles L. 441-3 et suivants du code du commerce ».

La cour d’appel considère que la notion de relation commerciale établie requiert simplement « l’existence d’une relation d’affaires qui s’inscrit dans la durée, la continuité et avec une certaine intensité, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour un avenir, même bref, une certaine pérennité du flux d’affaires avec son partenaire commercial ». L’absence de convention entre les parties est sans incidence sur l’appréciation du caractère établi de la relation.

En l’occurrence, la relation était établie puisque la société Ambrethan s’est approvisionnée auprès de la société Diapar pour l’exploitation de son fonds de commerce pendant près de 14 années à hauteur de 20 à 30 % de ses achats. La brutalité de la rupture est également établie dès lors qu’elle a eu lieu sans le moindre préavis. Compte tenu de ces éléments, le tribunal a jugé qu’une durée de préavis limitée à 4 mois était nécessaire mais suffisante pour permettre au partenaire évincé de se réorganiser, chiffrant le préjudice subi du fait du non-respect de cette durée à 47 674 euros.

 L’arrêt n° 21/11932, qui opposait les sociétés Etablissements Chays Frères et AGCO Distribution, porte quant à lui sur la durée du préavis adéquat pour la résiliation d’un contrat de concessionnaire exclusif entre deux sociétés qui ont auparavant entretenu des relations commerciales pendant une vingtaine d’années.

Un contrat de concessionnaire exclusif avait été formalisé le 15 mai 2016, prenant effet le 16 mai 2016 avant que la société Chays Frères ne souhaite le résilier le 12 décembre 2017 avec un préavis de moins de 20 jours. Par lettre recommandée du 26 décembre 2017, la société AGCO Distribution a exigé un préavis de 18 mois « compte tenu de l’ancienneté des relations et de l’ensemble des critères en la matière ». La lettre n’a reçu aucune réponse de la société Chays Frères.

La Cour d’appel de Paris valide la durée de préavis de 18 mois figurant dans la contreproposition du partenaire évincé et qui n’avait pas reçu de réponse, en tenant compte de la relation informelle d’une vingtaine d’années qui avait précédé la conclusion d’un contrat écrit. La cour souligne que « compte tenu de l’ancienneté des relations », la société AGCO Distribution, qui indique avoir mis en place dans ses réseaux de concessionnaires, pour ses marques, un mode de distribution qui est l’exclusivité, était bien fondée à demander un préavis suffisamment long pour lui permettre de retrouver un autre concessionnaire. Le préavis de 18 mois qu’elle a proposé est conforme aux dispositions de l’article L. 442-1, II du code du commerce, comme devant s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son acticité ou trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Le silence gardé après cette proposition valait, selon la cour, acceptation tacite du préavis demandé.

Pour allonger la durée du préavis accordé, le distributeur faisait valoir que six mois avant l’expiration de ce préavis, les parties avaient signé une nouvelle convention écrite, qui entraînait la création d’un nouveau contrat à durée déterminée d’un an. La cour rejette cette prétention. Selon elle, la signature de cette convention n’avait d’autre objet que de respecter les conditions légales de l’article L. 441-3 et ne concernait que les conditions de vente des produits en cause, notamment la détermination du prix de vente des produits du concédant au concessionnaire, incluant les rabais, ristournes, primes et autres éléments. Elle ne constituait donc qu’un accessoire au contrat de concessionnaire exclusif auquel elle se référait et en aucune manière un nouveau contrat de distribution devant prendre fin six mois après l’expiration du préavis.

La solution dégagée par la Cour d’appel de Paris dans ses deux décisions apparait parfaitement conforme aux canons traditionnels d’interprétation tant littérale que téléologique. En effet, rien dans le texte l’article L. 442-1 II n’indique que les relations commerciales établies se limiteraient aux relations contractuelles. De surcroit, dès lors que l’objectif poursuivi par la protection des relations commerciales établies est de permettre aux partenaires « d’anticiper pour un avenir, même bref, une certaine pérennité du flux d’affaires » ainsi que la « réorganisation du partenaire évincé » en cas de rupture, il n’existe aucune raison de limiter cette protection aux relations contractuelles. En effet, le maintien d’une certaine prévisibilité des comportements est nécessaire à la planification de l’ensemble des relations commerciales établies et non simplement des relations contractuelles.

Décision n° 22-01703

Décision n° 21-11932