Depuis de longues années, le débat fait rage aussi bien au sein de la communauté juridique française que dans les prétoires. Le pouvoir de négociation de l’agent commercial implique-t-il une marge de manœuvre sur les tarifs du mandant ?

La réponse à cette question est loin de présenter un intérêt purement théorique : elle revêt au contraire une portée majeure en termes financiers. En effet, faute de pouvoir de négociation, le mandataire ne peut revendiquer la qualité d’agent commercial, à laquelle est attachée une indemnité de rupture statutaire, que la jurisprudence chiffre quasi-mécaniquement à deux années de commissions !

On comprend ainsi que dans de nombreux litiges consécutifs à la rupture du contrat d’agence, le critère du pouvoir de négociation soit rapidement devenu le nerf de la guerre.

Or, sur la question, la jurisprudence apparaît à l’heure actuelle très divisée, alors même que la Cour de cassation a posé en principe que le pouvoir de négociation implique le pouvoir de modifier les tarifs du mandant (Cass. com., 15 janv. 2008, LawLex08106 ; 19 juin 2019, LawLex19836), d’adapter les conditions, notamment tarifaires, des contrats qu’il propose à ses clients (Cass. com., 27 oct. 2009, LawLex093258), d’accorder des remises (Cass. com., 20 janv. 2015, LawLex15104 ; 13 sept. 2017, LawLex171444) ou de « disposer effectivement d’une marge de manoeuvre sur une partie au moins de l’opération économique » (Cass. com., 9 déc. 2014, LawLex141455).

En effet, si les juges du fond, dans l’ensemble, se sont alignés sur la position de la Haute juridiction (Montpellier, 5 nov. 2019, LawLex191357 ; Paris, 5-5, 17 oct. 2019, LawLex191235 ; 7 nov. 2019, LawLex191371 ; 16 janv. 2020, LawLex2061), certaines décisions, soutenues par une doctrine très critique (V. not. LELOUP, AJCE, 2014, 246 et Gaz. Pal., 26-30 août 2015, 50 ; GRIMALDI, RDC, 2015, 539), estiment que le pouvoir de négociation de l’agent ne se réduit pas à la seule faculté de fixer ou modifier les prix arrêtés par le mandant sans l’accord préalable de ce dernier, mais comprend l’ensemble des actions à mener pour l’obtention de commandes (Toulouse, 28 févr. 2018, LawLex18370 ; Lyon, 3 mars 2018, LawLex18410 ; Paris, 5-10, 3 févr. 2020, LawLex20232).

Face à ces hésitations, le tribunal de commerce de Paris a donc décidé de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle (T. com. Paris, 19 déc. 2018, LawLex19220), à laquelle celle-ci répond aujourd’hui dans un arrêt qui fera date, dans la mesure où il précise que la notion de négociation constitue « une notion autonome du droit de l’Union qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière ». La solution donnée s’appliquera donc dans tous les Etats membres, alors même que sur d’autres points, la directive n’est pas d’harmonisation maximale.

Selon la Cour, si la directive 86/653 ne définit pas le terme « négocier », le fait que l’acte de négociation doive porter sur « la vente ou l’achat de marchandises pour le commettant » met en évidence la volonté du législateur de l’Union que cet acte ait comme objectif la conclusion de contrats de vente ou d’achat pour le compte du commettant.

Elle poursuit en précisant que « les tâches principales d’un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants ». Or, l’accomplissement de ces tâches peut être assuré par l’agent commercial au moyen d’actions d’information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l’opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, sans que l’agent commercial dispose de la faculté de modifier les prix de ces marchandises.

Par ailleurs, la Cour souligne qu’une interprétation restrictive de la notion de négociation, dans le sens qu’une personne doit nécessairement disposer, pour bénéficier de la protection de cette directive, de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant, irait à l’encontre des objectifs de la directive qui visent à assurer une protection renforcée des agents commerciaux. Et de fait, la Cour pointe précisément le risque que les mandants se soustraient à l’obligation d’indemnisation de l’agent en cas de cessation du contrat, en excluant la faculté de modifier les tarifs.

La Cour en conclut donc « qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial ».

Cette solution, qui s’imposera aux juridictions nationales, et tout particulièrement à la France, où est située la juridiction de renvoi, aura donc de lourdes conséquences en droit français. Remettant directement en cause la solution retenue par la Cour de cassation, elle facilitera la reconnaissance du statut d’agent commercial et favorisera les prétentions au bénéfice de l’indemnité biennale, rendant le recours à des agents commerciaux de moins en moins attractif pour les mandants.