En 2008, une filiale d’Engie saisit le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par les sociétés EDF, EDF ENR et EDF ENR Solaire, dans le secteur des services destinés à la production d’électricité photovoltaïque par les particuliers qui seront successivement établies par l’Autorité de la concurrence (V. AdlC, 8 avr. 2009, LawLex091334, ayant prononcé des injonctions à l’encontre d’EDF en vue faire cesser lesdites pratiques, susceptibles d’être abusives ; 17 déc. 2013, LawLex141900, ayant condamné lesdites pratiques à hauteur de 13, 8 millions d’euro), la Cour d’appel de Paris (Paris, 21 mai 2015, LawLex15657) et la Cour de cassation (27 sept. 2017, LawLex171587).
Prenant appui sur ces décisions, dix entreprises du secteur ont assigné l’opérateur historique et ses filiales, devant le Tribunal de commerce de Paris, en réparation du préjudice qu’elles auraient subi du fait des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre. Le tribunal ayant déclaré leur action prescrite, ces sociétés ont interjeté appel de son jugement.
Sur la prescription, les appelantes soutenaient que le tribunal avait fixé à tort le point de départ de la prescription quinquennale au jour du prononcé des mesures conservatoires. Subsidiairement, elles faisaient valoir que même en retenant cette date comme point de départ de la prescription, l’action ne serait pas prescrite. En l’espèce, la Cour d’appel de Paris valide cette argumentation : les décisions de mesures conservatoires sont temporaires et ne font qu’établir qu’une pratique « est susceptible » d’enfreindre le droit de la concurrence ; elles visent essentiellement à mettre fin de manière urgente à des atteintes à la concurrence, et non à sanctionner une pratique factuellement et juridiquement établie ; de plus, elles renvoient l’examen de certains griefs à l’instruction, qui, finalement, ne seront pas retenus dans la décision au fond. En d’autres termes, moins détaillées dans leur motivation, susceptibles d’être remises en cause au fond, les décisions de mesures conservatoires ne peuvent constituer la base d’une connaissance des pratiques par les victimes de nature à leur permettre d’agir en réparation.
Dès lors, le délai de prescription de l’action en réparation des appelantes doit courir à partir de la décision de condamnation au fond de l’Autorité, et non de la décision de mesures conservatoires en date du 8 avril 2009. Et, quand bien même cette dernière date serait retenue, l’action en réparation litigieuse, exercée le 11 décembre 2014, n’en serait pas pour autant prescrite : du fait de l’application immédiate de la loi Hamon, dont une disposition prévoit que l’ouverture d’une procédure devant l’Autorité interrompt la prescription, le délai aurait cessé de courir depuis la saisine de l’Autorité jusqu’à sa décision en date du 17 décembre 2013, puis de l’appel formé à son encontre, jusqu’à l’arrêt, devenu définitif, de la Cour d’appel de Paris du 21 mai 2015. Sur le fond, les appelantes demandaient réparation, pour la période 2009 à 2014, des pratiques commises entre 2007 et avril 2009 par EDF, qui ont été sanctionnées par l’Autorité et ont pris fin lors des mesures conservatoires en avril 2009. Selon elles, les pratiques se seraient poursuivies sous d’autre formes (utilisation de la notoriété du groupe ; dénigrement ; entretien artificiel d’une activité déficitaire). Sur l’existence de fautes civiles, la Cour relève que l’arrêt du 21 mai 2015 a définitivement établi deux abus de position dominante qui ont consisté, pour EDF, à user de moyens matériels et immatériels ainsi que d’informations privilégiées pour avantager sa filiale, chaque comportement constituant une faute civile. En revanche, elle écarte les nouvelles pratiques alléguées, en l’absence de continuité établie entre celles-ci et les abus constatés. Sur le lien de causalité, elle n’exclut pas que les pratiques d’éviction d’EDF, sanctionnées par l’Autorité pour la période de 2007 à avril 2009, aient pu avoir des effets structurants à moyen terme sur les plaignants, même après leur cessation. Toutefois, le lien de causalité entre ces abus et les éventuels dommages subis par les concurrents après leur cessation, « qui relève d’un niveau d’évidence plus complexe à établir que les dommages contemporains des pratiques », fait défaut en l’espèce : les nouvelles pratiques reprochées à EDF ne constituent pas le prolongement des abus sanctionnés, aucune continuité n’étant établie sur la période d’indemnisation sollicitée de 2009 à 2014 et quatre des appelantes étant entrées sur le marché photovoltaïque après la période infractionnelle retenue ou à la toute fin de celle-ci. En outre, les appelantes qui prétendent avoir subi, plus d’un an après la cessation des comportements abusifs, une baisse du taux de conversion – à savoir du nombre de prospects concluant un contrat avec elles après avoir consulté leurs offres – et demandent réparation pour la perte des bénéfices futurs sur une période de quatre années alors même que le secteur a traversé à compter de 2010 une crise sans précédent qui a compromis la rentabilité de ses acteurs, ne versent aux débats aucun élément permettant d’attester que les pratiques sanctionnées auraient continué d’influencer les prospects après leur arrêt.