La loi Gayssot du 6 février 1998 provoque régulièrement des problèmes pour les entreprises.

Sur la base de l’article L. 132-8 du Code de commerce qui a codifié ses dispositions, le transporteur voiturier peut demander le paiement de ses prestations à l’expéditeur ou au destinataire de la marchandise, dans le cas où son cocontractant direct ne l’a pas rémunéré. Les transporteurs peuvent notamment se retourner contre le destinataire ou l’expéditeur en cas d’incident de paiement du commissionnaire. Et le client qui a déjà payé l’entreprise chargée du transport risque d’avoir à payer deux fois.

Le législateur a privilégié les intérêts des transporteurs, quitte à sacrifier les intérêts de l’expéditeur ou du destinataire en les exposant à un double paiement.

Cette difficulté est bien connue et a fait l’objet de nombreuses questions parlementaires (QE n°06 404, JO Sénat du 20 mars 2003, page 935, http://www.senat.fr/questions/base/2003/qSEQ030306404.html; QE n°45 806, JO AN, 21 juillet 2009, page 7273, http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-45806QE.htm) attirant l’attention du gouvernement sur les aberrations résultant de l’application de ce texte. Le gouvernement s’est toujours refusé à modifier la réglementation, renvoyant à prendre certaines précautions qui ne sont pas nécessairement efficaces ou se contentant de prendre note des difficultés rencontrées, en parlant d’une réflexion à mener. Bref, on range la poussière sous le tapis.

La solution classique recommandée par le secrétaire d’Etat aux transports consistait pour les chargeurs à demander par contrat au commissionnaire de transport qu’il joigne à sa facture un justificatif de paiement de ses sous-traitants ou à ses transporteurs directs de ne pas sous-traiter et de ne les payer qu’au vu d’une attestation de non sous-traitance du contrat de transport.

Ces précautions ne permettaient pas d’éliminer le risque mais au moins de le limiter.

La situation s’est encore aggravée avec la loi Hamon de 2014, telle que complétée par la loi Pinel qui l’a rendue applicable dans le domaine du transport.

Ce texte dirigiste, aux multiples effets économiques pervers, a notamment renforcé les sanctions du non-respect des délais de paiement en assortissant la convention de délais supérieurs aux plafonds ainsi que le dépassement dans les faits des délais plafonds de lourdes sanctions administratives mises en œuvre directement par la DGCCRF.

Les transporteurs et commissionnaires de transport doivent être payés à 30 jours. Le transporteur bénéficie du même délai pour payer son sous-traitant de même que le commissionnaire pour assurer le paiement du transporteur. Dans ces conditions, le client aura par définition du mal à obtenir du commissionnaire (ou du transporteur selon le cas) la preuve du paiement du prestataire transport et, s’il ne veut pas être soumis à un risque de double paiement, est conduit à dépasser la date d’échéance convenue pour procéder au règlement de façon sécurisée.

Mais dans ce cas, il s’expose à une amende administrative depuis la loi Pinel.

En d’autres termes, le client, du fait de la loi, est conduit soit à s’exposer à un risque de double paiement, soit au paiement d’une amende administrative en cas de contrôle.

Que faire ? Compte tenu du parti pris législatif en faveur des transporteurs, le problème n’a pas  de solution et ne peut donner lieu qu’à des palliatifs, nécessairement imparfaits.

L’entreprise cliente a tout intérêt à contractualiser les conditions de transports qu’elle organise en prévoyant dans les CGA et les contrats une obligation de fournir une attestation de paiement des transporteurs à recevoir x jours avant l’échéance de paiement.

Si le transporteur ou le commissionnaire ne respectent pas ces obligations, le client pourrait soutenir que la faute contractuelle justifie un refus de paiement et qu’il est en droit de ne pas respecter les délais de paiement légaux, sans garantie néanmoins que l’argument soit accepté par l’administration en cas de contrôle et par le juge administratif en cas de recours.

Les entreprises clientes n’ont finalement d’autre choix que de mettre en balance les deux risques, de double paiement et de possibilité d’une amende si leurs arguments ne sont pas entendus.

Il est en tout cas particulièrement anormal qu’une loi place les entreprises françaises dans un tel dilemme et une telle insécurité juridique.