Depuis son introduction en droit français par la loi Galland du 1er juillet 1996, le droit de la rupture de relations commerciales établies s’est développé de façon régulière et donne aujourd’hui lieu à plusieurs centaines de décisions par an. Ce développement a conduit à une rigidification générale des relations commerciales en France. Il n’est plus possible de mettre fin à la moindre relation commerciale sans respecter un préavis tenant compte de la durée de la relation. Même si le partenaire avec lequel l’entreprise a initialement choisi de travailler n’est plus très réactif ou que ses prestations sont devenues moins compétitives, seule une faute grave d’une particulière gravité (ou un cas de force majeure) permettent de résilier la relation sans préavis.

Cette situation conduit à une perte d’efficience généralisée et de compétitivité de l’économie française, à une insécurité juridique croissante et à une multiplication des contentieux. L’Administration, saisie de la situation, en a tenu compte et proposé, à l’occasion de la réforme du droit de la négociation commerciale par la loi EGalim, de mettre fin aux effets pervers du droit de la rupture de la relation commerciale par un encadrement plus rigoureux de son régime juridique. Il s’agit d’une première étape qui demeure perfectible car si le nouveau régime apporte des améliorations au droit positif, il ne va pas assez loin et comporte de multiples nids à contentieux.

  1. Un champ d’application élargi. La substitution du nouvel article L. 442-1, II du Code de commerce à compter du 26 avril 2019 à l’article L. 442-6, I, 5° pourrait se traduite par un élargissement du champ d’application de la prohibition. S’agissant de l’auteur de la rupture de relations, on passe en effet de « tout producteur, commerçant, industriel » ou artisan à « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ». La référence très large aux services autorise une conception étendue. En revanche, alors que la soumission à un déséquilibre significatif et l’avantage sans contrepartie visent désormais « l’autre partie », le droit de la rupture de relations sans préavis suffisant concerne toujours une « relation commerciale établie », ce qui devrait continuer à exclure les professionnels n’ayant pas le droit d’effectuer des actes de commerce.
  2. Une exemption de responsabilité en cas d’octroi d’un préavis de 18 mois. L’auteur d’une rupture de relations commerciales établies ne pourra pas voir sa responsabilité engagée au titre de l’article L. 442-1, II du chef d’une durée insuffisante de préavis, si un préavis d’au moins 18 mois a été accordé. La formule apparaît peu opportune. Le projet initial prévoyait un plafond de préavis de 12 mois qui aurait été beaucoup plus clair. L’exemption de responsabilité constitue d’abord un nid à contentieux. Les plaideurs feront valoir qu’elle n’a pas lieu de s’appliquer si aucun préavis n’a été accordé, par exemple en cas de baisse significative et délibérée du chiffre d’affaires ou prétendront qu’en cas de préavis inférieur à 18 mois, une condamnation à un préavis supérieur, par exemple de 24 à 36 mois, demeure tout à fait possible. Quid également d’un préavis de 18 mois à compter de l’envoi du courrier mais dont la réception effectuée par LRAR serait postérieure d’une à deux semaines ? Cette disposition représente une source inépuisable de contentieux alors que la nouvelle disposition avait précisément pour objet de limiter les procédures judiciaires. Elle risque également d’inciter à un allongement du préavis à 18 mois afin d’éviter le risque qu’en cas d’octroi d’un préavis inférieur, un préavis supérieur à 18 mois puisse finalement être obtenu. De toute façon, ce délai apparaît trop élevé. Dès lors que le préavis est destiné à assurer la reconversion de l’entreprise, si celle-ci ne parvient pas à trouver des solutions de substitution en 12 mois, elle n’y parviendra pas plus en 18.
  3. La règle du doublement du préavis en cas de MDD est supprimée. La règle du doublement du préavis en cas de marque de distributeur ou de mise en concurrence par enchères à distance ne s’impose plus aux parties.
  4. L’encadrement du droit de la rupture de relations commerciales établies demeure trop minimaliste. Outre la longueur du préavis autorisant une exemption de responsabilité, de multiples défauts de fond subsistent. L’appréciation jurisprudentielle de la durée du préavis à effectuer ab initio, au moment de l’envoi de la lettre de résiliation, n’est pas remise en cause. Elle conduit à écarter tout événement postérieur, et notamment la reconversion du partenaire. En pratique, la solution aboutit à indemniser des partenaires n’ayant subi aucun préjudice. La question de la marge, marge brute ou marge sur coûts variables ou coûts évités, qui divise encore la jurisprudence, n’est toujours pas réglée. Enfin, le texte demeure applicable pour des contrats, notamment de distribution, exécutés en-dehors du territoire français, cette application extraterritoriale entraînant un rejet généralisé du droit français dans les contrats internationaux.
  5. L’incertitude quant à l’application de la loi dans le temps. Aucune disposition spécifique de droit transitoire n’a été insérée dans le nouveau régime de la rupture de relations commerciales établies. La solution la plus pratique aurait consisté à prévoir que les résiliations prononcées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 avril 2019 demeurent soumises à l’article L. 442-6, I, 5° ainsi que les résiliations en cours à cette date faisant l’objet de contentieux et que les résiliations postérieures relèvent du texte nouveau. A défaut, la question de l’application de la loi dans le temps fera débat. Si l’application du droit nouveau aux résiliations prononcées à compter du 26 avril 2019 fait sens dans le cadre de relations franco-françaises dans lesquelles la responsabilité est qualifiée de délictuelle, elle sera contestée dans les rapports internationaux où elle reçoit plutôt une qualification contractuelle alors que le nouveau droit des pratiques abusives fait en outre l’objet de sanctions plus sévères qui s’opposent en principe à une application à des contrats signés précédemment.