Les changements à venir du droit commun de la négociation commerciale à la suite  de la loi EGalim du 30 octobre 2018.

BercyLa loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », plus connue des professionnels sous l’appellation de loi EGa ou EGalim en référence aux Etats généraux de l’alimentation, vient d’être promulguée le 30 octobre 2018 (Loi n° 2018-938, JO 1er nov.). Comme l’indique son libellé, elle concerne principalement le secteur agricole et alimentaire. Dans ce domaine, elle renforce considérablement les obligations de contractualisation entre professionnels et prévoit des mesures destinées à protéger les revenus des agriculteurs.
Elle autorise le gouvernement à prendre par ordonnance dans les 4 mois de la publication de la loi, donc d’ici le 1er mars 2019, toute mesure pour prévoir pendant une période de 2 ans le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, revendus en l’état aux consommateurs. Pour ces mêmes produits, le gouvernement pourra également encadrer en valeur et en volume les opérations promotionnelles et définir les sanctions administratives qui permettront d’assurer l’effectivité de ces dispositions. La loi va jusqu’à interdire l’usage du terme « gratuit », dans la promotion par les opérateurs de vente d’un produit alimentaire. Il s’agit du volet le plus médiatique du texte qui a donné lieu à de multiples prises de position de la grande distribution qui le juge globalement inadapté et générateur d’inflation, alors que les industriels de l’agro-alimentaire critiquent surtout sa grande complexité.
Le droit commun de la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs sera également impacté par la loi EGalim. Il est dès lors important de se préparer aux changements à venir et de participer le cas échéant à leur mise en œuvre. En effet, l’article 17 de la loi autorise le gouvernement à réformer de façon très large le Titre IV du Livre IV du Code de commerce, c’est-à-dire tout le droit commun de la transparence tarifaire (facturation, CGV, conventions uniques) et des pratiques restrictives et abusives.

1. Le risque d’aggravation du formalisme en matière de CGV et de conventions uniques.

Notre droit des CGV et des conventions uniques entre fournisseurs et distributeurs est déjà très lourd. L’ordonnance à venir ne simplifiera sans doute pas le formalisme actuel compte tenu de l’encadrement très rigide de la loi d’habilitation. Elle impose dans la convention unique de droit commun entre fournisseurs et distributeurs « la prise en compte des obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties afin de déterminer le prix », c’est-à-dire, selon les travaux parlementaires, « que les contreparties, accordées par le distributeur aux avantages financiers consentis par le fournisseur soient effectives ». La nécessité de justifier d’une contrepartie pour chaque réduction de prix, déjà actée par l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, est ainsi généralisée. La loi impose également d’intégrer un « plan d’affaires » et le « chiffre d’affaires prévisionnel », deux contraintes difficiles à remplir dans la vie des affaires et qui donneront sans doute lieu à contentieux si les ambitions mentionnées dans la convention ne sont pas remplies. Au-delà de ce formalisme renforcé, le gouvernement est autorisé à modifier les dispositions sur les dates d’envoi des CGV et par voie de conséquence celles concernant les dates de signature des conventions des articles L. 441-7 et L. 441-7-1, ce qui risque de conduire en pratique à des difficultés de gestion de dates différentes en matière d’envoi des CGV et de conclusion des conventions. De même, le régime des avenants sera simplifié et précisé pour la convention de droit commun et la convention grossistes, sans que l’on sache ce qu’il faut entendre par là. Il aurait sans doute été préférable, comme l’avait suggéré l’AFEC, de faire du régime simplifié de la convention grossistes le droit commun et de réserver la convention formaliste de l’article L. 441-7 aux relations entre la grande distribution et ses fournisseurs.

2. Une réforme technique à venir du droit de la facturation.

La loi autorise le gouvernement à clarifier les règles de facturation en les harmonisant avec les dispositions du CGI et à modifier le régime des sanctions. Il est probable que les sanctions pénales actuelles en matière de facturation seront remplacées par des sanctions administratives et que les divergences entre le droit fiscal et le droit commercial en matière d’émission des factures (cf. CEPC, avis n° 17-5 du 2 mars 2017) seront corrigées.

3. Une possibilité de réforme plus ambitieuse du droit des pratiques restrictives et abusives.

3.1. L’interdiction per se des prix imposés de l’article L. 442-5.

L’article 17 de la loi EGalim autorise de façon très large le gouvernement à réorganiser le Titre IV du Livre IV du Code de commerce et à clarifier ses dispositions en supprimant notamment les dispositions devenues sans objet. Espérons que l’ordonnance à venir abrogera enfin l’interdiction per se des prix minimum prévue par l’article L. 442-5 du Code de commerce. En effet, cette disposition est quasiment tombée en désuétude et condamne de façon automatique toute imposition de prix là où le droit des pratiques anticoncurrentielles recourt à un test beaucoup plus sophistiqué, même s’il demeure imparfait.

3.2. Le sort des pratiques abusives de l’article L. 442-6.

La marge de manœuvre du gouvernement paraît également très large quant au droit des pratiques abusives de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Il est vraisemblable que l’ensemble de l’article L. 442-6 sera réorganisé et simplifié. La doctrine a proposé de faire d’une règle générale sur le déséquilibre significatif le pivot du droit des pratiques abusives dont les autres dispositions de l’article L. 442-6 ne constitueraient que des exemples d’application, à côté d’une réglementation autonome du droit de la rupture de relations commerciales établies. Cette proposition est séduisante mais ne pourra sans doute pas couvrir toutes les hypothèses actuelles de l’article L. 442-6. Certaines dispositions sont sans lien avec la soumission à un déséquilibre, comme l’interdiction de la participation directe ou indirecte à la violation d’une interdiction de revente hors réseau qui mérite d’être conservée dans l’intérêt de la protection légitime des réseaux de distribution. D’autres sont relatives à des comportements abusifs surtout présents lors d’une entrée en relation qu’il paraît difficile de subordonner à l’exigence préalable d’un partenariat commercial comme le fait de conditionner un paiement préalable à une passation de commandes sans engagement de volume.

3.3. Le régime de la rupture de relations commerciales établies.

Après 20 ans d’application, le droit de la rupture de relations commerciales établies apparaît aujourd’hui très incohérent, à la fois facteur d’inefficience économique et d’insécurité juridique. Les préavis sont souvent très longs dans toutes les relations commerciales, ce qui empêche les adaptations pourtant nécessaires pour faire face à la demande et à la concurrence des entreprises étrangères. L’interprétation actuelle de l’article L. 442-6, I, 5° conduit à accorder d’importantes indemnités à des entreprises qui se sont reconverties et n’ont subi aucun préjudice ou au contraire à priver de toute indemnité des entreprises en relation depuis 30 ans avec un donneur d’ordre sous prétexte que les relations sont organisées depuis l’origine par appels d’offres. Il serait souhaitable de plafonner le délai de préavis par exemple à un an, de limiter l’indemnisation au préjudice effectif tenant compte de la reconversion du partenaire résilié et de limiter la réparation du préjudice à la marge déduction faite des frais évités en l’absence de frais de commercialisation pendant le préavis non effectué.