Les conditions d’exemption des accords verticaux entre fournisseurs et distributeurs ou acheteurs sont définies par le règlement 330/2010 de la Commission.

Ce dernier exempte de plein droit tous les accords qui ne contiennent pas certaines restrictions de concurrence (clauses noires et rouges), dès lors que le fournisseur et l’acheteur détiennent moins de 30 % de parts de marché. Le règlement général actuel et les règlements antérieurs ont structuré l’ensemble des contrats de distribution, d’approvisionnement et de fourniture en Europe. Tous les opérateurs économiques se sont efforcés de remplir ses conditions afin de bénéficier de la zone de sécurité (safe harbor) résultant de l’exemption automatique de leurs accords. Même lorsque le droit européen de la concurrence n’est pas applicable, le règlement est utilisé à titre de guide d’analyse utile dans l’application du droit national. Le règlement 330/2010 arrivera à expiration le 31 mai 2022.

La Commission a lancé une consultation le 3 octobre 2018 en vue de son évaluation. Elle s’interroge sur son efficacité (les objectifs ont-ils été atteints ?), sa rentabilité (les coûts encourus ont-ils été proportionnés aux bénéfices ?), sa pertinence (l’action de l’UE est-elle encore nécessaire ?), sa cohérence (avec d’autres réglementations) et la valeur ajoutée de l’UE. Après une consultation de brève durée sur les principes généraux de la roadmap rendue publique le 6 novembre 2018, à laquelle seules 24 contributions ont été apportées pour toute l’Europe (dont celle de notre cabinet), la Commission a diffusé un important questionnaire pour lequel elle attend des réponses jusqu’au 27 mai 2019. Compte tenu du caractère structurant du règlement, notamment pour l’ensemble des réseaux de distribution, il est indispensable de connaître les enjeux de sa révision et vivement conseillé de faire valoir son point de vue, les absents au débat ayant une grande probabilité de ne pas voir leurs besoins pris en considération.

1. La nécessité du renouvellement d’un règlement d’exemption. Les règlements d’exemption et les lignes directrices qui les accompagnent constituent de précieux outils pour les entreprises. Ils apportent une sécurité juridique, évitent des débats inutiles et facilitent l’auto-évaluation des entreprises. Le règlement général restrictions verticales est sans doute le plus important. Il a certes besoin d’être amendé sur de nombreux points, mais il est essentiel pour les entreprises qu’il soit renouvelé.

2. Eviter la pollution du règlement par des mesures de protectionnisme contractuel. Certaines organisations professionnelles, comme le CECRA ou le CNPA, représentant les concessionnaires automobiles, sont immédiatement montées au créneau pour réclamer l’incorporation au futur règlement de mesures de protection en faveur des distributeurs. Ces revendications corporatistes doivent impérativement être écartées. L’Europe, confrontée à une concurrence sans précédent, ne trouvera pas son salut dans des mesures protectionnistes alors qu’elle doit redoubler d’efficience et de compétitivité. C’est aussi vouloir ignorer les règles de base du droit de la concurrence que de vouloir intégrer des mécanismes de protection de tel ou tel contractant dans un texte de concurrence. Le droit de la concurrence a pour objet de promouvoir la concurrence, pas de protéger telle ou telle catégorie de concurrents.

3. Réviser les seuils d’exemption. Les seuils d’exemption sont actuellement fixés à 30 %. Les lignes directrices automobiles comprennent une tolérance pour les accords de distribution sélective qualitative et quantitative jusqu’à 40 %. Dès lors que les autorités de concurrence continuent généralement d’adopter une vision très restrictive des marchés et ont beaucoup de mal à s’extraire de la notion de marché national alors que les enjeux sont de plus en plus européens ou mondiaux, il paraît indispensable de porter les seuils d’exemption à 40 %, au moins pour la distribution sélective qualitative et quantitative, sous peine de pénaliser fortement les entreprises européennes dans la concurrence mondiale.

4. Moderniser le règlement et les lignes directrices sur la vente par Internet en respectant le principe de neutralité à l’égard des canaux de distribution. Les dispositions des lignes directrices sur les ventes par internet sont devenues obsolètes. Elles doivent être réécrites en tenant compte notamment de la jurisprudence Coty. Il est indispensable d’acter dans les lignes directrices la faculté d’interdire aux distributeurs sélectifs de recourir aux places de marché, une telle interdiction ne constituant ni une restriction de clientèle, ni une restriction de ventes et n’étant pas limitée aux seuls produits de luxe, contrairement à l’interprétation erronée du Bundeskartellamt (autorité allemande de concurrence). La rédaction des lignes directrices en matière de vente par Internet devrait être guidée par un principe de neutralité à l’égard des canaux de distribution. Le droit de la concurrence n’a pas pour objet de planifier les marchés ni d’imposer aux entreprises des choix de régulation : l’inscription dans le règlement et les lignes directrices d’un tel principe apparaît essentiel compte tenu de la préférence affichée du Bundeskartellamt en faveur des ventes par Internet au détriment des ventes en magasins physiques. De nombreux débats interviendront sur ses modalités d’application et un consensus devra être trouvé. La subordination de la faculté de vente par Internet à la détention d’un magasin physique constitue une possibilité de solution car elle permet de trouver un équilibre entre canaux de distribution. Il est inutile d’aller trop loin en imposant un magasin physique par Etat membre. La détention d’un magasin physique par groupe d’entreprises au sein de l’Union paraît suffisante. Enfin, il semble indispensable, dans le respect du principe de neutralité, d’autoriser la rémunération des services spécifiques rendus soit par les magasins physiques, soit par les sites Internet, la rémunération des services spécifiques offerts par les seuls magasins physiques n’étant pas présumée constituer un prix dual contrairement à ce qu’affirme le Bundeskartellamt.

5. Renforcer les armes juridiques pour protéger le réseau. Actuellement, la distribution sélective est considérée à juste titre comme ne tombant même pas sous le coup du droit de la concurrence si elle est purement qualitative et en tout état de cause comme exemptée de plein droit en-dessous de seuils d’exemption. Cependant, en pratique, les réseaux de distribution sélective sont très peu protégés contre les reventes hors réseau qui en sont la négation. Il serait important que les lignes directrices rappellent la légitimité de la protection des réseaux sélectifs contre les revendeurs hors réseau ainsi que celle des règles de droit national édictées en vue de rendre cette protection effective, à l’instar de l’actuel article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce.

6. Réviser la répression absolue des prix imposés. La pratique des autorités de concurrence va actuellement dans le sens d’une répression quasi absolue, une simple politique de relevé de prix étant parfois considérée comme suffisante pour compléter le triple test comme mesure de police des prix, alors que les lignes directrices semblaient marquer une ouverture. Il convient de mettre un coup d’arrêt à cette régulation excessive qui ne correspond pas à la jurisprudence européenne (TPICE, 13 janv. 2004, LawLex0470).