La longueur des délais de paiement, plus importante en France que dans la plupart des autres pays européens, pèse sur la compétitivité des entreprises, notamment des PME, fragilisées en cas de faillite d’un acteur de la chaîne de production ou de distribution. Aussi, au cours de ces dernières années, le législateur a-t-il souvent essayé de les réduire.

La loi LME a fixé un délai maximum de droit commun de 60 jours date de facture ou de 45 jours fin de mois. Pour renforcer l’efficacité du dispositif, la loi Hamon a institué des sanctions administratives. Enfin, la loi Macron a rendu le délai de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture le délai de principe, et celui de 45 jours fin de mois, l’exception, applicable seulement si les parties l’ont expressément prévu au contrat et s’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier. Un certain nombre de grands groupes ont récemment défrayé la chronique en s’abstenant délibérément de payer leurs fournisseurs ou en les payant très en retard afin de les forcer à leur consentir d’importantes baisses de prix. Les sanctions administratives de 75 000 euro pour les personnes physiques et de 375 000 euro pour les personnes morales se révélaient manifestement dérisoires face aux centaines de millions de trésorerie engrangées et aux substantielles baisses de prix obtenues sous la contrainte. Ces pratiques abusives et condamnables d’un petit nombre ont conduit le législateur à durcir la sanction des retards de paiement dans le cadre de la loi Sapin 2, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 11 décembre 2016. S’il était justifié de rendre les sanctions plus efficientes pour mettre fin à l’impunité des groupes adoptant des politiques délibérées de non-paiements massifs à l’égard de leurs fournisseurs, le législateur ne s’est-il pas cependant fourvoyé dans l’excès inverse, en instituant des sanctions manifestement disproportionnées.

1. L’augmentation du montant des sanctions administratives. La loi Sapin 2 a d’abord renforcé le niveau des sanctions en portant le montant maximal de l’amende encourue par les personnes morales de 375 000 à 2 000 000 euro. La loi prévoit également la publication systématique des sanctions prononcées (« name and shame »), jusqu’alors facultative. Cette augmentation du niveau des sanctions, non dramatique en elle-même, le devient en raison de la suppression du plafond en cas de cumul des amendes administratives.

2. La suppression du plafond en cas de cumul des amendes administratives. L’article L. 465-2 VII du Code de commerce dispose désormais que « lorsque, à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement ». Il s’agit d’un virage à 180° dans le régime des sanctions. Jusqu’à présent, ce même article limitait en effet le cumul en précisant que « lorsque, à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement, dans la limite du maximum légal le plus élevé ». Le régime retenu jusqu’à présent était identique à celui applicable en matière d’amendes correctionnelles pour lesquelles l’article 132-4 du Code pénal prévoit une limitation des peines pouvant être prononcées en cas d’infractions en concours, qui ne joue pas en matière contraventionnelle (art. 132-7). La nouvelle rédaction de l’article L. 465-2 VII supprime donc cette limite traditionnelle s’agissant des amendes administratives applicables aux infractions aux dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce. Le Conseil d’Etat, dans son avis 391-262, rendu en séance du 24 mars 2016, a estimé que ni l’augmentation du plafond d’amende, ni la suppression du cumul des amendes, n’étaient manifestement disproportionnées, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur en matière de fixation des sanctions. Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le nouveau montant de l’amende, mais étrangement, n’a semble-t-il pas été interrogé sur le déplafonnement des sanctions (Décis. 2016-741 DC du 8 déc. 2016, pts 89 s.)

3. Le régime effarant résultant de la loi Sapin 2. L’Administration pourra prononcer autant d’amendes qu’il y a d’infractions aux dispositions relatives notamment aux délais de paiement, une infraction pouvant notamment être constituée par le non-respect des délais maximum de 60 jours date de facture ou 45 jours fin de mois. Chaque facture non réglée à l’échéance expose donc les entreprises à une amende de 2 millions d’euro. Même s’il s’agit d’un montant maximum, le cumul des peines pourra aboutir à des condamnations astronomiques. Ainsi, une entreprise qui aura payé 100 factures en retard sera théoriquement exposée à un plafond de 200 millions d’euro. Dans un Etat de droit, l’exposition à des peines de tels montants, totalement déconnectées de la réalité, inadmissible, ouvre la voie à des pratiques arbitraires de l’Administration et ne respecte pas le principe fondamental de nécessité des peines. Autant le régime antérieur, trop laxiste, permettait des abus, autant le droit actuel consacre des montants inacceptables : en droit économique, un nombre très élevé d’infractions peut venir en concours, puisqu’une entreprise peut traiter des milliers voire des dizaines de milliers de factures par an.

4. Quelle conduite adopter compte tenu des nouvelles dispositions de la loi Sapin 2 ? La loi ne comporte pas de dispositions transitoires particulières s’agissant des délais de paiement. Toute infraction (constituée notamment dès le dépassement du délai maximum prévu par les parties) postérieure au 11 décembre 2016 est donc soumise au nouveau montant d’amende et à la nouvelle règle du cumul des infractions en concours. En effet, le principe de la non-rétroactivité des sanctions pénales plus sévères semble pouvoir s’appliquer aux amendes administratives dont la nature est comparable à celle des amendes pénales (cf. en ce sens, note de la DGCCRF 2014-185 d’octobre 2014 suite à l’introduction de sanctions administratives par la loi Hamon). Si l’on peut espérer que l’Administration utilisera raisonnablement les nouvelles facultés que lui offre la loi Sapin 2, une application même modérée conduira néanmoins à des montants disproportionnés en cas de cumul d’infractions. Les entreprises et leur conseil seront donc particulièrement vigilants quant à la stipulation des délais de paiement et quant au règlement à l’échéance des factures, sous peine d’être désormais exposés à des sanctions inouïes.