La cour d’appel réduit fortement les amendes dans l’affaire du jambon

L’Autorité de la concurrence (ADLC, 16 juillet 2020, n° 20-D-09) a infligé des sanctions envers 12 entreprises du secteur du jambon et de la charcuterie pour un montant total de 93 millions d’euros. Ces entreprises ont été condamnées pour avoir coordonné selon l’ADLC leur position lors des négociations avec les abatteurs et s’être entendues sur les hausses de prix des produits de charcuterie pratiquées auprès de la grande distribution pour leurs marques de distributeurs ou marques “premiers prix”. Les pratiques ont été révélées grâce à la procédure de clémence et ont concerné de nombreux produits de consommation courante. Les entreprises concernées ont alors interjeté appel contre cette décision.

La Cour d’appel de Paris (Paris, Pôle 5 ch. 7, 7 mars 2024, n° 20/13093) confirme partiellement, en l’espèce, la décision de l’Autorité. Elle reconnaît en effet les pratiques d’ententes pour la plupart des mises en cause, mais revoit fortement le montant des amendes à la baisse.

Des confirmations concernant la preuve de concertation

La cour rappelle, tout d’abord, l’opposabilité d’un document régulièrement saisi à l’entreprise qui en est l’auteur, à celle qui l’a reçu et à celles qui y sont mentionnées, ce document pouvant être utilisé comme preuve, par le rapprochement avec d’autres indices concordants, d’une concertation ou d’un échange d’informations entre concurrents. Elle confirme également que les déclarations d’un demandeur en clémence possèdent un degré de crédibilité élevé, lorsqu’elles sont étayées par des éléments matériels et corroborées par d’autres éléments extérieurs, notamment les courriels et notes saisis lors de l’opération de visite et saisie. Elle précise cependant à juste titre que la déclaration d’une entreprise poursuivie pour avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises mises en cause au même titre, ne constitue pas une preuve suffisante de la participation de ces dernières à l’infraction, sans être étayée par d’autres éléments de preuve. Enfin, elle confirme la position de l’Autorité de la concurrence qui avait estimé qu’un carnet peut valablement être retenu pour établir l’existence d’échanges bilatéraux qui y sont consignés. La cour considère qu’il constitue une preuve documentaire, contemporaine des pratiques, qui n’est pas dépourvue de toute valeur probante, même si sa rédaction n’a pas été systématiquement concomitante à tous les faits qui y sont notés.

Des échanges d’informations restrictifs par objet

La cour considère que lorsque les informations échangées entre concurrents (sur les volumes escomptés ou leurs positionnements face aux variations souhaitées par les abatteurs) revêtent un caractère particulièrement sensible pour mener les négociations avec les acheteurs industriels, le fonctionnement concret du marché, loin d’exclure toute possibilité de stratégie tarifaire commune entre charcutiers-salaisonniers, établit l’intérêt de ces échanges pour les participants, ceux-ci intervenant concomitamment aux négociations, en supprimant l’incertitude qui gouverne le jeu normal de la concurrence sur le marché concernant des composantes essentielles dans le processus de fixation des cours. En échangeant des informations sur les variations du prix d’achat hebdomadaire et en s’accordant pour défendre une position commune dans la négociation avec les abatteurs, les quatre entreprises concernées ont, selon la cour, imposé sur le marché français un mode d’organisation substituant une collusion entre les principaux salaisonniers au libre jeu de la concurrence. Elle rappelle ensuite que l’intérêt que présente une information pour le concurrent qui la reçoit est sans incidence sur l’existence d’échanges concernant des propositions de prix sur certains produits, pas plus que l’intérêt de celui qui la communique. Elle en conclut que la participation à des réunions secrètes et l’échange d’informations avec d’autres entreprises, permettant aux salaisonniers de se concerter, pour commercialiser des produits de charcuterie crus sous marque distributeur ou premiers prix, coordonner leurs demandes d’augmentation de prix auprès des enseignes de la grande distribution et organiser leurs réponses, notamment en prix, aux appels d’offres des enseignes de la grande distribution, qui leur permettent d’atténuer ou supprimer toute incertitude quant au caractère prévisible du comportement des concurrents, constituent des pratiques contraires à l’article 101 TFUE et L. 420-1 du Code de commerce. Elle écarte l’argument tiré par les salaisonniers du fort pouvoir de négociation des acheteurs. Elle considère au contraire que si le fort pouvoir de négociation auxquelles ils sont confrontés, en amont et en aval, peut avoir une incidence sur l’importance du dommage causé à l’économie, cette circonstance n’est pas de nature à justifier leurs concertations ni à exclure la caractérisation de l’infraction et sa qualification de restriction par objet.

Des sanctions revue à la baisse

Premièrement, la participation de plusieurs sociétés a été drastiquement revue à la baisse. Ainsi, des dizaines d’échanges n’ont pas été retenus par la cour, permettant de réduire le montant de leurs amendes.

Deuxièmement, la cour a été plus sensible que l’Autorité aux difficultés financières de certaines entreprises. L’exemple le plus marquant est celui de Cooperl, dont l’amende a été réduite de 35 millions d’euros à 13 millions d’euros. Toutefois, ce moyen n’a pas été retenu pour toutes les entreprises qui l’invoquaient, Fleury Michon et Coop n’ayant pas suffisamment établi “la situation financière qu’elles allèguent”.

Au total, le montant cumulé des amendes qui s’élevait initialement à 93 millions d’euros a été réduit à 39 millions.

Il est à noter que ce n’est pas la première fois qu’une amende de l’Autorité est réduite de manière significative en appel. On se souvient notamment de la décision Apple, dont l’amende avait été divisée par 3 devant la chambre 5-7. Il est donc légitime de se demander si le collège applique de manière proportionnée son propre communiqué de sanction, en particulier concernant les circonstances atténuantes.

 

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