La franchise Pizza Sprint et Domino’s devant la Cour de cassation

Arrêt Pizza Sprint – Com. 28 févr. 2024, FS-B, n° 22-10.314

Du caractère autonome de l’action du ministre de l’Economie à l’imputabilité de la sanction de pratiques restrictives de concurrence dans un réseau de franchise

Très attendu notamment pour ses enjeux pratiques, un riche arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 février 2024 (n° 22-10.314), publié au Bulletin, apporte un certain nombre de précisions sur le caractère autonome de l’action du ministre de l’Economie, la caractérisation de la soumission et du déséquilibre significatif et l’imputabilité de la sanction de pratiques restrictives de concurrence dans un réseau de franchise.

Le point départ de la prescription de l’action du ministre

Les sociétés demanderesses au pourvoi ont commencé par soulever la prescription de l’action du ministre de l’Economie au motif que celle-ci avait été engagée plus de cinq ans après la conclusion du contrat. La Cour de cassation n’a pas fait droit à cette argumentation. Cette dernière observe que la prescription de l’action du ministre ne fait pas l’objet de règles spéciales, et est dès lors régie par celles de l’article 2224 du Code civil. En application de ce texte, l’action du ministre a pour point de départ le jour où ce dernier, qui est titulaire d’un droit à agir, a connu ou aurait dû connaitre les faits qui caractérisent une pratique restrictive lui permettant d’exercer ce droit.

En l’espèce, les dysfonctionnements du réseau Pizza Sprint ont été mis en évidence d’abord en 2013 par la DGCCRF lors d’une enquête relative aux délais de paiement, puis en 2014 lors d’une enquête nationale sur les pratiques dans le secteur de la franchise de la restauration rapide. La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a fixé le point de départ de la prescription quinquennale au premier acte d’enquête réalisé par la DGCCRF. Elle en a déduit que l’action du ministre introduite par assignation en mars 2017 n’était pas prescrite et pouvait être intentée jusqu’en 2018.

Cette solution a une portée pratique considérable car elle conduit à allonger considérablement la période pendant laquelle le ministre peut agir pour sanctionner une pratique restrictive de concurrence et prive les entreprises de la sécurité juridique attachée à des délais de prescription clairs, ce qui explique que la solution ait été critiquée (V. les notes et observations sous T. com. Rennes, 22 oct. 2019, n° 2017F00131, LEDICO déc. 2019, 1, obs. MARTIN ; T. com. Paris, 13 oct. 2020, n° 2017005123, AJ contrat 2020, 543, obs. RODA et BUY ; LEDICO janv. 2021, 3 et Contrats Conc. Consom.  2021, étude 3, obs. BEHAR-TOUCHAIS). Par exemple, pour un franchisé ayant contracté en 2024 qui fait l’objet d’une enquête diligentée en 2030, le ministre pourra agir jusqu’en 2035. Des actions pourraient ainsi être diligentées plus de dix ans après les faits.

Cette solution se distingue des délais retenus dans les domaines voisins bien plus courts, notamment en matière d’inexécution des mesures d’injonction (3 ans à compter du jour où le manquement a été commis) et en droit des pratiques anticoncurrentielles (5 ans à compter des faits en cause, délai doublé d’un délai butoir de 10 ans).

La solution marque encore davantage la faveur accordée au ministre et  renforce le caractère autonome de son action.

La transaction ne fait pas obstacle à l’action du ministre

Les sociétés demanderesses au pourvoi faisaient également valoir que l’action du ministre était irrecevable au regard de la transaction signée entre franchiseur et franchisé. La Cour rejette ce moyen au motif que la transaction entre des partenaires économiques n’a pas pour effet de priver le ministre des pouvoirs qu’il détient au titre de l’article L. 442-4 du Code de commerce. Cette solution peut s’expliquer par le caractère autonome de  l’action du ministre : une transaction privée produit des effets dans des rapports purement privés mais ne peut pas priver le ministre de son action. La Cour de cassation avait déjà considéré que les clauses attributives de juridiction et d’arbitrage stipulées entre les parties n’étaient pas opposables au ministre (Cass. 1re  civ., 6 juill. 2016, n° 15-21.811) et certaines juridictions l’avaient déjà consacrée (Metz, 30 juin 2016, n° 14/02136, Contra, Paris, 15 févr. 2017, n° 15/00228).

La condition de soumission au déséquilibre significatif

Après avoir tranché les questions relatives à la recevabilité de l’action du ministre, la Cour de cassation répond à celles se rapportant à l’appréciation du déséquilibre significatif dans le contrat de franchise.

Pour rappel, le déséquilibre significatif impose la réunion de deux conditions : une soumission et un déséquilibre significatif (C. com., art. L. 442-1, I, 2° ), la condition de soumission impliquant notamment la démonstration de l’absence de négociation effective. Les sociétés demanderesses au pourvoi niaient l’existence d’une soumission. Or pour établir cette condition, la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a considéré que « la notoriété du réseau Pizza Sprint », la « position prépondérante du franchiseur » et l’imposition d’un « contrat type de franchise » toujours identique, traduisait une absence de négociation.

Néanmoins, la notion de soumission continuera sans doute à faire l’objet de débats dans le cadre des contrats de distribution, comme le montrent les récents arrêts de la cour d’appel de Paris admettant que des contrats de distribution prérédigés aient pu faire l’objet d’une négociation collective par les associations de distributeur écartant la condition de soumission (Paris, 11 janvier 2024, n°21/01783 et Paris, 17 janvier 2024, n°21/11503). En tout état de cause, une discussion complémentaire interviendra au stade de la qualification du déséquilibre significatif qui n’est jamais évidente dans une relation de distribution (cf les derniers arrêts des 11 et 17 janvier 2024 précités).

La sanction de la clause d’intuitu personae imprécise

Cette partie de l’arrêt était particulièrement attendue. En effet, il est très fréquent que les contrats de franchise stipulent une clause d’intuitu personae pesant sur le franchisé. En l’espèce, une telle clause était stipulée dans le réseau Pizza Sprint. Précisément, la clause stipule que le franchisé doit informer le franchiseur sur tout projet ayant une « incidence » sur la répartition du capital social et l’identité des dirigeants, et autorise le franchiseur à mettre fin au contrat dans un tel cas.

La perspective de voir une clause d’intuitu personae annulée au motif qu’elle est stipulée au seul bénéfice du franchiseur a suscité des inquiétudes. Ces clauses se justifient par la nature de la franchise, contrat conclu en fonction de la personne du franchisé. Le franchisé choisit essentiellement un concept, alors que « le franchiseur accepte de confier l’exploitation de son concept à une personne dont il a pu précisément juger les aptitudes, la personnalité, le parcours professionnel et le financement afin de préserver la réputation du réseau et de favoriser son développement », expliquent les juges du fond repris par la Cour. « Intuitu firmae d’un côté, intuitu personae de l’autre » ( de BALMANN, Le déséquilibre significatif en franchise : Eldorado pour les franchisés ou triangle des Bermudes pour les franchiseurs ?, RLDA 2023, n° 193, 28 s.).

La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a retenu la nullité de la clause d’intuitu personae stipulée dans le réseau Pizza Sprint au profit du franchiseur non seulement en raison de son défaut de réciprocité, mais aussi et surtout, en raison de l’imprécision du terme « incidence » eu égard aux conséquences de sa mise en œuvre. La Cour indique bien que la cour d’appel « ne s’est pas bornée à déduire l’existence du déséquilibre significatif du seul fait que la clause litigieuse ne prévoyait pas de réciprocité ». Par cette formulation, l’arrêt de la Cour de cassation suggère, comme d’autres décisions avant elle, que le défaut de réciprocité ne crée pas nécessairement un déséquilibre significatif. La clause d’intuitu personae non réciproque apparaît ainsi possible à condition qu’elle soit précise et permette au franchisé « d’appréhender la nature et le degré de l’effet du projet sur l’actionnariat ou la personne du franchisé susceptible de motiver, de la part du franchiseur, la résiliation anticipée du contrat ».

La condamnation in solidum du franchiseur et du repreneur

L’arrêt est porteur d’une autre nouveauté concernant la condamnation in solidum du franchiseur et du repreneur à une amende civile. La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir condamné la société Domino’s in solidum avec les sociétés franchiseurs dont elle a acquis les titres en 2016 au motif qu’elle n’a pas cessé les pratiques reprochées aux sociétés franchiseurs. La solution est nouvelle. La Cour de cassation avait déjà reconnu la possibilité d’imputer une pratique restrictive de concurrence à une société ayant absorbé l’auteur de ladite pratique (Cass. com., 21 janv. 2014, n° 12-29.166) mais ne s’était encore jamais prononcée sur le cas d’une acquisition par prise de contrôle.

La publication de la décision

Enfin, le dernier moyen avançait que la publication de la décision dans le quotidien Ouest France n’aurait pas dû être ordonnée car celle-ci n’était pas sollicitée par les demandeurs et les défendeurs. L’argument rejeté très succinctement par la Cour au motif que l’article L. 442-6,III, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance de 2019, imposait à la juridiction saisie sur ce fondement d’ordonner systématiquement la publication de sa décision sanctionnant une pratique restrictive de concurrence.

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